La Tribune Afrique : Qu’est-ce qui a motivé le partenariat entre Legalstart.fr et Legafrik ?
Youssouf Ballo : J’ai commencé à travailler sur le projet lorsque j’étais encore étudiant à la Sorbonne. Je savais qu’il était ambitieux et qu’il me fallait un accompagnement, surtout financier et en terme de savoir-faire pour développer mon projet. Legalstart.fr étant le leader en France et donc détenteur d’un savoir-faire certain, il est un partenaire de choix pour nous aider à nous développer.
Pierre Aïdan : J’ai rencontré Youssouf, il y a deux ans, dans le cadre d’une formation à La Sorbonne et nous avons appris à nous connaitre. Il a tout seul lancé la première version de Legafrik. Nous avons vu que cela fonctionnait bien, nous avons regardé de plus prêt et avons décidé de l’accompagner et l’aider stratégiquement à s’implanter dans l’espace Ohada. Notre entrée dans le capital de Legafrik traduit en fait notre volonté de soutenir ce projet auquel nous croyons.
Est-ce également une façon pour Legalstart.fr de s’étendre en Afrique après avoir conquis le marché français ?
PA : Aujourd’hui nous sommes minoritaires dans Legafrik. Donc, c’est Legafrik qui va déployer une offre sur les différents marchés de l’espace Ohada en ciblant prioritairement la Côte d’Ivoire et le Bénin. Nous croyons au potentiel de ces marchés mais d’un point de vue business, nous étudions avec Youssouf les produits nécessaires, comment les packager, …, sachant que le site Legafrik est déjà fonctionnel et qu’il y a déjà une centaine d’entrepreneurs qui a été accompagnée à ce jour, principalement en Côte d’Ivoire.
Qu’est-ce-que ce partenariat implique de nouveau pour Legafrik ?
YB : Il faut dire que Legafrik a déjà parcouru un petit bout de chemin. Nous avons un bureau à Paris depuis notre lancement dans les locaux de l’incubateur Agoranov. Notre bureau d’Abidjan a été ouvert en janvier dans les locaux de l’incubateur IncubIvoir. En quatre mois, nous sommes passés de trois salariés à 12. Donc notre projet suscite une certaine confiance ne serait-ce qu’au niveau de la capitale ivoirienne. Nous préparons le lancement d’un nouveau produit qui viendra s’ajouter à la création d’entreprise et dans quelques semaines nous ouvrirons notre bureau à Cotonou au Bénin. La centaine d’entrepreneurs que nous avons accompagné jusqu’ici est constituée non seulement des entrepreneurs établis en Côte d’Ivoire, mais aussi les entrepreneurs de la diaspora qui souhaitaient créer des entreprises en Côte d’Ivoire. Outre l’accompagnement stratégique, le partenariat avec Legalstart va nous apporter une plus grande visibilité parce que Legalstart est bien connu et dispose d’un certain réseau.
PA : Nous passons actuellement beaucoup de temps à définir la stratégie, c’est-à-dire quels pays cibler en priorité, quels produits, quels canaux d’acquisition, quel type de campagne déployer, avec quel budget, pour quels objectifs, … Après quoi nous étudions les types de contrats auxquels nous serons exposés, les voies et moyens pour dégager de la rentabilité, …Donc, c’est un projet qui se veut ambitieux dans une zone où il n’y a pas encore de service de cette nature. Comme Legalstart a déjà cette expérience sur le marché français, nous allons pouvoir adapter de façon très pertinente une stratégie sur l’Afrique.
Le marché du droit en ligne en Afrique est naissant. Y percevez-vous les signaux d’un potentiel développement ?
