La ville prend un nouveau virage grâce au retour de la croissance économique.
Illuminée par un subtil jeu de lumière orange, l’une des trois couleurs du drapeau ivoirien, la ville d’Abidjan a accueilli 2016 avec un impressionnant feu d’artifice. Vingt-cinq minutes durant, les fêtards de la capitale commerciale, autoproclamée « Perle des lumières », ont pu profiter d’un éblouissant spectacle de couleurs au-dessus de la lagune Ébrié.
Sur la rive, dans les hôtels imposants qui bordent les eaux peu profondes de la lagune et dans le Palais de la Culture de Treichville, les Ivoiriens interrogés par Afrique Renouveau se sont montrés optimistes à l’égard de la nouvelle année. Les festivités ont semblé refléter l’ambiance dans le pays et le discours officiel est qu’Abidjan est « revenu aux affaires ».
« Phé-no-mé-nal ! », titrait Fraternité Matin, le principal quotidien d’Abidjan, pour décrire le spectacle pyrotechnique. Mais au-delà de la fête et de l’éblouissant feu d’artifice, Babi (petit nom donné à Abidjan par ses habitants) retrouve de son éclat et compte des dizaines de chantiers destinés à rebâtir ses infrastructures.
Les effets conjugués d’un conflit armé, déclenché en 2002, et d’une violente crise postélectorale en 2011 ont dégradé une grande partie des infrastructures de la ville. En 2014, l’achèvement rapide d’un pont particulièrement attendu sur la lagune Ébrié est apparu comme le premier signe du renouveau de la ville. Sa construction avait été reportée pendant près de 20 ans.
Rénovation des infrastructures
Reliant le nord et le sud de la ville, le pont à péage de 1,5 km de long épargne aux navetteurs plusieurs heures de circulation ralentie. Début janvier 2016, par exemple, après un week-end prolongé, un trajet de 17 km en heure de pointe entre l’aéroport et le quartier des Deux-Plateaux à Cocody prenait seulement 35 minutes, contre au moins deux heures auparavant.
Le nouveau pont Henri Konan Bédié, du nom d’un ancien président, et sa bretelle sur le boulevard Valéry Giscard d’Estaing à Marcory constituent d’autres développements infrastructurels majeurs. La construction de nouveaux hôtels et la réhabilitation des anciens font partie du programme de rénovation urbaine de la ville.
Un nombre croissant de voyageurs étrangers affluent à nouveau vers la ville, attirés par la performance économique du pays. En 2015, la Côte d’Ivoire a enregistré un taux de croissance économique de près de 8 %, selon la Banque mondiale. Ce taux devrait se maintenir pour l’année 2016.
La décision de la Banque africaine de développement (BAD) de ramener en 2013 son siège de Tunis à Abidjan a été considérée comme l’un des premiers signes de confiance renouvelée des institutions internationales à l’égard de la Côte d’Ivoire.
La BAD, qui a contribué à financer le nouveau pont d’Abidjan, aux côtés de la Banque mondiale, de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO, de la Banque d’importation et d’exportation de Chine et de plusieurs sociétés françaises, investi massivement dans le financement des infrastructures, notamment dans la rénovation et la construction de routes.
Commerce haut de gamme
L’essor économique et l’afflux croissant d’expatriés dans la ville, ainsi qu’une classe moyenne florissante ayant un revenu disponible et la volonté de consommer, contribuent à la relance du secteur tertiaire, notamment des restaurants et commerces de détail haut de gamme. En décembre 2015, un nouveau centre commercial de 20 000 mètres carrés a ouvert ses portes dans le quartier sud. Outre un hypermarché et une aire de restauration, le centre commercial baptisé PlaYce Marcory abrite 55 enseignes. Parmi elles figurent un hypermarché Carrefour, la première filiale du groupe français de grande distribution à s’établir en Afrique subsaharienne, et des filiales de L’Occitane en Provence, une enseigne internationale dans le secteur des cosmétiques et de la parfumerie, ainsi que Brosway, un joaillier italien.
« PlaYce est une bonne chose pour l’Afrique. C’est la preuve que le continent est désormais entré dans le marché de la consommation », a déclaré le ministre du Commerce Jean-Louis Billon lors de l’inauguration.
