Roch Nepo examine les causes de la crise énergétique en Afrique sub-saharienne, de la mauvaise gouvernance à l’insuffisance des investissements et ébauche des pistes de solutions.
Depuis les indépendances et par-delà son étonnante diversité géographique, linguistique, culturelle, économique et politique, l’Afrique a connu plusieurs crises cycliques au plan énergétique.
Mais pour autant que mes souvenirs soient fidèles, c’est à la fin des années 1990 que fit son apparition sur le continent, en tant que phénomène socialement perceptible et économiquement handicapant, ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler trivialement « délestage » et qui occupe désormais une place de choix dans le vécu quotidien des populations des villes et campagnes du continent noir, au point de faire partie intégrante – certes à leur corps défendant – de leur inconscient collectif.
De quoi s’agit-il en fait ? De ce que la plupart des lexiques spécialisés d’usage courant définissent, en substance, comme étant « l’opération consistant à arrêter volontairement l’approvisionnement en énergie électrique d’un ou de plusieurs consommateurs pour rétablir rapidement l’équilibre entre la production et la consommation du réseau ». Il s’agit donc, au fond, d’une mesure de sauvegarde destinée à prévenir les risques d’effondrement brusque en tension ou en fréquence, susceptibles d’entraîner la coupure de la totalité d’un sous-réseau électrique.
On distingue ainsi, de façon classique, quatre (4) types de délestage, à savoir :
- le délestage sur ordre, survenant en fonction des heures de pointe de consommation et à la suite d’une intervention humaine directe idoine ;
- le délestage sur comptage de l’énergie, rendu nécessaire, dès lors que la mesure automatique de la moyenne de la puissance consommée en 10 secondes indique un dépassement de la puissance souscrite par une ou plusieurs catégories données de consommateurs (notamment ceux raccordés en haute tension, avec une puissance souscrite supérieure ou égale à 250 KVA)
- le délestage sur seuil de puissance et/ou de courant, se traduisant par la coupure automatique, au moyen d’un relais ad hoc, des « départs » de prises de courant jugés non prioritaires, des lors qu’un seuil prédéfini (de puissance ou d’intensité) est dépassé
- et enfin, le délestage sur seuil de fréquence qui se met automatiquement en place aussitôt que la fréquence du réseau franchit un certain seuil fixé par les instances compétentes en charge de la régulation de l’activité de production et de distribution de l’énergie électrique.
Voilà pour ce qui est de l’essai d’élucidation sémantique afin que, d’entrée, le lecteur profane soit « sensibilisé », un tant soit peu, aux rudiments d’un jargon éminemment technique et qui, de plus en plus, fait l’objet d’une récupération par le commun des mortels.
Il me paraît également utile de préciser que l’angle de traitement du présent dossier incline à réduire la crise énergétique en Afrique à celle du délestage électrique.
Le délestage est l’un des avatars les plus mortifères auxquels se trouve irrémédiablement assujetti l’Africain subsaharien contemporain, en cette ère du tout numérique où l’électricité a presque valeur d’oxygène.
Roch Nepo
Ce qui procède sinon d’un abus de langage, du moins d’un raccourci justifié par ce que, parmi les différentes sources et formes d’énergie disponibles dans la nature (force musculaire, eau, pétrole, charbon fossile, biomasse, bois, uranium, géothermie, marée motrice, soleil et vent), l’énergie électrique est incontestablement la plus élaborée, la plus propre et celle de plus grande importance de par la variété de ses applications : production de chaleur ou de froid, production de lumière, production de force motrice, électrochimie, télécommunications et nouvelles technologies de l’information et de la communication, etc.
Un mal porteur d’une immense détresse aux plans économique et social
Au-delà de la dimension savante des choses en termes de clarifications liminaires, le consommateur lambda retient du délestage dans sa version tropicalisée pour ainsi dire, avant tout, son caractère généralisé (plutôt que d’être circonscrit à une localité donnée, il concerne l’ensemble du territoire national), récurrent, arbitraire, sauvage, déstabilisant et singulièrement invalidant.
Ce qui en fait l’un des avatars les plus mortifères auxquels se trouve irrémédiablement assujetti l’Africain subsaharien contemporain, en cette ère du tout numérique où l’électricité a presque valeur d’oxygène, au propre comme au figuré.
