Mardi 24 mai, la fondation Scelles rend public son 4e rapport sur l’exploitation sexuelle dans le monde.
À cette occasion, son président, Yves Charpenel fait un point sur la situation en France.
C’est un document précieux auquel ont contribué, pendant trois ans, des chercheurs, des universitaires, des responsables associatifs, des médecins, des travailleurs sociaux, etc. Pour la 4e fois, la fondation Scelles publie un rapport détaillé sur l’exploitation sexuelle dans le monde, s’inquiétant de son développement à la faveur de la globalisation, de profits gigantesques – 300 milliards d’euros générés chaque année – et de la multiplication des conflits, qui rend les populations plus vulnérables à la traite.
La France n’est pas épargnée. Le rapport évalue entre 30 000 et 40 000 le nombre de personnes prostituées, même si, en comparaison à d’autres, le pays a su limiter le développement du phénomène. Alors qu’une loi abolitionniste vient d’être adoptée, le président de la Fondation, magistrat à la Cour de cassation, livre un éclairage sur la situation ces dernières années.
Depuis votre dernier rapport, il y a deux ans, que peut-on dire de la situation de la France ?
Yves Charpenel : En comparaison d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Espagne, la France a su limiter le développement de la prostitution en raison de sa législation – l’une des plus répressives à l’encontre du proxénétisme –, mais surtout de sa fermeté à l’appliquer.
En 2014, près de 600 personnes y ont été condamnées pour proxénétisme lors de 500 procès environ. C’est trois à quatre fois plus que d’autres pays, même si seule une minorité de criminels a affaire aux juges.
Reste qu’en France, la balance entre le profit espéré et les risques encourus est moins favorable aux proxénètes qu’ailleurs, ce qui dissuade certains réseaux. On est encore loin de la Suède, devenue un « marché mort » pour ces derniers en vertu d’une législation résolument abolitionniste qui a permis de faire baisser la demande de prostitution.
Quelles évolutions connaît la prostitution en France ?
Yves Charpenel : Depuis notre dernier rapport, on a noté deux évolutions inquiétantes. La première est l’apparition d’une traite franco-française, aux côtés de la traite des femmes étrangères, issues de régions du monde pauvres ou en guerre. Plusieurs jugements montrent que des réseaux criminels, souvent dans des banlieues difficiles, diversifient leurs activités : outre le trafic de drogue, ils exploitent des jeunes femmes issues de leurs quartiers, les revendent à des bandes voisines, etc. C’est très inquiétant.
L’autre évolution concerne le rajeunissement des victimes de la prostitution. Il s’agit d’une tendance mondiale mais la France n’est pas épargnée, avec de toutes jeunes filles mises sur le trottoir. Ce sont souvent des mineures en déshérence qui sont soit vendues par des familles dans une misère extrême – on l’observe dans certaines communautés issues des Balkans -, soit déracinées à la suite de conflits et de migrations.
Pourquoi est-il encore si difficile de démanteler les réseaux et de protéger les victimes ?
Yves Charpenel : Principalement pour deux raisons : d’une part, la grande majorité des affaires sont transnationales, car les réseaux sont internationaux, ce qui complexifie beaucoup le travail des enquêteurs ; d’autre part, parce que contrairement à d’autres formes de violences, les victimes ne coopèrent pas, ou très rarement, avec les autorités car elles sont paralysées par la peur.
D’où l’importance du texte abolitionniste voté par la France ce printemps (NDLR : loi du 13 avril 2016) qui, outre la lutte contre les trafiquants, mise sur d’autres vecteurs pour faire reculer l’exploitation sexuelle : la reconnaissance des prostituées comme victimes, l’aide à leur réinsertion et la pénalisation du client, pour tarir la demande.
Avec La croix