À son apogée dans les années 1980 et jusqu’au début des années 1990, Abidjan, avec son imposante ligne d’horizon et sa lagune environnante, était souvent surnommée « le Paris de l’Afrique de l’Ouest » et son quartier des affaires « le Manhattan de l’Afrique de l’Ouest », car elle était considérée comme l’une des villes africaines les plus avancées en matière de mode, de culture et de niveau de vie. Bon nombre de personnes voient en l’ouverture du centre commercial aux enseignes européennes et nord-américaines une preuve que la ville peut désormais rivaliser avec les capitales mondiales les plus tendance dans le domaine de la mode et des biens de consommation de qualité.
« Franchement, je retrouve dans le hamburger ou le hot dog vendu à l’aire de restauration la qualité et le goût de ceux que j’ai pu manger en Europe », a confié Sonia Ngoyet à Afrique Renouveau. « Avoir un Burger King ici, à Abidjan, est tout simplement formidable. » Sonia Ngoyet et Christelle Amou, toutes deux vendeuses à la bijouterie Asseke Oro, l’un des magasins locaux de la galerie, se disent ravies de travailler dans le centre commercial.
L’emploi des jeunes à la traîne
Aly Diallo, correspondant régional pour le journal d’État Fraternité Matin, est venu de l’intérieur du pays pour passer les vacances avec sa famille. Il est allé faire du lèche-vitrine et a fini par acheter quelques articles dans l’hypermarché français Carrefour. Son plus grand souhait, toutefois, était de se prendre en photo dans le centre commercial pour montrer qu’il « faisait partie de l’histoire ». Après avoir hésité entre plusieurs emplacements, il a finalement opté pour une boutique de vêtements avec une immense image de la tour Eiffel en arrière-plan. « Un endroit parfait », s’est-il exclamé en posant. « La modernité débarque à Babi ; et je dois montrer que j’y participe. »
Malgré la relance économique et les festivités de fin d’année, les problèmes chroniques d’inégalités de revenus ne cessent de progresser. La revue satirique Gbich, sans doute la plus populaire d’Abidjan, titrait : « 2015 est passé fiaaa (sic) on n’a rien vu dedans » Ainsi, tous les Ivoiriens ne profitent pas de la nouvelle richesse du pays. « Certains d’entre nous sont laissés pour compte », déplore Anselme Kouadio, jeune désœuvré de la Rue des Jardins à Cocody. « Les débats sur les ponts et les routes en construction ne remplissent pas le ventre. Nous avons besoin de vrais emplois pour pouvoir nous aussi profiter de ce que la ville a à offrir. Malheureusement, c’est chose rare pour les jeunes comme nous. »
Même la Banque mondiale constate en 2015 qu’ « Il existe des disparités en matière d’accès aux services de base, et des inégalités entre les sexes parmi les groupes socioéconomiques et les groupes urbains et ruraux. » Selon les estimations, seuls 57 % des Ivoiriens avaient accès à une eau salubre et à de meilleures installations sanitaires en 2009 : un chiffre bien en deçà de l’objectif de 81 % fixé par les OMD.
Dans un récent rapport intitulé, « La force de l’Éléphant, pour que sa croissance génère plus d’emplois de qualité », la Banque mondiale constate que près de 9 jeunes diplômés sur 10 peinent encore à vivre décemment.
Lors de sa campagne électorale en 2010, « Le Président Ouattara avait promis de créer un million d’emplois pour les jeunes », a indiqué à Afrique Renouveau Kobri Borgia, directeur de publication du bihebdomadaire La Tribune de l’Économie. « Cinq ans plus tard, nous ne savons toujours pas à quoi nous en tenir ».
En 2015 à nouveau, le Président Ouattara s’est engagé à faire de l’emploi des jeunes une priorité pour son dernier mandat. L’avenir nous le dira, estime M. Borgia, qui ajoute : « la clé pour que la Côte d’Ivoire connaisse une croissance durable est de s’assurer que la forte croissance économique sert tous les aspects, y compris celui de l’emploi. » Le rapport de la Banque mondiale ne dit pas autre chose.
Avec next-afrique