Existe-t-il des traits communs aux entrepreneurs qui réussissent ? Directrice d’investissements chez Ventech, Audrey Soussan tente de répondre à la question et, pour cela, détermine, quatre portraits types de l’entrepreneur.
Ce que j’aime par-dessus tout dans mon métier d’investisseur, c’est de rencontrer des centaines d’entrepreneurs chaque année, et de constater à quel point ils sont différents les uns des autres… Certains sont très introvertis, calmes et posés, alors que d’autres sont extrêmement démonstratifs et dynamiques. Certains sont très pragmatiques tandis que d’autres sont plutôt idéalistes. Enfin, certains sont très confiants et optimistes, et d’autres, à l’inverse, très prudents.
Pourtant, demandez à n’importe quel investisseur en capital-risque quel est son premier critère d’investissement dans une entreprise, vous pouvez être certain qu’il vous répondra : « la qualité de l’équipe ». Puisque nous, investisseurs, sommes tous à la recherche des meilleurs entrepreneurs, je me suis demandé : existe-t-il des traits de personnalité communs à tous les bons entrepreneurs ? Pourrions-nous évaluer les chances de succès d’une entreprise en examinant le profil de ses fondateurs ?
Pour répondre à ces questions, j’ai décidé d’analyser toutes les entreprises prospères dans lesquelles Ventech a investi récemment et d’étudier le profil de leurs dirigeants. Voici les 4 catégories d’entrepreneurs que j’ai identifiées.
#1 Le visionnaire
Sébastien Fabre de VestiaireCollective, Denis Ladegaillerie de Believe Digital, et Hervé Brunet ou Gilles Chatelat de Stickyads.tv… Prenez ces quatre-là et demandez-leur ce qu’ils pensent des « copy-cats », ces startups qui clonent des entreprises étrangères afin de développer leur proposition de valeur localement. Je suis sûre qu’ils vous répondront que créer une entreprise en plagiant une idée d’un autre est loin d’être assimilable à de l’entrepreneuriat ! Pour eux, être entrepreneur, c’est avoir une vision, anticiper les évolutions de marché, avoir de nouvelles idées. Evidemment, ils se préoccupent aussi beaucoup de l’exécution mais leur principale force, c’est de pouvoir anticiper les tendances, de sentir le futur et de tester de nouvelles idées.
Parfois, ces entrepreneurs visionnaires sont uniquement guidés par leurs intuitions, parfois ils parviennent à prouver leurs théories. Je me souviens d’Hervé essayant de me démontrer comment le programmatique allait devenir le nouveau standard de la publicité digitale (et c’était en 2012 !). Et mon collègue Alain Caffi se souvient très bien qu’en 2008, Denis lui expliquait pourquoi le CD allait disparaître et pourquoi les gens se mettraient à acheter de la musique en ligne, plutôt que de la pirater….
#2 Le fonceur
J’ai toujours été impressionnée par les fonceurs, mais j’en ai aussi toujours eu un peu peur. Leur excès d’optimisme et leur confiance en eux me font parfois craindre qu’ils soient irréalistes, presque naïfs. Je les prends parfois pour des hyperactifs imprudents. Mais j’ai tort. Parce que, peu importe le sujet, peu importe le challenge à relever, et peu importe le délai, cet entrepreneur-là pense toujours que tout est réalisable… et qu’il pourra toujours s’en sortir ! Pourquoi ? Parce que la persévérance et l’exécution sont ses deux mots clés.
Cela me fait justement repenser à une discussion récente avec mon collègue Jean Bourcereau, à propos de Jean Canzoneri et Thomas Pasquet, les deux co-fondateurs d’Ogury…
Moi : Ils gèrent toujours les projets sur le mode « dernière minute », au pied du mur. Cela me rend nerveuse. Ne devrions-nous pas les aider à mieux anticiper ?
Jean : Ce n’est pas leur façon de gérer les projets qui sort de l’ordinaire. C’est leur façon de sauter sur toutes les opportunités et de les considérer toutes comme prioritaires ! Il s’agit pour eux de saisir chacune d’entre elles et de la rendre possible, même si cela nécessite une gestion en mode « dernière minute ».
J’ai compris ton point de vue Jean. Canzoineri et Pasquet appartiennent à la catégorie des « fonceurs ».
#3 L’expert sectoriel
Avant de lancer Withings en 2008, Eric Carreel et Cedric Hutchings avaient accumulé chacun 10 ans d’expérience et d’expertise dans l’univers des télécommunications et le marché du sans fil. Chez Inventel, ils avaient déjà été pionniers dans le design d’objets connectés en créant la Livebox pour France Telecom. Personne d’autre n’aurait été plus crédible pour créer le champion européen des objets intelligents. Leurs expériences leur ont permis de gagner beaucoup de temps et d’argent, et de créer de fortes barrières à l’entrée dues à leur position de premier entrant.
Ce sont ces mêmes raisons qui ont poussé Ventech à investir dans Webedia. Après 10 ans dans l’industrie de la publicité digitale en ligne, Guillaume Multrier avait acquis l’expertise nécessaire pour fonder un media en ligne extrêmement profitable.
Ces entrepreneurs-experts sont non seulement idéalement bien placés pour anticiper les besoins du marché, mais ils sont aussi excellents dans l’exécution puisqu’ils gagnent facilement la confiance de leurs clients et partenaires, en raison justement de leur crédibilité et légitimité professionnelle.
#4 Le leader naturel
Je suis d’habitude plutôt chauvine, mais je dois bien avouer qu’on rencontre peu de leaders naturels parmi les entrepreneurs français. C’est la catégorie que j’ai le moins côtoyée pour l’instant. Et pour être tout à fait franche, je n’en ai réellement compris la puissance qu’après avoir rencontré Robin van Lieshout, le PDG de Insided. Cet homme est sans nul doute un leader né. Cette compétence est un « mix » entre communication, empathie (intelligence sociale, compréhension de l’autre) et inspiration.
L’un des principaux challenges d’un entrepreneur est d’attirer les meilleurs talents, de donner envie à ses salariés de travailler pour lui. De les faire adhérer à sa vision. C’est exactement la force d’un leader naturel ! Peu importe le sujet, et que la période soit faste ou non, il sait motiver ses équipes et captiver leur attention. Ce qui est primordial pour un bon management et pour une bonne exécution.
L’entrepreneuriat n’est plus un « One man show »
Bien entendu, ces quatre catégories sont très caricaturales. Un entrepreneur peut parfaitement être un mélange de deux ou trois de ces catégories. Toutefois comprendre de quel catégorie d’entrepreneur vous êtes le plus proche, peut vous aider à choisir votre équipe, celle qui conviendra le mieux à votre tempérament.
Tous les entrepreneurs partagent une chose : ils ne sont jamais seuls. Le profil visionnaire de Sébastien Fabre et d’Hervé Brunet est puissamment structuré par le duo qu’ils forment respectivement avec Olivier Marcheteau et Gilles Chetelat. Le tempérament combatif de Jean Canzoneri est magnifiquement contrebalancé par son binôme Thomas Pasquet. Et la complémentarité entre Cédric Sire et Guillaume Multrier chez Webedia est aussi l’une des clés de leur réussite, tant sur l’aspect opérationnel que commercial.
Nous ne devrions jamais oublier que c’est la diversité permet aux équipes de progresser et que l’entrepreneuriat en mode « one man show » n’est plus d’actualité.
avec lesechos.fr