La Tribune Afrique : Comment AccorHotels est-il arrivé à s’intéresser à Mantis ?
Sébastien Bazin : Chez AccorHotels, nous avons une assez bonne lecture de tous les continents et de toutes les grandes économies mondiales, parmi lesquelles il y a bien sûr l’Afrique du Sud. Nous avons reconnu depuis longtemps que nous n’étions pas assez présents en Afrique du Sud en termes de marque et en termes de destination.
En regardant les acteurs présents sur le marché local, nous nous sommes aperçus qu’il y en avait un qui était sur une niche dans laquelle nous étions franchement peu présents : tout ce qui est « game reserve » et « conservation sustainability ». Alors, j’ai rencontré Monsieur Gardiner (fondateur et président de Mantis Collection .ndlr) et je lui ai proposé de faire un bout de chemin ensemble dans lequel AccorHotels lui apporte un programme de fidélité, du trafic, du booking engine…, et lui nous apporte sa connaissance de son pays, ce qu’il a fait de spécial en faisant ces voyages extraordinaires qui ne sont pas du prêt à porter, mais de la Haute couture !
C’est ainsi qu’on s’est retrouvé assez vite. AccorHotels veut depuis très longtemps marquer son territoire sur la préservation de la planète et cette culture commune a fait qu’il a accepté très facilement que cette situation marche. Pourtant, l’association AccorHotels-Mantis est celle d’un gros et d’un petit, mais Mantis est plus gros qu’AccorHotels en Afrique du Sud.
AccorHotels vise donc un positionnement particulier sur le marché sud-africain ?
En effet. Déjà, Mantis est le leader dans son déploiement en Afrique du Sud et au Nigeria sur tout ce qui est « game reserve » et « conservation sustainability ». Grâce notre partenariat, nous prenons une part de leadership dans cette niche.
Il nous revient désormais à tous les deux de bâtir dans les grandes villes sub-sahariennes une association soit à travers les marques de Mantis, soit à travers celles d’Accor. Dans tous les cas, nous mettrons en commun nos réseaux et nos connaissances en matière financières, d’investisseurs, …
Donc nous avons beaucoup à apprendre l’un de l’autre sur les pays où chacun de nous a acquis une expertise. Et c’est pour cela que nous nous mettons ensemble. J’apporte à Adrian Gardiner ce que je sais sur l’Afrique du Nord et de l’Ouest et peut-être que Mantis va pouvoir davantage se développer sur ces marchés -et je pense que c’est même une très bonne ligne de conduite-, et il m’apporte deux ou trois ans d’accélération grâce à ce qu’il a bâti en Afrique anglophone.
Comme l’a exprimé M. Gardiner, Planet 21 a joué un rôle déterminant dans la facilitation de ce partenariat …
Planet 21 a été surement l’élément de confort pour la famille Gardiner de se dire : « tiens, voilà un groupe AccorHotels qui, depuis 25-30 ans, donne des preuves à ses propriétaires à ses communautés locales sur la préservation de l’énergie, de l’eau, de la nature; fait en sorte que tout ce qui est nutrition, hygiène et santé soit aussi au rendez-vous; prend en compte les communautés locales pour leur donner une chance de travailler dans ses hôtels… ».
Tout ce dont AccorHotels est porteur aujourd’hui en matière de développement durable n’a pas été bâti pour ce partenariat avec Mantis, mais cela préexiste depuis 25 ans. Donc, nous nous sommes retrouvés sur des champs un peu différents mais très communs à la fois : la préservation des cultures, des identités et de l’environnement.
Nous établissons des plans sur cinq ans. Nous nous donnons un certain nombre de challenges, des clauses de rendez-vous, des clauses de performance que nous renouvelons au bout de la période. Après celui en cours dont l’échéance est fixée à 2020, nous établiront un nouveau plan dans lequel nous reconduirons certains challenges et en adopterons de nouveaux, notamment, doit-on continuer d’utiliser autant de papier venant des arbres ou peut-on se lancer dans les bambous et dans autre chose qui préserve beaucoup mieux la planète ?
Dans le bilan de mi-parcours de Planet 21, vous faites un focus sur la Côte d’Ivoire. Ce pays se distingue-t-il autant de ses paires en matière de préservation de l’environnement ?
Certains pays -c’est vrai pour la Cote d’Ivoire, c’est vrai aussi pour la Malaisie, le Chili et le Brésil- sont beaucoup plus marqués dans leur chair par la destruction de l’environnement parce que de très grands groupes industriels n’ont pas fait suffisamment attention. Etant donc beaucoup plus au fait de ce qui a été détruit, les collaborateurs qui nous accompagnent dans ces pays veulent être les premiers à essayer de jumeler les efforts. Les clients aussi sont très alertes sur ces questions. De ce fait, il est plus facile de sensibiliser des gens en Côte d’Ivoire, au Pérou ou en Malaisie, que de sensibiliser les gens en Italie où les effets néfastes ne sont pas aussi visibles qu’ailleurs.