En effet, dans ses manifestations les plus perverses, le délestage a ceci de particulier que son impact est quasi-instantané, brutal, massif, ne laissant d’autre choix à ses victimes sacrificielles que celui d’une résignation mêlée d’indignation et d’une révolte sourde sur fond de précarité des conditions de vie et de détresse tant physique que psychologique.
Un tel état de fait est d’autant plus mal ressenti par ceux qui en font les frais qu’en cas de préjudices subis, imputables au fournisseur d’énergie et quelle qu’en soit la gravité, il est très peu probable sinon vain de faire prospérer un éventuel recours devant quelque juridiction que ce soit, le présumé coupable ayant toute latitude de se prévaloir de la force majeure, si ce n’est simplement du fait du prince.
D’où le risque patent de consacrer de facto un déni de justice ou, à tout le moins, une situation de non-droit qui n’ose pas dire son nom.
C’est dire si l’on a affaire à un vrai phénomène de société, ravageant tout sur son passage et semblant se vautrer confortablement dans la durée; et ce, dans le mépris souverain d’une qualité de vie qui n’en finit pas de se détériorer au fil du temps et d’une économie rendue progressivement exsangue, peu productive, non compétitive, complètement délabrée, en raison de l’indisponibilité d’un des facteurs de production réputés les plus critiques après la ressource humaine et le capital…
Avec, bien évidemment, ses inévitables corollaires que sont une paupérisation galopante et un mal développement allant s’amplifiant inexorablement.
Ainsi, on ne compte plus le nombre d’administrations et d’entreprises ayant été contraintes à tourner au ralenti (service minimum oblige) ou à mettre purement et simplement la clé sous le paillasson; de micro-entrepreneurs ayant été réduits à néant, du jour au lendemain, du fait d’un outil de production subitement mis hors d’usage ou rendu moins performant; de malades littéralement privés des soins les plus élémentaires et condamnés à une mort certaine, violente et indigne, par suite d’interruptions intempestives, répétées et prolongées de la fourniture d’énergie électrique. Et j’en passe…
Pourtant, l’électricité est censée n’être plus un luxe, à l’heure du “mobile banking” et des réseaux sociaux aux mille facettes (pour ne citer que ces deux exemples) dont l’utilité pour la population, toutes couches confondues, n’est plus à démontrer.
Au contraire, elle est devenue un produit de première nécessité par excellence. Au même titre que l’eau potable.
Et c’est d’ailleurs pourquoi, du boulanger au bureaucrate en passant par le vendeur à la sauvette et le capitaine d’industrie, nul n’échappe aux méfaits du délestage.
Du moins théoriquement, c’est-à-dire abstraction faite des approches de solutions palliatives que les uns et les autres, en fonction de leurs contraintes respectives, de leur standing, mais surtout de leur pouvoir d’achat, essaient de trouver pour y remédier tant bien que mal.
Pour en revenir en particulier aux impacts, brièvement évoqués plus haut, de la crise énergétique sur la croissance économique et le développement, ils sont de plusieurs ordres et mériteraient que l’on s’y attarde quelque peu, en raison des graves conséquences susceptibles d’en résulter à court, moyen et long termes.
Dans cette perspective, il convient, en tout premier lieu, d’observer que la répercussion quasi-mécanique, sur les prix de revient des biens et services de consommation courante, des surcoûts exorbitants consécutifs à l’utilisation de groupes électrogènes pour suppléer, ne serait-ce que partiellement, à la pénurie d’énergie, a pour effet immédiat d’éroder sensiblement le pouvoir d’achat déjà relativement faible des agents économiques en général et des ménages en particulier.
Par ailleurs, au sein des entreprises privées et même dans l’administration publique à laquelle il revient de veiller à garantir un environnement favorable à la création de la richesse, on assiste, en raison du déficit énergétique chronique, à une baisse tendancielle de productivité induisant un cercle vicieux de contre-performances et, par ricochet, une perte vertigineuse de compétitivité (et donc de points de croissance) pouvant se solder, à terme, par des cessations d’activités, préjudiciables à l’emploi.
A cela, il faut ajouter le fait que l’indisponibilité du facteur critique de production que constitue l’énergie fait fuir les nouveaux investisseurs potentiels tandis que les entrepreneurs tant nationaux qu’étrangers déjà installés sur le territoire national, ont plutôt tendance à délocaliser une part sans cesse croissante de leurs activités dans des pays un peu mieux lotis au plan énergétique.
