Sous l’impulsion du groupe familial, le Tunisia-Africa Business Council tente de renforcer la présence des entreprises locales au sud du Sahara. Car, pour l’instant, le pays est à la traîne.
« Tout le monde parle de la croissance économique en Afrique subsaharienne et des opportunités d’affaires dans la région. Mais quand vous demandez à des hommes d’affaires tunisiens ce qu’ils ont fait pour se développer en Afrique, la réponse est quasiment toujours la même : rien ! » Fin mars, à Abidjan, Bassem Loukil, 51 ans, cachait difficilement l’agacement pointant sous son allure débonnaire.
Pour le directeur général du groupe industriel et de distribution Loukil, l’offensive économique de la Tunisie au sud du Sahara est restée un vœu pieux, et le défi reste entier.
Un vide à combler
Les chiffres sont éloquents. Les échanges commerciaux entre la Tunisie et l’Afrique subsaharienne ont atteint 342 millions d’euros en 2013 (dont 290 millions d’euros d’exportations, soit 2,4 % du total des exportations tunisiennes), contre plus de 1 milliard d’euros pour le Maroc. Et si un dixième des 6 000 entreprises exportatrices tunisiennes écoulent leurs produits au sud du Sahara, elles ne sont que quelques dizaines à y compter des filiales. Enfin, aucune banque tunisienne ne compte d’implantation au-delà du tropique du Cancer.
Pour combler cette absence, Bassem Loukil et son frère Walid, 42 ans, directeur général adjoint chargé du développement à l’international du groupe familial, ont créé le Tunisia-Africa Business Council (TABC) avec une poignée d’hommes d’affaires tunisiens. Lancée officiellement en octobre 2015, cette association se veut une passerelle à travers le Sahara.
« Nous voulons sensibiliser les entrepreneurs tunisiens au potentiel africain, les accompagner dans leurs projets et créer des ponts vers l’Afrique subsaharienne », explique Bassem Loukil, dont le groupe réalise 15 % de ses ventes dans cette région où il compte des filiales en Côte d’Ivoire et au Burkina, ainsi que des bureaux au Togo, au Mali et au Tchad.
Le TABC est loin d’être la première initiative visant à accroître la position de la Tunisie au sud du Sahara. Le Centre de promotion des exportations (Cepex), un organisme public, organise régulièrement des sessions de formation à destination des entrepreneurs et des salons consacrés à cette thématique.
La plateforme Tunisie Afrique Export, cofondée par Néjib Ben Miled, patron de la Société des foires internationales de Tunis (SFIT), Taoufik Mlayah, PDG de la Société de commerce international de Tunisie (SCIT), et Férid Tounsi, ancien directeur de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (Apii), poursuit le même objectif. Quant au capital-investisseur Africinvest (ex-Tuninvest), il compte une cinquantaine de participations dans des sociétés actives en Afrique subsaharienne.
Une stratégie visant à développer les rencontres entre entrepreneurs
Mais cette effervescence, pour l’instant, ne porte pas ses fruits. Un revers qui reflète, selon les frères Loukil, certains travers du capitalisme tunisien : unetradition commerciale tournée vers l’Europe et les pays du Golfe, et une approche des affaires excessivement bureaucratique et proche de l’État.
Le TABC entend privilégier une démarche différente : des missions d’une semaine dans un pays d’Afrique subsaharienne, composées de délégations de quelques dizaines d’entrepreneurs participant à des séries de rencontres « B to B » avec des acteurs locaux. « Pas de paperasse, pas de bureaucrates, une approche pragmatique, droit au but », insiste Walid Loukil. Cette façon de faire n’est pas sans rappeler les « caravanes de l’export » organisées sur le même mode par les autorités marocaines.
La première mission du TABC a eu lieu au Mali, du 21 au 24 janvier, avec une trentaine d’entrepreneurs tunisiens. Elle a permis de lancer une quinzaine de projets dans la santé, l’enseignement supérieur, le traitement des eaux et le BTP. La deuxième, menée au Cameroun du 2 au 8 avril, a rassemblé plus de 35 sociétés tunisiennes, qui ont rencontré environ 230 entreprises locales (80 à Yaoundé et 150 à Douala).
Selon Bassem Loukil, cette mission devrait elle aussi se traduire par de nouveaux projets. À la fin de son mandat de deux ans à la tête du TABC, fin 2017, le patron du groupe Loukil espère que 500 sociétés tunisiennes seront actives en Afrique subsaharienne.
Loukil, un groupe passe-frontières
C’est dans son berceau familial de Sfax que l’ingénieur agronome Mohamed Loukil pose, en 1976, la première brique de ce qui deviendra, quarante ans plus tard, l’un des groupes industriels et de distribution les plus diversifiés du capitalisme tunisien. Initialement spécialisé dans l’importation de minitracteurs japonais, le groupe Loukil se lance au début des années 1980 dans la fabrication et la distribution d’équipements agricoles puis de matériel de travaux publics, toujours avec des partenaires nippons.
Durant la seconde moitié des années 1990, le fils aîné, Bassem, revenu des États-Unis avec un doctorat en management industriel, prend les rênes du groupe familial et le fait entrer dans les télécoms et l’automobile. Puis, à partir des années 2000, son frère Walid se charge du développement à l’international, principalement en Afrique. Point commun entre le père et ses deux fils aînés (ses deux filles et son dernier fils ne font pas partie de la direction du groupe) : leur capacité à sortir des frontières d’un marché tunisien petit et souvent préempté, pour saisir des opportunités, tant à l’import qu’à l’export.
Aujourd’hui, le groupe rassemble une trentaine de filiales, de la distribution automobile (notamment des marques Citroën et Mazda) à l’énergie éolienne en passant par la robinetterie. En semi-retraite, Mohamed Loukil, 76 ans, reste impliqué dans le groupe, dont il préside le conseil d’administration. En 2016, le chiffre d’affaires du conglomérat familial devrait atteindre 368 millions d’euros, contre 322 millions en 2015.
Avec Jeune Afrique.