Deux décennies qu’il évolue dans les plus hautes sphères du pouvoir centrafricain. À 62 ans, cet ancien ministre multicarte est désormais président de l’Assemblée nationale… et voit plus loin.
Son destin tisse la trame d’un roman politique complexe, avec ce qu’il faut de fulgurances, de rebondissements et de secrets, tant il est vrai qu’à 62 ans celui qui est depuis le 6 mai président de l’Assemblée nationale et, à ce titre, numéro deux de l’État centrafricain, a déjà vécu plusieurs vies.
Celle d’un enfant du Kilomètre 5, quartier musulman de Bangui où ce fils d’un commerçant d’origine nigérienne a vu le jour un 31 décembre. Celle d’un étudiant en France, brillant docteur en ergonomie, enseignant chercheur au Conservatoire national des arts et métiers, dont le cabinet de conseil a eu pour clients quelques-unes des pointures du CAC 40. Celle d’un apporteur d’affaires avisé, administrateur chez Servair et président du conseil d’administration de la Société congolaise de gaz, au carnet d’adresses impressionnant.
Celle d’un ami des personnalités, protégé hier d’Omar Bongo Ondimba, de Blaise Compaoré et d’Amadou Toumani Touré, proche aujourd’hui de Denis Sassou Nguesso, des Français Jean-Yves Le Drian et Claude Bartolone, des Belges Louis Michel et Didier Reynders, mais qui a toujours su mener seul sa barque, au service d’une ambition personnelle et d’une passion centrafricaine étroitement liées.
De multiples dans le monde de la politique
Abdoul Karim Meckassoua, « Karim », pour tout le monde, a débuté sa carrière politique dans le sillage d’un intellectuel centrafricain de grande qualité qui fut un peu son mentor : Jean-Paul Ngoupandé. D’abord comme opposant au régime d’André Kolingba, puis comme directeur de cabinet de son ami devenu Premier ministre d’Ange-Félix Patassé, à la fin des années 1990.
L’expérience est aussi courte (huit mois) que douloureuse : interpellé un jour de janvier 1997 par la sécurité présidentielle, il est sévèrement molesté et doit quitter son poste.
Retour à Noisy-le-Grand, où Karim épouse sa compatriote Annie, née Bogangabe, dentiste de profession, puis se rapproche d’un ancien chef d’état-major de Patassé entré en rébellion : François Bozizé. Lorsque ce dernier s’empare du pouvoir, en mars 2003, Karim est à ses côtés.
Chacun s’accorde à reconnaître (ou à redouter) la vive intelligence de cet homme
Pendant près d’une décennie parsemée de ruptures et de réconciliations entre les deux hommes qui se méfient l’un de l’autre et partagent un même goût du secret, Meckassoua collectionne les portefeuilles de ministre d’État (six), acquiert le surnom de « Monsieur Audit » pour sa propension à revisiter au laser les faits et méfaits de ses prédécesseurs, et se constitue une solide liste d’ennemis. Sa personnalité complexe, clivante et parfois insaisissable ne facilite pas, il est vrai, la fluidité des relations, même si chacun s’accorde à reconnaître (ou à redouter) la vive intelligence de cet homme de réseaux.
Après la chute de Bozizé, en mars 2013, Karim Meckassoua se tient soigneusement à l’écart du régime erratique de Michel Djotodia – d’autant qu’il est lui-même musulman, donc susceptible d’être mis dans le même sac, aux yeux de la population, que les soudards de la Séléka. Postulant malheureux à la présidence de la transition face à Catherine Samba-Panza, il s’éloigne vite de cette dernière puis la combat ouvertement, au point d’être, un moment, interdit de sortie du territoire.
Une place de choix
En juillet 2015, le voici candidat à l’élection présidentielle de décembre. Très apprécié au ministère français de la Défense, soutenu par Denis Sassou Nguesso, qui a remplacé Omar Bongo Ondimba dans le rôle de parrain, Meckassoua mène campagne à grands frais mais ne récolte que 3,21 % des suffrages au soir du premier tour. Un score évidemment très en deçà de ses espérances, qu’il prend pour un coup d’essai et dont il se console en récupérant son siège de député.
Discrètement rallié à Faustin-Archange Touadéra entre les deux tours malgré les tentatives d’Anicet-Georges Dologuélé pour l’attirer dans son giron, Meckassoua a bénéficié de l’appui du nouveau président pour se faire élire au perchoir face à deux poids lourds : Dologuélé et Martin Ziguélé.
Un « deal » qui le place désormais en position idéale pour dominer l’arène politique en attendant les prochaines échéances. Difficile de croire en effet que Karim Meckassoua compte en rester là. S’il est un mot que l’ancien boxeur (amateur) du club de Fatima a appris en politique, c’est bien celui de résilience.