Double fracture, numérique et… électrique
Il en découle, par rapport aux pays du Nord, un risque élevé d’aggravation des fractures énergétique et numérique préexistantes, compte tenu de la consubstantialité avérée de ces deux phénomènes, dans un monde de plus en plus globalisé et fortement tributaire de l’énergie électrique, marqué par un développement prodigieux de l’économie du savoir et une accélération sans précédent du rythme de l’innovation technologique.
Dans ces conditions, il s’avère difficile, voire impossible, pour les pays africains, d’accéder véritablement à la modernité.
Autrement dit, ne pas régler le problème énergétique revient ni plus ni moins à se condamner d’emblée à une marginalisation certaine, à ramer à contre-courant du progrès et, par voie de conséquence, à refuser le développement.
Au total, tous ces impacts négatifs du délestage sont de nature à hypothéquer dangereusement les nombreux efforts consentis, à ce jour, en matière de politiques publiques, par les gouvernements africains, en vue de réduire la pauvreté et de promouvoir une croissance saine, soutenue et inclusive, créatrice d’emplois durables et décents.
Toutes choses qui constituent des préalables sine qua non à l’avènement d’un développement humain durable.
Cette fresque à peine réaliste qui vient d’être très grossièrement esquissée de la crise énergétique en Afrique n’est pas sans cacher un certain nombre de disparités, variables d’un pays à l’autre, notamment en termes d’amplitude (intensité) et de fréquence des dysfonctionnements constatés, même si l’option méthodologique a été faite, ici, de mettre surtout l’accent sur les points communs les plus représentatifs de la réalité observée.
C’est ce qui explique, par exemple, qu’entre la situation de pays comme le Maroc, l’Algérie, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire ou le Kenya, d’un côté, et celle de pays tels que le Bénin, le Nigeria, le Tchad, la Guinée Conakry ou le Burkina Faso, de l’autre, le hiatus peut parfois être aussi frappant que celui résultant de l’observation du jour et de la nuit.
Alors, les grandes questions à se poser sont bien celles-ci : comment, plus d’un demi-siècle après l’accession à la souveraineté formelle de la plupart d’entre eux, les pays africains ont pu en arriver là, affichant ce tableau ô combien triste et humiliant de misère et de dépendance énergétiques qui contraste fortement avec leur réputation avérée de régions si généreusement dotées en ressources naturelles de toutes sortes (cours d’eau comptant parmi les plus impétueux de la planète, façades maritimes s’étendant à perte de vue ; pétrole, uranium, soleil et biomasse à profusion…) ? Comment expliquer, comprendre et admettre un tel paradoxe pour le moins douloureux ? Et comment sortir enfin de cette impasse ?
Diagnostic sans appel
Avant que de tenter de répondre à ce faisceau d’interrogations fondamentales, prenons juste la peine de réexaminer la définition sommaire du délestage proposée en préambule et qui met en exergue le fait qu’en définitive, ce type de dysfonctionnement n’est que la résultante d’un déficit cruel entre d’une part, la capacité globale de production d’énergie électrique par les organismes habilités à cet effet; et d’autre part, les besoins de consommation exprimés par les ménages, les entreprises et les administrations.
Partant de ce constat basique, on peut en inférer que les principales causes explicatives du délestage sont de deux ordres :
- celles liées à la qualité globale intrinsèque des infrastructures de production, de transport et de distribution de l’énergie électrique en place ;
- celles découlant de l’existence ou non et de la performance relative d’un dispositif de planification et de prospective, à même d’anticiper les dynamiques sociodémographiques et les évolutions technologiques, en les intégrant à temps dans le processus d’élaboration des différents programmes d’investissements en matière de recherche et développement, de construction et de modernisation des équipements.
Si les délestages sont subitement devenus monnaie courante, à un moment donné du processus de développement des Etats africains, c’est bien parce que, du fait de leur relative vétusté et de leurs faibles capacités, les systèmes mis en place au lendemain des indépendances ne sont plus en adéquation avec les besoins sans cesse grandissants, consécutifs à l’explosion démographique et à l’évolution de l’appareil de production qui ont été enregistrées, en l’espace de quelques décennies, et dont il a été malheureusement fait peu de cas.
