Maîtrise de l’inflation, du déficit budgétaire et de l’endettement, hausse des investissements… Le pays a fait des progrès spectaculaires. Vivement qu’ils bénéficient à tous !
Elle ne se « mange » pas, comme on a coutume d’ironiser en Afrique. Mais, en Côte d’Ivoire, la croissance se voit. Du moins à Abidjan. En un an, les progrès y ont été spectaculaires. Nouveaux centres commerciaux, nouveaux restaurants, nouveaux immeubles, nouveau pont, nouveaux chantiers, des rues plus propres, une circulation plus fluide… Tout cela confère à la capitale économique une effervescence peu commune en Afrique.
Et voilà, de surcroît, que la Banque européenne d’investissement (BEI) transfère son siège ouest-africain de Dakar à Abidjan pour se rapprocher de laBanque africaine de développement (BAD), avec laquelle elle monte de nombreux projets et qui a quitté Tunis pour revenir dans la capitale ivoirienne !
Des indicateurs prometteurs !
Au moment où la grande Chine perd ses étoiles dans les analyses des agences de notation, la petite Côte d’Ivoire améliore mois après mois sa position aux yeux de ces gardiens du risque-crédit. Car presque tous les signaux y sont dans le vert.
La croissance ? On chipote à ce sujet : les autorités ivoiriennes prétendent avoir dépassé les 10 % en 2015, quand le FMI l’estime à 8,6 %. Avec 10,7 % en 2012, 9,2 % en 2013 et 8,5 % en 2014, on ne peut pas dire que la Côte d’Ivoire souffre le moins du monde du ralentissement économique perceptible dans le reste de l’Afrique.
L’inflation ? Jugulée à un taux moyen de 1,2 %. Le déficit des échanges courants ? Contenu à 1,7 % du PIB. Le déficit budgétaire ? Limité à moins de 3 % du PIB, mieux que la France ! L’endettement ? Maîtrisé à 41 % du PIB, quand la moyenne de l’UEMOA est de 74 %.
Les investissements ? Multipliés par 3,2 depuis 2011. Le salaire minimum ? Augmenté de 64 %. Les rémunérations des fonctionnaires ? Revalorisées de 12 % en 2014, après vingt-sept années de stagnation. Les emplois ? Plus de 2 millions ont été créés. Le revenu par habitant ? Amélioré de 20 %. Les prix agricoles payés aux planteurs ? Tous en hausse : cacao, café, anacarde, manioc… Le président, Alassane Ouattara, n’en est pas peu fier et insiste : « Nous avons réduit de moitié la pauvreté en quatre ans. »
Si elle a réalisé ces progrès grâce à l’investissement public, largement financé par l’aide extérieure, la Côte d’Ivoire entend accélérer la cadence jusqu’à l’émergence grâce à l’entreprise privée. Elle figure donc parmi les dix pays qui ont le plus amélioré leur climat des affaires dans le monde, selon le classement « Doing Business » de la Banque mondiale, et, selon le Centre de promotion des investissements (Cepici), 40 entreprises y naîtraient chaque jour.
Le FMI peut s’inquiéter du financement des projets en partenariat public-privé (PPP), telles l’extension du port d’Abidjan ou la rénovation de la voie ferrée Abidjan-Ouagadougou. Il est néanmoins obligé de convenir que la Côte d’Ivoire ne ralentira ni en 2016 ni en 2017.
L’agence de notation ivoirienne Bloomfield Investment a beau souligner que le service de la dette a fortement progressé au point de dévorer 30 % des ressources propres de l’État, son vice-président et chef économiste, Youssouf Carius, ne peut que reconnaître que cela affectera peu la trajectoire du pays.
Vers une réduction de la pauvreté…
« J’ai été le premier surpris, déclare-t-il, mais des trois scénarios élaborés par le Programme national de développement [PND 2012-2015], c’est le plus ambitieux, celui appelé « le triomphe de l’éléphant » [voir tableau p. 91], qui a été réalisé. Tout laisse à penser que la croissance de la Côte d’Ivoire se maintiendra à un niveau très élevé, car elle est redevenue un modèle de stabilité. »
Les dépenses en faveur des pauvres ont doublé
Mais au sortir d’une crise qui a duré une quinzaine d’années, il était impossible d’espérer que le quotidien des Ivoiriens s’améliore au même rythme que les principaux indicateurs économiques. Ce qu’admet Adama Coulibaly, directeur de cabinet du ministre de l’Économie et des Finances. « Nous avons fait énormément, explique-t-il.