« Nous avons pris des engagements de déployer plus de ressources, plus de capital humain et plus de moyens dans certains pays dont la Côte d’Ivoire et nous irons jusqu’au bout. »
En 2013 l’activité d’AccorHotels en Côte d’Ivoire a contribué à 90% au PIB du pays. Est-ce dire l’importance de ce marché pour le groupe ?
Ce n’est pas assez, je pense qu’on doit développer plus d’hôtels en Côte d’Ivoire, d’autant que nous avons une relation très forte avec le gouvernement actuel. A Abidjan, l’hôtel [Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire] été complètement rénové. Mais il faut que nous remettions plus de moyens, qu’on aille plus près de la population, notamment des petites et moyennes entreprises (PME). Une des choses que les gens ne voient pas c’est que deux tiers de notre trafic sur le continent africain provient des PME qui utilisent nos hôtels à des fins commerciales pour se développer, donc contribuent au PIB du pays. Seul 1/3 de notre trafic provient de la clientèle international loisirs.
Accor a donc un effet d’accélérateur sur les économies locales dans lesquelles nous sommes implantés. Il n’y a aucun doute là-dessus. C’est vrai aussi en Amérique du Sud et dans pleins d’autres pays.
En juin dernier, vous avez dirigé avec l’ancien président Nicolas Sarkozy une délégation d’AccorHotels à Abidjan. Suite à cette visite, la presse locale vous prête l’ambition de faire de la capitale ivoirienne votre hub régional. Qu’en est-il exactement ?
Nous avions en effet été reçus par le président Alassane Ouattara et nous ne nous sommes pas cachés. AccorHotels doit développer de manière plus forte la recherche et le développement, le marketing et un certain nombre de cadres exécutifs au lieu de les avoir à Dubaï, à Rabat ou ailleurs… Mais, nous n’allons pas diminuer notre présence à Rabat ni à Dubaï, nous allons juste augmenter notre présence probablement en Afrique de l’Ouest parce que ce sont des pays dans lesquels nous sommes implantés depuis longtemps, nous y avons une très grande aisance et le trafic est tout à fait possible. C’est vrai que nous avons pris des engagements de déployer plus de ressources, plus de capital humain et plus de moyens dans certains pays dont la Côte d’Ivoire et nous irons jusqu’au bout.
« Sur l’Afrique, vous allez voir dans les quelques semaines qui viennent, une ambition extrêmement claire avec beaucoup de centaines de millions de dollars qui vont être déployés à travers un autre partenariat.»
Selon le rapport 2017 du W Hospitality, AccorHotels est le plus grand investisseur en Afrique avec 84 projets d’hôtels à travers le continent, mais vous comptez mettre un frein aux investissements. Pourquoi ?
Vous avez raison, mais nous allons le faire différemment. En l’Europe notamment, nous avons créé une société foncière qui a pour mission de déployer l’investissement sur lequel AccorHotels devient minoritaire. Sauf que les actionnaires -que sont le PIF d’Arabie Saoudite, GIC de Singapour, Amundi en France, Colony Northstar aux Etats-Unis qui sont de très gros investisseurs- vont déployer, aux côtés d’AccorHotels, beaucoup plus de moyens.
Donc le groupe AccorHotels ne met pas vraiment un frein aux investissements, il a juste décidé de s’associer à d’autres entités pour augmenter ses investissements. Sur l’Afrique, vous allez voir dans les quelques semaines qui viennent, une ambition extrêmement claire avec beaucoup de centaines de millions de dollars qui vont être déployés à travers un autre partenariat.
Lequel ?
Non pas maintenant, c’est trop tôt. L’investissement dans Mantis n’est donc pas l’aboutissement, c’est une étape, qui est importante en termes de partenariat, mais vous allez voir d’autres choses arriver en Afrique.
« AccorHotels va participer à la croissance de l’Afrique. AccorHotels va prendre des risques. »
En devenant PDG d’AccorHotels il y a cinq ans, vous avez fait du renforcement de l’empreinte du groupe en Afrique l’un de vos chevaux de bataille. Qu’est-ce qui a motivé cette orientation ?
J’en ai fait un cheval de bataille parce que le continent africain -je le dis et je le répète- est le continent qui présente de très loin les plus nombreuses opportunités de croissance sur les 20 prochaines années. Je n’ai aucun doute là-dessus. La seule chose c’est que si on veut participer à cette croissance, il faut le faire de manière protéiforme parce que la croissance du Nigéria n’est pas la même que celle du Kenya, ni celle de l’Afrique du Sud, ce ne sont pas les mêmes acteurs, ce n’est pas la même monnaie.