En conséquence et selon toute vraisemblance, il se pose un grave problème de gouvernance et de compétences, les deux allant souvent de pair.
A ce propos, il n’est d’ailleurs pas superflu de faire remarquer que tout a été déjà dit et redit, par les voix les plus autorisées, aussi bien en ce qui concerne le diagnostic que pour ce qui est de la thérapie devant être administrée afin de résoudre la crise de l’énergie en Afrique.
Comme on peut bien s’en douter, je n’ai donc nullement, ici, la prétention de réinventer la roue, s’agissant d’un sujet ayant fait l’objet, à ce jour, d’innombrables études émanant d’experts et d’institutions spécialisées dont la réputation est établie à l’échelle mondiale. Tant s’en faut. Je me contenterais plutôt, très modestement, de rappeler, en leurs grandes lignes, quelques-unes des causes identifiées et des recommandations formulées au terme desdits travaux et qui me paraissent devoir prioritairement retenir l’attention.
Dans cet ordre d’idées, pourraient être incriminés, au titre des causes profondes des délestages, les facteurs ci-après :
- Pendant très longtemps, la faiblesse relative de la part des budgets nationaux alloués au secteur énergétique n’a pas permis de financer convenablement les investissements devant assurer le renouvellement des équipements afin qu’ils puissent répondre efficacement à l’évolution quasi exponentielle des besoins.
- A cela s’ajoute le fait que l’énergie électrique est vendue à un prix largement subventionné, bien en-deçà du prix de revient. Conjugué à l’étroitesse des marchés intérieurs de nos micro-Etats, cela ne permet pas de couvrir les charges d’exploitation et de dégager une marge suffisante, susceptible d’être affectée au financement des investissements d’un secteur à forte intensité capitalistique.
- Malgré le niveau relativement élevé des subventions dont bénéficie l’énergie électrique, il ressort d’une récente enquête menée par l’hebdomadaire Jeune Afrique, que les tarifs auxquels sont soumis les Africains seraient parmi les plus élevés de la planète, alors que les coupures de courant électrique sont fréquentes. A titre d’illustration et selon cette étude, le consommateur africain paierait en moyenne 14 cents de dollar (13 centimes d’euro) son kilowattheure, quand son homologue d’Asie du Sud ne débourserait que 4 cents pour la même quantité d’énergie.
- Par ailleurs, une famille résidant dans une grande ville d’Afrique consacrerait environ 30% de ses revenus à l’énergie et, notamment, au paiement de sa facture d’électricité. Un tarif qui n’est pas toujours synonyme de qualité de service, certains pays comme le Nigeria accusant jusqu’à 260 heures de coupure dans un même mois. Au nombre des causes de cette cherté, figureraient: (i) le prix du fuel servant à alimenter les centrales électriques, (ii) des réseaux inadaptés, et (iii) le manque d’investissements déjà pointé supra.
- La faiblesse des crédits budgétaires affectés à la recherche et à l’innovation technologique dans le secteur énergétique n’est pas de nature à prévenir le risque particulièrement élevé d’obsolescence qui caractérise ce secteur, à un moment où, fort paradoxalement, il est de plus en plus question d’explorer des sources alternatives d’énergie. Ce qui requiert des ressources financières conséquentes
- On observe des lenteurs excessives et beaucoup de dysfonctionnements dans l’opérationnalisation effective des initiatives communautaires (projets sous-régionaux d’interconnexion ou de réalisation et d’exploitation d’infrastructures d’envergure tels que les barrages hydroélectriques et assimilés) censées optimiser les coûts de structure via de substantielles économies d’échelle inhérentes à la taille critique des programmes concernés et partant, améliorer sensiblement la rentabilité et les performances du secteur.
- Comme dans d’autres secteurs, les politiques de formation du personnel en vigueur ne sont pas toujours en adéquation, notamment d’un point de vue qualitatif, avec les besoins réels. En particulier, l’exigence de synchronisation et de mise en cohérence entre d’une part, l’ingénierie de la formation et d’autre part, l’ingénierie opérationnelle des projets, est rarement observée.
- Il s’ensuit un retour sur investissement-formation très aléatoire qui, par ailleurs, est de nature à impacter négativement la productivité de la ressource humaine et les capacités d’innovation du secteur ainsi que la qualité globale de son management.