Les dépenses en faveur des pauvres [santé, éducation, assainissement, pistes rurales] ont doublé, de 850 à 1 790 milliards de F CFA [1,3 à 2,73 milliards d’euros]. Nous avons créé une couverture maladie universelle, un fonds pour les femmes, un autre pour les jeunes, bâti des écoles et rénové des universités… Mais j’entends dire que cela n’a pas d’impact pour la ménagère. Il est vrai que la population a beaucoup souffert et qu’elle est impatiente, mais ce n’est pas en trois ou quatre ans que l’on peut satisfaire ces exigences légitimes ! »
De fait, la classe moyenne a du mal à boucler son budget. Le prix de l’électricité aurait bondi de moitié en deux ans. L’absence de concurrence portuaire génère des tarifs supérieurs à ceux des autres ports africains, ce qui, par contrecoup, renchérit tous les produits d’importation. Les prix de l’immobilier ont explosé depuis le retour des personnels de la BAD, et se loger à Abidjan est devenu très onéreux.
Le FMI pointe un faible recul du taux de pauvreté : la proportion de la population vivant avec moins de 1,25 dollar par jour ne serait passée que de 48,9 % en 2008 à 46,3 % en 2015. Les « microbes », ces bandes de jeunes et d’adolescents en déshérence qui rançonnent les passants à Abobo, se font de plus en plus agressifs pour obtenir l’argent que le chômage endémique les empêche de gagner.
« Le rattrapage de la Côte d’Ivoire est dû au gigantesque travail fourni par le président Ouattara. Le reste prend plus de temps, et c’est normal », analyse Jean-Louis Giacometti, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie France-Côte d’Ivoire.
Education, justice et santé : les secteurs porteurs de solutions
« Pour que les entreprises puissent aider les Ivoiriens à mieux vivre, poursuit-il, il conviendrait de privilégier l’éducation en mobilisant des formateurs sur des métiers cibles comme la plomberie ou le commerce international, car les diplômes sont souvent inadaptés aux besoins des entreprises. Ensuite, il faudrait que la justice améliore son traitement des litiges commerciaux et fonciers. Enfin, le système de santé devrait devenir prioritaire, car on ne peut pas travailler quand on est malade ! » Il y a donc du pain sur la planche…
Si on demande à l’élite ce qu’elle attend du second mandat d’Alassane Ouattara, ce ne sont pas les mots « terrorisme » ou « insécurité » qui sont le plus souvent prononcés, mais les mots « valeurs » et « discipline » qui reviennent en boucle, même si ladite élite ne les met pas toujours en pratique…
Elle rêve de revenir à l’époque passablement fantasmée du président Houphouët-Boigny, quand les étudiants savaient écrire le français au sortir de l’université et avaient le goût de l’effort, quand la corruption était plus supportable, quand les règles élémentaires du code de la route, de la fiscalité ou du droit commercial étaient globalement mieux respectées.
Ce n’est pas économique, mais comportemental, dira-t-on ? Oh, que si ! Hier Singapour, aujourd’hui le Rwanda… tous deux ont bâti leur excellence économique – donc sociale – sur ces principes vécus collectivement. De leur mise en œuvre dépendra assurément la pérennité du « triomphe de l’éléphant ».
Un PND à 30 000 milliards
Il doit conduire la Côte d’Ivoire à « l’émergence ». « Il » ? Le deuxième Programme national de développement (PND 2016-2020), qui se fixe pour but de renforcer les institutions et la gouvernance, de développer le capital humain, de transformer l’économie en l’industrialisant, d’harmoniser les infrastructures et de développer l’intégration régionale.
Les objectifs sont ambitieux (par exemple, construire un chemin de fer Man-San Pedro et dix barrages hydroélectriques ou diviser par deux la pauvreté), et le coût important, puisqu’il faudra 30 000 milliards de F CFA (plus de 45 milliards d’euros) contre 11 000 milliards pour le premier PND. Un tiers devrait venir de fonds publics, un tiers des partenariats public-privé et un dernier tiers des investissements directs étrangers.
Au total, le secteur privé devrait fournir les deux tiers du PND. Une réunion se tiendra à Paris les 17 et 18 mai afin de mobiliser les bailleurs de fonds et les investisseurs internationaux… qui n’ont encore rien promis, même s’ils sont bien conscients des opportunités qu’offrent ces innombrables chantiers à venir.
Avec Jeune Afrique.