YB : Tout à fait. Il n’y qu’à regarder l’explosion d’internet. Quand je considère un pays comme la Côte d’Ivoire où le nombre d’abonnés internet est passé de 200 000 en 2011 à 17 millions en 2017 avec de gros acteurs dans l’e-commerce notamment, il ne fait aucun doute que les Africains vont de plus en plus consommer les services en ligne. Donc, si un entrepreneur peut accéder depuis son smartphone à n’importe quel document juridique, il n’y a aucune raison qu’il aille faire la queue devant une administration pour ces mêmes formalités. Je pense que le marché est là et il n’y a aucune raison que cela ne fonctionne pas. Pour tout vous dire, j’ai été au guichet unique de la création d’entreprise à Abidjan. Malgré sa mise en place, les entrepreneurs font des aller-retours, certains d’entre eux rencontrent des difficultés quand on leur demande de réunir des documents juridiques, ce qui n’est pas toujours évident quand on n’est pas juriste de formation. Du coup, lorsque nous leur proposons notre solution, ils sont automatiquement très enthousiastes. Ils disent : ”enfin, voilà quelque chose qui va nous faciliter la tâche !” Ils créent leur entreprise depuis chez eux, en envoyant simplement leurs documents d’identité via internet. Une formalité qui ne leur prend qu’en moyenne 10 minutes avec Legafrik. Je crois que c’est ce qui explique notre croissance au niveau de la Côte d’Ivoire, ainsi que la croissance que nous entrevoyons pour l’avenir dans les autres pays de l’espace Ohada, sachant qu’en plus, nous assurons la sécurité des données aux entrepreneurs. Nos serveurs sont hébergés à Berlin chez Amazone, qui a une très grande crédibilité à travers le monde.
PA : C’est sûr que ce marché va connaître le développement. En revanche, ce que nous ne savons pas trop pour l’instant, c’est comment cela va se faire dans le temps. Dans l’espace Ohada, nous avons une population qui est très présente sur le mobile, les services y sont accessibles, mais les volumes de recherches sur la thématique de la création d’entreprise ou le droit d’entreprise ne sont pas encore considérables. Cela veut dire qu’il y a une partie online et une partie offline. Et le rôle de Legafrik va être d’explorer tout cela et remmener tous les acteurs online. Ce qui veut dire qu’au-delà des canaux d’acquisition numérique, il va falloir pour avoir envisager sur place d’autres canaux d’acquisition, afin d’avoir de la visibilité autrement que sur le web.
C’est donc un marché qui présente des défis importants …
YB : L’un des plus gros défis, à mon avis, réside dans une plus grande accessibilité à internet pour les populations. C’est vrai qu’il y a de plus en plus de connexion internet dans les pays africains, mais la couverture n’est pas totale. Il y a des entrepreneurs intéressés par nos services, mais qui parfois n’ont pas internet à la maison, pour diverses raisons. Je crois c’est un vrai défi. L’autre défi, comme l’explique Pierre, c’est de convaincre certains acteurs de sortir de l’informel.
PA : C’est pour tout cela que nous allons, pour un début, nous concentrer sur une zone géographique limitée : Côte d’Ivoire, Bénin et après, le Sénégal certainement. Après avoir évalué ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, dans quel secteur d’activité ça marche, … nous pourrons envisager une implantation dans d’autres pays de l’espace Ohada.
Quid de la réglementation ?
PA : Je pense qu’il faut être très vigilant par rapport à la problématique réglementaire et déontologique. D’une manière générale, l’approche consiste à dire : nous mettons à la disposition de l’utilisateur un logiciel qui lui permette de faire les formalités, ce qui ne devrait pas poser de problème majeur vis-à-vis de la réglementation locale.
Et comment les avocats locaux accueillent-ils le projet ?
YB : Pour être honnête, il y en a qui sont réticents, ils estiment que nous nous attaquons à leur pré carré. Cependant de nombreux avocats, surtout les jeunes, ont compris que leur marché est en train de se transformer grâce au numérique. Du coup, les avocats dans la plupart de ces pays sont référencés et de plus en plus d’avocats accueillent bien notre projet quand nous les contactons et plusieurs nous sollicitent pour travailler avec nous.
Legalstart.fr emploie beaucoup à l’étranger. Le partenariat avec Legafrik pourrait-il donner lieu à un échange des compétences ?
PA : Nous n’avons pas encore étudié cette question. Mais les premiers échanges que nous avons eus avec les développeurs de Legafrik étaient très positifs en termes de compétences. Donc il n’est pas exclu que nous ayons recours aux développeurs locaux à l’avenir.
Où en est le projet Legafrik-pro qui doit être lancé à la fin de cette année ?
YB : Nous sommes en plein dans la conception. Nous avons beaucoup échangé avec des avocats, notaires et huissiers de justice sur le terrain. L’idée c’est de comprendre leurs besoins, comment mettre le numérique à leur disposition… C’est après avoir déterminé tous ces paramètres que nous pourrons lancer le projet. Mais je crois qu’il pourra effectivement être opérationnel d’ici la fin de l’année 2018.
j.a.