Il s’observe, en matière de recouvrement de créances auprès d’un certain nombre d’institutions étatiques, parapubliques et assimilées, un laxisme coupable qui ne fait qu’obérer davantage un équilibre financier déjà précaire par nature.
La mobilisation des ressources en faveur du développement du secteur énergétique est loin d’être optimale, dans la mesure où des pans entiers du marché international des capitaux demeurent inexplorés à ce jour, alors même que nous nous trouvons en présence d’une problématique éminemment transversale qui – à un titre ou à un autre et eu égard à la fulgurante montée des interdépendances qui caractérisent le fonctionnement de l’économie mondiale contemporaine – , interpelle et intéresse les plus grands décideurs de ce monde.
Enfin, telle l’Arlésienne, le fameux mix énergétique optimal devant consister en une judicieuse combinaison de différentes sources d’énergies tant traditionnelles et fossiles que renouvelables (en fonction des contraintes technologiques et de coûts), peine toujours à se réaliser à grande échelle, sous nos latitudes tropicales, quand bien même quelques expériences pilotes isolées se feraient remarquer çà et là sur le continent et mériteraient d’être encouragées.
Pistes de solutions
Quant aux approches de solutions susceptibles d’être mises en œuvre, elles s’articulent autour des principaux axes que voici :
1. Rompre avec le fétichisme séculaire des énergies non renouvelables
Il s’avère de plus en plus impératif de se libérer définitivement du fétichisme des sources d’énergies traditionnelles et non renouvelables pour s’inscrire résolument dans une démarche plus hardie et novatrice, privilégiant systématiquement un recours accru aux énergies renouvelables, pour autant que celles-ci sont disponibles et accessibles tant en termes économiques que technologiques. Ceci suppose que l’on fasse l’option claire:
– d’investir massivement en matière de recherche & développement et d’innovation technologique ;
– de mobiliser, par conséquent, les ressources financières nécessaires.
En effet, la réalisation du mix énergétique (combinaison optimale du nucléaire, du charbon, du pétrole, du gaz naturel, du gaz de schiste, de l’hydroélectricité, de la biomasse, de l’éolien, du solaire thermique et photovoltaïque, de la géothermie, de l’hydrogène, et de l’hydrolien…), loin de procéder du luxe, d’un effet de mode ou d’un choix facultatif, est un passage obligé.
Elle répond, avant tout, à la double nécessité de produire de l’énergie en quantité suffisante et dans le meilleur rapport qualité-prix, tout en intégrant les nombreuses contraintes liées à la préservation de l’environnement qui apparaît, aujourd’hui, comme l’un des sujets de préoccupation les mieux partagés au monde.
Last but not the least, cette approche pourrait également, du fait de sa teneur relative en énergie verte ou propre, permettre d’initier de nouveaux projets de type « HIMO » (haute intensité de main d’œuvre), générateurs d’emplois durables et décents.
2. Opter pour un partenariat public-privé intelligent
En raison de sa forte intensité capitalistique, le secteur énergétique requiert, pour se développer de façon harmonieuse et durable, des investissements particulièrement massifs, peu compatibles avec les contraintes budgétaires de nos Etats et même des institutions communautaires.
Par ailleurs, il apparaît de plus en plus que, partout dans le monde, en matière de financement du développement, l’Etat a suffisamment montré ses limites en tant qu’intervenant direct, son métier devant désormais se recentrer sur ses missions régaliennes de création et de régulation du cadre institutionnel appelé à servir de catalyseur indispensable aux différentes initiatives émanant des autres acteurs socio-économiques.
C’est, sans aucun doute, ce qui, entre autres, explique l’émergence et le développement fulgurant du partenariat public-privé (PPP), à travers ses diverses modalités. A son tour et sous peine de devoir se retrouver dans une impasse, le secteur énergétique africain ne pourra pas longtemps rester en marge de cette tendance émergente appelée, très certainement à brève échéance, à devenir lourde, à l’échelle planétaire.
Ce d’autant que les compartiments généralement peu explorés du système financier (marchés obligataire, financier et des produits dérivés…) mettent à la disposition des emprunteurs étatiques et assimilés un type alternatif de ressources qui présente l’avantage inégalable, non seulement, de ne pas s’embarrasser de procédures inutiles et par trop alambiquées, mais aussi de résoudre définitivement l’éternel casse-tête de la faiblesse injurieuse des ressources en provenance de l’Etat central et des partenaires institutionnels/publics, au regard de la taille des besoins de développement de nos pays où tout ou presque est encore à faire, quel que soit le domaine considéré de l’activité humaine.
