Avant, pour avoir de l’eau dans son village en Egypte, Aaz Menhom devait frapper à la porte des voisins au moins dix fois par jour avec un seau. Aujourd’hui, grâce aux clics d’internautes, elle a enfin un robinet dans sa cour.
Si cette jeune mère à la silhouette frêle peut maintenant cuisiner et faire la lessive sans transporter de lourds seaux d’eau dans ce hameau d’Al-Jendaya, à 200 km au sud du Caire, c’est grâce au « clickfunding », littéralement « financement par des clics » en anglais. Un concept innovant lancé en Egypte par une start-up, Bassita.
Bassita, cela signifie « simple » en arabe, simple comme son principe : pour financer une bonne cause dans un pays où plus de 40% des foyers ont accès à Internet, Bassita lance des campagnes sur les réseaux sociaux qui font le buzz, photos ou vidéos ludiques présentant un micro-projet de développement, que les internautes sont invités à « tweeter », « liker » et partager. Une fois un certain nombre de clics atteint, des sponsors financent le projet.
« C’est un don du ciel », s’extasie Aaz Menhom, 27 ans, dans sa maison d’une pièce pauvrement meublée, qu’elle et ses deux enfants partagent avec sa soeur et ses cinq neveux. Joignant ses mains sous l’eau qui jaillit du robinet sommaire à peine installé dans la cour en terre battue, elle fait boire son fils Atef, cinq ans, et sa fille Nada, six ans, tout excités. « Je leur faisais prendre un bain tous les quatre jours, maintenant ils pourront se laver tous les jours », confie-t-elle rayonnante, les cheveux couverts par un foulard motif panthère.
« Vous êtes à un clic de changer le monde », prévient le site internet de Bassita, fondée en août 2014 par deux jeunes trentenaires venus de France et installés depuis plusieurs années au Caire, Alban de Ménonville et Salem Massalha.
Philanthrope
Leur objectif : « révolutionner » la publicité en ligne, en misant sur la fibre « sociale » des entreprises.
En tant que patron d’une société, « si je veux (placer) une publicité sur Facebook pour toucher un million de personnes, Facebook va me demander (de payer) un prix », explique M. de Ménonville. « Au lieu de payer Facebook, on propose (à l’entreprise) de payer pour quelque chose de positif, et en échange c’est l’internaute qui va donner de la visibilité » à cette société partenaire du projet, s’enthousiasme le jeune homme.
« Ce que l’on dit à l’internaute, c’est qu’il se transforme en philanthrope », résume M. Massalha, d’origine égyptienne. « A notre connaissance, personne d’autre n’utilise ce modèle jusqu’à présent ».
Bassita se targue de plusieurs succès dans des domaines très éclectiques.
Fin 2014, en partenariat avec un opticien du Caire, la start-up avait mené une campagne pour financer mille paires de lunettes destinées notamment à des brodeuses du Fayoum, une province déshéritée au sud-ouest du Caire.
Bassita a aussi organisé fin 2015 une campagne pour permettre à une trentaine d’enfants issus d’un quartier défavorisé du Caire et qui n’avaient jamais vu la mer, de passer un jour à la mer Rouge, grâce aux financements d’une école privée.
Exporter le concept
En février, c’est via l’Unicef qu’Aaz Menhom a bénéficié des clics de la start-up, dans le cadre d’un projet d’adduction de l’eau courante pour 1.000 foyers dans le sud de l’Egypte, un pays où 7,5 millions de personnes n’ont pas accès à de l’eau salubre à domicile.
En trois jours, une vidéo tournée avec le célèbre comédien Maged el-Kedwany et accompagnée d’un hashtag en arabe « Le clic connecte à l’eau », appelant à « partager » la vidéo, a été visionnée plus de 2 millions de fois sur Facebook.
Bilan : une centaine de foyers ont été connectés à l’eau courante depuis la mi-mars, selon l’Unicef. Et « dans les six prochains mois, 1.000 familles auront des connexions à l’eau dans quatre gouvernorats » du sud, se félicite le représentant de l’Unicef en Egypte, Bruno Maes, qui salue en Bassita « un mécanisme innovant pour la collecte de fonds ».
Plusieurs entreprises financent le projet, qui comprend aussi une sensibilisation à l’hygiène, pour un coût total de 1,5 million de livres égyptiennes (149.000 euros). Parmi les sponsors figurent le géant américain des produits ménagers SC Johnson, la compagnie égyptienne Wadi Degla active notamment dans l’immobilier, ou encore Careem, une application émiratie de Véhicules de Tourisme avec Chauffeur (VTC). Bassita cible les entreprises privées.
« Au final, tout le monde est gagnant : plus il y aura de gens qui voient la campagne, plus il y a d’argent investi, et plus les entreprises partenaires gagnent en visibilité », estime la directrice de Careem en Egypte, Hadeer Shalaby.
Plusieurs fois primée, Bassita a remporté en 2015 le Prix Orange de l’Entrepreneur Social en Afrique.
Ses créateurs rêvent désormais d’ouvrir un bureau à Paris, pour exporter leur concept.
« L’Europe a besoin de projets pour l’environnement, l’Afrique peut-être plus pour la santé ou les transports. Mais c’est un même modèle qui s’applique à l’ensemble de ces problèmes », lance avec enthousiasme M. de Ménonville.
avec businessmanagementafrica