Plus de dix jours après le renvoi du gouvernement, les consultations pour trouver un nouveau Premier ministre sont au point mort entre le président bissau-guinéen, José Mario Vaz, et sa formation politique, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée du Cap-Vert (PAIGC, au pouvoir). Le point en quatre questions pour comprendre les soubresauts de cette dernière crise.
Pourquoi José Mario Vaz a-t-il de nouveau destitué le gouvernement ?
La décision couvait depuis plusieurs semaines. Elle a finalement été tranchée, jeudi 12 mai, quand le président Vaz a congédié le gouvernement dirigé depuis septembre 2015 par Carlos Correia.
Pour justifier ce deuxième renvoi en deux ans de mandat, le président a fustigé l’absence de plan gouvernemental. « J’ai pris une décision qui responsabilise les partis politiques en leur donnant l’occasion de prouver qu’ils placent l’intérêt supérieur de la nation et du peuple au-dessus de leurs intérêts personnels ou de groupe ou de parti », s’est-il expliqué dans une allocution retransmise par la presse.
Reste que selon de nombreux observateurs, cette décision présidentielle n’est autre que le dernier épisode de la crise politique qui agite le pays depuis plusieurs mois.
Quand a commencé la crise politique ?
Elle a éclaté au grand jour en août 2015, quand le président a congédié son Premier ministre Domingos Simões Pereira, en poste depuis juin 2014. Entre les deux hommes, la mésentente était notoire.
Alimentées par leur rivalité pour prendre le contrôle du PAIGC lors des élections législatives et présidentielle de 2014, les tensions entre eux se sont encore aggravées après leur ascension au pouvoir en raison du régime semi-présidentiel, qui fait du Premier ministre le véritable homme fort du pays.
Alors que le président reprochait à son Premier ministre de ne pas le tenir suffisamment informé des affaires en cours et lançait contre lui des accusations de corruption, les partisans de Domingos Simões Pereira affirmaient de leur côté que la popularité de ce dernier aurait fait de l’ombre au président, qu’ils accusaient également de trop s’immiscer dans les affaires du gouvernement.
« Il faut que le président comprenne que selon la Constitution, c’est le gouvernement qui gouverne », répète encore aujourd’hui Agnelo Regala, président de l’Union pour le changement (UM) et ancien ministre de la Communication. Selon ce dernier, le président n’aurait pas dû procéder aux limogeages de Domingos Simões Pereira et de Carlos Correa.
Après de longues semaines de vacance politique et de médiations régionales, la nomination en septembre 2015 de Carlos Correa, un vétéran du PAIGC, devait devait en effet clore la crise. C’était sans compter la fronde de 15 députés du PAIGC, qui ont refusé fin décembre de voter la confiance au gouvernement. L’affaire s’est peu à peu envenimée : après les avoir exclus du PAIGC puis démis de leurs fonctions de députés, la Cour suprême a finalement décidé de réintégrer les 15 frondeurs à l’Assemblée. Depuis, leur retour a donc fragilisé la majorité absolue du PAIGC, qui dispose théoriquement de 57 sièges sur 102. Sans les 15 élus, le parti ne conserve donc que 42 sièges, soit seulement un de plus que la principale force d’opposition, le Parti de la rénovation sociale (PRS).
Comment se passent les négociations pour trouver un nouveau Premier ministre ?
Depuis le renvoi du gouvernement le 12 mai, les négociations sont au point mort. Malgré plusieurs rencontres entre le président Vaz et Domingos Simões Pereira, les discussions n’avancent pas. Les deux hommes devront pourtant s’entendre sur un nom : selon la Constitution bissau-guinéenne, il revient au parti vainqueur des élections législatives – soit le PAIGC – de proposer le nom du Premier ministre, que le président doit ensuite accepter et désigner. La situation se complique un peu plus avec les statuts du PAIGC, qui préconisent que le rôle de chef de gouvernement soit endossé par le chef du parti, soit Domingos Simões Pereira.
Les responsables des cultes catholiques et musulmans ont été mis à contribution pour assurer la médiation entre le palais présidentiel et le siège du PAIGC
Preuve que les deux hommes ne parviennent pas à s’entendre, les responsables des cultes catholiques et musulmans de Guinée-Bissau ont été mis à contribution pour assurer la médiation entre le palais présidentiel et le siège du PAIGC, séparés de quelques mètres seulement.
Mais pour l’heure, les tractations sont au point mort. Selon un cadre du PAIGC ayant requis l’anonymat, le parti a proposé lundi la mise en place d’un gouvernement élargi à plusieurs partis politiques dont le PRS et l’UM et mené par Carlos Correa ou Khalifa Seidi, leader du groupe parlementaire PAIGC à l’Assemblée. Une proposition refusée par le président Vaz, dont le but serait de mettre en place un gouvernement d’initiative présidentielle composé du PRS et de certains députés PAIGC frondeurs, assure la même source.
Quelles sont les conséquences de cette nouvelle vacance du pouvoir ?
Cette instabilité chronique – le ou la prochain(e) Premier ministre sera le quatrième de José Mario Vaz en deux ans de pouvoir – inquiète les acteurs politiques et économiques ainsi que la société civile de Guinée-Bissau, dont l’histoire est jalonnée de coups d’État et de violences politiques. « Les divisions au sein du PAIGC ne font qu’alimenter l’instabilité du pays », déplore ainsi le porte-parole du PRS, Victor Pereira.
Cette nouvelle impasse pourrait aussi décourager les bailleurs internationaux du pays, qui avaient promis en mars 2015 un milliard d’euros à la Guinée-Bissau. « La communauté internationale pourrait être fatiguée de vos crises qui n’en finissent pas », elle « a atteint la limite de sa patience », s’était déjà énervé en février dernier l’ex-président nigérian Olusegun Obasanjo, chef de la mission du Groupe de contact de la Cedeao pour le pays. Un appel resté pour l’heure sans réponse.
Avec Jeune Afrique.