Seulement, il importe de veiller scrupuleusement à ce que ce type alternatif de financement soit assorti de conditions suffisamment concessionnelles (taux d’intérêt bien en-deçà de ceux en vigueur sur le marché et applicables aux opérations commerciales ordinaires, durée de remboursement et différé compatibles avec l’impératif de soutenabilité de la dette contractée) et qu’il n’ait pas pour effet d’hypothéquer l’avenir des braves populations sous quelque forme que ce soit (exemple : risque de bradage des ressources naturelles constituées en garantie, en cas de non remboursement ou d’immobilisation du crédit).
Enfin, les responsables en charge de la gouvernance du secteur énergétique gagneraient à cibler davantage d’autres acteurs institutionnels de second ordre tels que les collectivités décentralisées qui représentent, à n’en pas douter, le point d’ancrage, le creuset par excellence où s’enracine le vrai développement qui est, avant tout, synonyme de développement local.
En effet, les collectivités décentralisées offrent l’avantage d’une relative proximité, d’une plus grande accessibilité et d’une meilleure souplesse en termes de mécanismes de fonctionnement ou d‘intervention, quand bien même elles souffriraient d’une autonomie financière limitée du fait d’un transfert défectueux de ressources à leur profit par l’Etat central, en vertu des lois de la décentralisation.
Cependant, cette lacune pourrait être largement compensée en faisant appel aux instruments financiers évoqués ci-dessus et (pourquoi pas?) en essayant d’optimiser, autant que faire se peut, les effets de synergies inhérents à la coopération décentralisée avec les pays du Nord.
3. Mieux rentabiliser le secteur énergétique par la vérité des prix
A l’analyse, l’un des axes les plus pertinents et efficaces d’amélioration de la rentabilité du secteur énergétique est la stricte l’application de la vérité des prix.
Ceci revient à repenser ou à redimensionner de fond en comble, à défaut de la supprimer purement et simplement (ce qui, en l’état actuel des choses, relèverait d’une hérésie!), la politique de subvention systématique en vigueur, à ce jour; laquelle, reconnaissons-le, répond au légitime souci des pouvoirs publics, de rendre accessible à une population majoritairement pauvre un bien réputé collectif et tutélaire, en raison de sa grande utilité sociale.
Pour ce faire, plutôt que de continuer d’imposer des « prix politiques », les Etats devraient s’évertuer à promouvoir la pratique de prix justes (au sens comptable et commercial), à même de refléter fidèlement les contraintes d’exploitation, quitte à ce que des mécanismes appropriés soient trouvés pour rendre le prix de l’électricité supportable par les populations, au regard de leurs revenus. Ces nouvelles mesures d’accompagnement, à imaginer, pourraient prendre les formes ci-après une fiscalité plus adaptée aux spécificités du secteur ;
- un élargissement des marchés nationaux trop étroits et donc peu viables à terme, grâce à la mise à contribution de dispositifs idoines (existants ou à créer) d’intégration régionale;
- la mise en œuvre d’une politique commerciale plus agressive, ciblant le segment de clientèle haut de gamme représenté par les grands comptes (grands groupes industriels et miniers, secteur de la téléphonie mobile et des TIC, bancassurance, sociétés portuaires, etc.) qui permettent de réaliser l’essentiel du chiffre d’affaires ;
- la diversification des sources d’énergies aux fins de réduire les coûts de revient résultant d’une dépendance excessive des produits pétroliers (fuel) destinés à alimenter les centrales thermiques ;
- une amélioration du système ou des stratégies de recouvrement des créances auprès d’un certain nombre d’organismes publics qui ont la triste réputation de figurer sur la liste des plus gros débiteurs.
En tout état de cause, continuer à vendre l’électricité à perte ne peut que freiner considérablement le développement du secteur, en raison des effets pervers susceptibles de découler d’une telle pratique, en termes de surcoûts d’exploitation. Ce qui est contraire à l’objectif noble consistant à contribuer au mieux-être des populations.
4. Optimiser l’investissement-formation
Comme dans la plupart des secteurs de pointe, il importe de faire du développement des ressources humaines un atout majeur de la performance organisationnelle.
