L’Afrique est à la croisée des chemins. La croissance économique s’est consolidée sur la majeure partie du continent et, dans de nombreux pays, les exportations sont en pleine expansion, les investissements étrangers en hausse et l’aide extérieure moins nécessaire.
Les réformes de gouvernance transforment le paysage politique. La démocratie, la transparence et la responsabilisation des pouvoirs publics progressent, donnant aux habitants de la région un plus grand poids dans les décisions qui touchent leur quotidien.
Dans le même temps, malgré les richesses créées par la croissance, les États ne parviennent pas à assurer à l’ensemble de leurs concitoyens les perspectives qui leur permettraient de se forger un meilleur avenir. Les inégalités se creusent. La pauvreté ne recule guère au rythme attendu, et, par rapport aux autres régions du monde, l’Afrique paye un tribut de plus en plus lourd à la malnutrition et à la mortalité infantile.
La région a besoin d’une croissance à long terme qui profite à tous ses habitants. Cela n’exige rien de moins qu’une transformation économique, avec pour préalable la mise en place de mécanismes financiers durables et inclusifs.
L’impossibilité d’accéder à des services financiers formels est un frein majeur à l’avènement d’une croissance porteuse de transformations profondes sur le continent. Le niveau d’accès aux services financiers en Afrique est le moins élevé au monde. Un Africain sur cinq possède un compte dans une institution financière officielle ; les pauvres, les habitants des zones rurales et les femmes sont les plus désavantagés. Une telle exclusion financière compromet la possibilité de réduire la pauvreté et de stimuler une croissance qui profite à tous.
L’agriculture est le secteur qui pâtit le plus de l’exclusion financière. Selon le Rapport 2014 sur les progrès en Afrique intitulé Agriculture, pêche et capitaux : comment financer les révolutions verte et bleue de l’Afrique, il est indispensable de fournir un accès aux services financiers (crédit, épargne, assurance) aux exploitants agricoles afin qu’ils puissent s’assurer contre les risques (sécheresse ou autre) et investir plus efficacement dans des semences, des fertilisants et des produits phytosanitaires de meilleure qualité. Privés de la possibilité de souscrire à une assurance, les agriculteurs conservent leurs maigres économies pour les imprévus et ne sont pas en mesure de consacrer leur épargne à des investissements grâce auxquels ils pourraient accroître leur productivité. De la même façon, comme ils ne peuvent ni contracter de prêt ni confier leur épargne à un établissement spécialisé, ils se retrouvent souvent dans l’incapacité de saisir des opportunités commerciales.
Il est indispensable de transformer l’environnement financier en Afrique. Il y a dix ans, les pays africains sortaient tout juste de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés. Aujourd’hui, ces mêmes pays, pour la plupart, sont entrés sur les marchés des obligations souveraines. Cependant, l’Afrique ne peut couvrir ses besoins financiers en matière de développement des infrastructures et des compétences par le seul biais de l’aide et du financement par l’emprunt sur les marchés officiels. Voilà pourquoi rien ne peut se substituer au financement intérieur. Hélas, la croissance économique a très peu contribué à accroître le taux d’épargne ou la proportion du PIB provenant des recettes fiscales nationales, et ces deux aspects soulignent la nécessité de mener des réformes institutionnelles.
Une plus grande inclusion financière permettra à l’Afrique d’exploiter le gigantesque potentiel de ses ressources intérieures afin de financer son déficit considérable en matière d’infrastructures et d’énergie. Comme l’a indiqué à plusieurs reprises Kofi Annan, président de l’Africa Progress Panel : « L’un des plus grands freins à la transformation du secteur de l’énergie réside dans l’insuffisance du recouvrement de l’impôt et dans l’incapacité des gouvernements à instaurer un système fiscal solide. Les impôts peuvent couvrir près de la moitié des besoins de financement de l’Afrique subsaharienne. » L’édition 2015 du Rapport sur les progrès en Afrique : Énergie, population et planète décrit plus en détail le déficit de financement de l’énergie en Afrique.
Certains pays tirent parti des fonds de pension pour financer le secteur de l’énergie, comme le Ghana, le Mozambique et le Nigéria, qui ont fait le choix d’une stratégie de financement plus active en faveur de leur secteur énergétique respectif. Généralement, le montant des investissements provenant des fonds de pension reste limité, mais il témoigne de la possibilité d’exploiter une réserve d’épargne importante.
Lors du dernier Forum économique mondial de Davos en janvier 2016, Tidjane Thiam, membre de notre panel et PDG de Crédit Suisse, a souligné avec pertinence que « les capitaux existent en Afrique ; l’inexistence de fonds de pension est une aberration. Du fait de l’essor démographique de la région, il est temps de mettre sur pied ce type de fonds. »
Le secteur bancaire et financier en Afrique a besoin d’être repensé. Fort heureusement, une dynamique s’est déclenchée. Déjà, les services bancaires de particulier à particulier ou via la téléphonie mobile prospèrent. De plus en plus d’Africains sont convaincus par les vertus de l’épargne intérieure et celle-ci sera captée par les marchés des assurances qui apparaîtront bientôt.
Pour répondre aux besoins des 80 % d’Africains exclus du système financier, latechnologie mobile est un facteur clé. Les banques locales doivent se mettre à fonctionner comme des banques dignes de ce nom afin de répondre aux demandes de PME dirigées pour un grand nombre d’entre elles par des agro-entrepreneurs dynamiques. Les fonds de pension seront de plus en plus considérés comme une source pérenne de capitaux, aussi essentielle qu’exaltante.
Si l’on veut libérer pleinement le potentiel de l’Afrique, au profit de tous les Africains et des générations à venir, il faut transformer son environnement financier. Et il faut s’y mettre dès maintenant.
Avec n.afrique