Cela veut dire que l’entreprise qui veut s’y déployer est obligée de se démultiplier pour bénéficier de cette croissance, et accompagner le mouvement avec des partenariats locaux dans chaque pays. Mais en ce qui concerne AccorHotels, nous allons participer à cette croissance. AccorHotels va prendre des risques, même si je sais que certaines décisions seront peut-être jugées mauvaises dans deux ou trois ans. Mais ce sont des pays dans lesquels il faut être audacieux et où il faut savoir faire confiance à ceux qui savent mieux, c’est-à-dire, les gens qui sont sur place.
« En Afrique, la rentabilité viendra plus tard. »
Et la rentabilité dans tout cela ?
Oubliez la rentabilité. Pour moi, c’est très contre-nature de dire cela. Mais si vous voulez vous développer sur un continent comme l’Afrique, vous y allez d’abord pour le capital humain, pour offrir un service, un produit, une marque et une destination. La rentabilité viendra plus tard sur ce continent.
Si on commence uniquement par les objectifs de rentabilité, on ne fera rien sur ce continent, parce que la nature du risque est trop incertaine. Donc vous vous déployez, vous bâtissez une église, puis vous verrez, pleins de gens rentreront dans l’église dans trois ou quatre ans. Mais ne commencez pas par savoir quel est le coût de l’église.
Est-ce donc la politique en vigueur au niveau des hôtels Ibis qui présentent un problème de rentabilité dans plusieurs pays d’Afrique ?
Concernant les hôtels Ibis, nous n’avons pas suffisamment investi. Il faut que nous remettions de l’argent dans le produit, comme nous l’avons fait sur les Pullmans et sur les Sofitels. Nous avons besoin de leur redonner un peu de modernité et de fraîcheur. Le problème n’est pas un problème de marque, ni d’emplacement. Il s’agit d’un problème d’économies dans lesquelles le prix des chambres n’est pas suffisamment élevé par rapport au coût de l’investissement. Mais ça viendra… Nous avons connu le même problème en Chine il y a 40 ans, au Brésil il y a 35 ans, en Australie il y a 35 ans. Nous y sommes pourtant restés et avons continué à nous y développer et aujourd’hui, 40 ans plus tard, nous remercions le ciel de l’avoir fait. C’est la même philosophie sur l’Afrique aujourd’hui. Vous devez bâtir pierre par pierre et vous préoccuper de la rentabilité plus tard.
Parlons du luxe. Alors qu’acteurs et experts évoquent les défis inhérents à ce segment en Afrique, AccorHotels poursuit son développement avec l’ouverture d’hôtels un peu partout. Comment arrivez-vous à gérer vos affaires sur ce segment ?
Il est vrai que le luxe s’adresse à une clientèle assez différente qui a une certaine aisance financière. Il demande d’avoir une qualité de services qui est très supérieure à celle de l’économique, puisque le client s’attend à avoir une qualité de service à la hauteur de ce qu’il paye.
Cela demande une formation, un apprentissage beaucoup plus ardu pour ceux qui travaillent dans nos hôtels. Mais c’est un formidable ascenseur social, puisque la même personne peut commencer dans un Ibis, puis aller dans un Mercure, puis un Novotel, puis un Pullman, puis un Sofitel, puis un Fairmont, puis un Raffles. C’est juste à nous de donner les moyens au client de s’accomplir.
Pour information, 60% des clients qui vont dans l’hôtellerie moyen de gamme vont aussi dans l’hôtellerie de luxe. La même personne peut très bien aller pour le travail dans un Novotel ou un Ibis et se retrouver dans un Fairmont ou un Sofitel le vendredi soir. C’est pourtant la même personne qui choisit l’hôtel en fonction du besoin du moment. C’est très complémentaire.
Nous avons été trop lent sur ce segment et nous avons juste décidé en trois ans de rééquilibrer le portefeuille. Aujourd’hui 40% de notre portefeuille relève du luxe. Mais nous ne le faisons pas de manière robotique, c’est parce que le client en est demandeur. Cependant, c’est un métier sur lequel il faut qu’on soit extrêmement draconiens et disciplinés. L’erreur se paye double sur le luxe.
L’aérien est souvent pointé comme un des talons d’Achille du développement de l’hôtellerie en Afrique. Alors qu’AccorHotels poursuit son encrage sur le continent, devrait-on s’attendre à un partenariat dans ce domaine ?
En termes de partenariat capitalistique je ne crois pas. Mais en termes de coopération, de programme de fidélité surement oui. Déjà, nous avons beaucoup de partenariats avec les compagnies aériennes, les équipages aériens, notamment afin de faciliter certaines destinations. Il est vrai que notre métier est très dépendant de l’accès aux pays, donc de l’accès aux villes. AccorHotels fera tout, notamment en Afrique subsaharienne, pour qu’on puisse s’asseoir avec les autorités compétentes afin de conclure un marché main dans la main dans lequel nous allons nous développer, créer des hôtels, mais dans lequel nous voudrions aussi que les autorités facilitent l’émergence d’un plus grand nombre de compagnies aériennes, de compagnies aériennes low cost, afin que le monde du voyage soit plus accessible et moins onéreux.
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