A cet effet, la priorité devrait consister à concevoir et à mettre en œuvre une démarche d’ingénierie des compétences qui maximise les synergies avec les compartiments opérationnels du secteur, de sorte à optimiser l’atteinte des objectifs stratégiques.
Ceci suppose l’application de procédures rigoureuses et suffisamment éprouvées en matière de sélection et recrutement du personnel, de gestion des carrières et de la mobilité, de rémunération et de motivation, de communication interne, d’évaluation et surtout de formation, de manière à concilier (ce qui ne va pas toujours de soi) projets personnels et projets organisationnels.
Ce n’est qu’en procédant ainsi que l’on pourra s’attendre à un retour sur investissement-formation à la mesure des enjeux en présence, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la productivité et des capacités d’innovation technologique.
5. Améliorer la gouvernance du secteur
Dans une double démarche d’audit et de reconfiguration des processus, toute la superstructure organisationnelle et institutionnelle mise en place aux échelons national (sociétés de production et/ou de commercialisation), sous-régional (exemples: West African Power Pool et South Africa Power Pool) et continental (exemple: Association des sociétés d’électricité d’Afrique) pour assurer la gouvernance du secteur énergétique, devra, si nécessaire, faire l’objet d’une remise à plat.
Ce faisant et à la suite d’une concertation générale, le cadre institutionnel en vigueur, y compris les instruments juridiques et réglementaires qui s’y rapportent, devra être réaménagé pour permettre à tous les acteurs et parties prenantes, autant qu’ils sont (pouvoirs publics, privé national et international, collectivités locales, partenaires au développement; coopération sous-régionale, régionale ou internationale, etc.), d’apporter une contribution qualitative, si modeste soit-elle, au développement et à une meilleure gouvernance du secteur.
De même, la planification et la prospective, outils scientifiques de gestion s’il en est, devraient être toujours de mise de façon rigoureuse, de sorte qu’aucune action ne pourra plus se mener en dehors des programmations issues de ces deux instruments qui, par ailleurs, auront à s’appuyer nécessairement sur un dispositif adéquat de suivi-évaluation.
6. Privilégier les projets à caractère communautaire, régional et international
S’il est tout à fait légitime, pour chaque pays, de chercher à réaliser son indépendance ou son autonomie en matière énergétique, une telle ambition ne saurait être nullement antinomique avec la prise en compte de certaines réalités objectives incontournables.
En effet, l’énergie électrique étant, par nature, difficilement stockable en grande quantité, la vraie question devrait plutôt se poser de savoir comment faire pour bénéficier des échanges d’énergie avec l’étranger – ce qui, au demeurant, constitue une pratique très courante dans le monde, à travers les interconnexions de réseaux –, sans pour autant en dépendre dans une trop forte proportion.
C’est pourquoi, une attention toute spéciale devrait être accordée à toutes initiatives à caractère communautaire, régional ou international, visant à mutualiser les ressources (naturelles, financières, technologiques, organisationnelles et institutionnelles, etc.) pour produire l’énergie électrique suffisante et la mettre à disposition des économies et des populations, dans un rapport qualité-prix le plus avantageux possible.
Dans cet ordre d’idées, il est souhaitable que, dans toute la mesure du possible, soit recherché le maximum de synergies avec un certain nombre d’initiatives heureuses en faveur de la promotion du secteur énergétique en Afrique, qui bénéficient d’un très fort soutien politique et institutionnel, et au nombre desquelles on peut citer :
- la fondation « Energie pour l’Afrique » de l’ancien ministre français Jean-Louis Borloo ;
- le programme « AKon Lighting Africa » d’électrification des zones rurales africaines par l’énergie solaire, initié par la star américaine d’origine sénégalaise, AKON (Alioune Badara Thiam, de son vrai nom) ;
- le programme « Sustainable Energy for All » (SE4ALL) des Nations Unies.
Les gouvernements africains gagneraient certainement à prendre une part plus active au processus de mise en œuvre effective de ces différents projets, en essayant d’intégrer dans leur arsenal de politiques publiques, un vibrant plaidoyer en faveur desdites initiatives.
Dans la mesure où, pour l’essentiel, les quelques mesures correctives très brièvement rappelées dans ces lignes connaissent déjà un début d’opérationnalisation, il y a tout lieu de croire que l’espoir est permis.
Avec n.afrique