L’intelligence artificielle progressant rapidement, peut-on imaginer qu’un jour elle dépasse les capacités humaines ? Cette singularité technologique, comme on la nomme, est selon certains imminente. Futura-Sciences a interviewé Jean-Claude Heudin, directeur du laboratoire de recherche de l’IIM (Institut de l’Internet et du Multimédia) afin qu’il nous éclaire sur le sujet.
Ray Kurzweil fait remonter les débuts de la théorie de la singularité technologique à von Neumann, l’un des créateurs des ordinateurs modernes avec Alan Turing. Avec son collègue et ami Stanislaw Ulam, von Neumann a été un des premiers à utiliser les ordinateurs pour explorer les phénomènes physiques. Ces machines allaient donner un essor prodigieux à l’analyse et aux simulations numériques mais leur potentiel ne s’arrêtait pas là. On pouvait prévoir, et les chantres de la singularité technologique ne s’en privent pas, bien au contraire, que le développement de l’intelligence artificielle allait permettre d’émuler puis de dépasser les capacités humaines à faire des découvertes scientifiques.
Des physiciens dépassés par les ordinateurs ?
Un jour selon eux, des Feynman, des Fermi et des Grothendieck seraient égalés puis si rapidement surpassés que les progrès scientifiques et technologiques allaient brutalement devenir si vertigineusement rapides que tous les problèmes rencontrés par l’humanité au XXIe siècle allaient être résolus à l’horizon 2050. En fait, déjà dans 2001 l’Odyssée de l’espace d’Arthur Clarke, le superordinateur Hal 9000 est présenté comme capable de mener à bien tout seul une mission d’exploration de Saturne, ses anneaux et ses lunes alors qu’il faut de nos jours des chercheurs du calibre d’André Brahic pour faire de même avec la sonde Cassini.
Dans le livre à l’origine du film de Stanley Kubrick, 2001 l’Odyssée de l’espace, Hal 9000 est capable de conduire une mission d’étude de Saturne sans les Hommes et de prendre contact avec des E.T. Il peut donc égaler les chercheurs scientifiques. © Movieclips Trailers
On sait que récemment, Elon Musk, Stephen Hawking et Max Tegmark ont mis en garde contre les progrès de l’intelligence artificielle. Cela fait déjà un moment que Hawking avait prophétisé également que les ordinateurs allaient un jour prendre le travail des physiciens théoriciens. Il semble qu’il soit sur le point de le faire avec les physiciens expérimentateurs si l’on en croit un article déposé sur arXiv par des chercheurs australiens de l’université d’Adelaïde.
Les condensats de Bose-Einstein (BE) sont très étudiés en physique moderne et leur réalisation avec des atomes froids a d’ailleurs valu aux chercheurs qui les ont obtenu de cette façon, le prix Nobel de physique en 2001. Il récompensait notamment les travaux d’Eric Cornell et Carl Wieman qui sont parvenus en 1995 à générer pendant quelques secondes un condensat de Bose-Einstein constitué de quelques milliers d’atomes de rubidium prérefroidis par laser, puis refroidis plus avant par « évaporation » dans un piège magnétique.
Un explication de ce que sont les condensats de Bose-Einstein. © La Physique Autrement, YouTube
Un ordinateur qui apprend à faire des expériences en une heure
Ces condensats ont de multiples applications potentielles. Pour faire de la recherche fondamentale bien sûr mais ils permettent aussi de faire des mesures très fines, notamment de variations du champ magnétique et du champ de gravitation de la Terre, ce qui peut-être très utile pour faire de la prospection en géophysique. Mais pour cela, il faut pouvoir contrôler efficacement l’état d’un condensat de Bose-Einstein en jouant sur plusieurs paramètres comme ceux liés aux faisceaux lasers utilisés dans les expériences sur ce phénomène subtil de la physique quantique.
C’est normalement le travail des physiciens expérimentateurs que de découvrir comment jouer de la façon la plus efficace possible sur ces paramètres pour obtenir les meilleurs résultats possibles pour ce que l’on se propose de faire avec un condensat de BE. Les chercheurs australiens ont décidé d’utiliser l’intelligence artificielle pour résoudre ce problème. Les résultats obtenus ont été étonnants.
L’algorithme utilisé a appris en une heure seulement à gérer les expériences. Il y a quelques années, les algorithmes plus classiques auraient mis des milliards d’années pour trouver les combinaisons de réglages optimales en scannant toutes les combinaisons possibles. Là, l’ordinateur a même trouvé des variations de ces réglages totalement inédites et auxquelles un humain n’aurait peut-être pas pensé.
Devant un tel résultat, on comprend mieux les inquiétudes de Musk, Hawking et Tegmark. Mais d’un autre côté, des ordinateurs-physiciens et ingénieurs d’ici quelques dizaines d’années pourraient peut-être rapidement nous donner le moyen de concevoir et fabriquer des matériaux révolutionnaires comme des supraconducteurs à température ambiante ou encore piloter de façon optimale les expériences de fusion contrôlée avec Iter.
Avec lepouvoirmondial