Faust et la mythologie scandinave
Le prince des ténèbres de Boulgakov, Woland, avait plusieurs prototypes. Son nom est inspiré par l’un des surnoms de Méphistophélès – c’est ainsi que le héros du Faust de Goethe se prénommait la nuit de Walpurgis : « Voici le noble Woland ! ». En allemand le nom est Faland, mais en russe, il produirait un effet plutôt comique, ce qui poussa l’auteur à le modifier légèrement.
Le lien avec Méphistophélès est également suggéré par la canne à tête de caniche (le compagnon de Faust apparaissait sous la forme de ce chien), ainsi que par l’aveu fait par le héros principal suite à une question concernant sa nationalité – « Allemand, sans doute ».
Toutefois, les historiens de la littérature estiment le physique de Woland, grand et basané, rappelle aussi celui du célèbre mystique et aventurier Cagliostro. Alors que le corbeau sur l’épaule et les quatre chevaux noirs « d’orage » sont les attributs du dieu scandinave Odin (ou Wotan, proche du nom du personnage de Boulgakov).
Le bal de Spaso House
Le bal de Satan aurait pu être inspiré par le festival de printemps qui eut lieu le 24 avril 1935 à Spaso House, la résidence de l’ambassadeur américain à Moscou. L’écrivain et historienne de la littérature Marietta Tchoudakova a été la première à présenter cette hypothèse – nous savons que Boulgakov assista à ce bal, organisé par l’ambassade des États-Unis. L’ambassadeur William Bullitt chargea ses collaborateurs à organiser une fête extravagante.
Les décorations comprenaient un bosquet de bouleaux, une pelouse de chicorée, des filets de faisans, perroquets et pinsons, et même une ménagerie avec des chèvres, des coqs et un ours. « J’ai été particulièrement frappée par l’immense salle avec une piscine et une multitude de fleurs exotiques », se souvenait Elena Boulgakova.
Il y eut également des incidents – on fit boire du champagne à l’ours, alors que les pinsons s’envolèrent et se dissipèrent dans les salles de la résidence.
Marguerite et les noces vermeilles
« La sorcière au léger strabisme » ressemble beaucoup à la dernière épouse de l’écrivain Elena. Le roman souligne également les racines françaises de l’héroïne, ainsi que son lien familial avec une reine. La clé de cette énigme historique est apportée par l’épisode traitant du chemin menant au bal où un ivrogne, ayant reconnu la réincarnation d’une personne au sang bleu dans Marguerite, l’appelle « belle reine Margot » et murmure des « sottises sur les noces vermeilles de son ami Guessard à Paris ».
François Guessard est un philologue et l’éditeur de la correspondance de Marguerite de Valois – la jeune reine dont les noces s’achevèrent par la nuit de la Saint-Barthélemy et dont les aventures ont été racontées par Alexandre Dumas. Boulgakov s’autorisa une certaine liberté historique en rangeant Guessard, né au XIXe siècle, parmi les auteurs du célèbre massacre, mais l’allusion reste, tout de même, très claire.
« Roman maudit »
Dans le milieu artistique, le livre est considéré comme malchanceux. La participation à des adaptations théâtrales et cinématographiques du roman est marquée par des accidents, des maladies et le décès de nombreux acteurs célèbres.
Parmi les « victimes » de la plus célèbre adaptation cinématographique – la série réalisée par Vladimir Bortko en 2005 – les amateurs du mystique citent, notamment, Alexandre Abdoulov (décédé en 2008), Vladislav Galkine (retrouvé mort en 2010) et Kirill Lavrov (décédé en 2007).
Bortko, lui, était toutefois sceptique quant à la « malédiction de Boulgakov ». D’autres adaptations cinématographiques ont, pour différentes raisons, été frappées de déconvenues : par exemple, le film réalisé par Iouri Kara dut attendre 17 ans avant de sortir sur les écrans à cause de différends avec les héritiers de Boulgakov.
Le roman est parsemé d’allusions à l’appartenance de Woland et d’autres personnages à la franc-maçonnerie : le porte-cigare en or de Woland orné d’un triangle en diamant (symbole de la triplicité du Cosmos), « la cape de deuil, bordée de matière rouge feu » et l’épée à poignée d’or (attributs propres au grade maçonnique des Chevaliers Kadosh).
Alors que l’histoire de la tête coupée de Berlioz rappelle la légende du crâne du dernier grand maître de l’ordre du Temple Jacques de Molay, exécuté sur un bûcher en 1314. Le crâne de Molay serait resté intact et aurait été transporté au ХIХe siècle en Amérique, où il aurait été utilisé lors de rituels maçonniques. Il était souvent présenté orné de pierres précieuses et installé sur un socle en or – tout comme la tête de pauvre Berlioz, transformée en une coupe festive.
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