Une plainte visant le prince héritier saoudien a été déposée le 9 avril. L’avocat pénaliste français Joseph Breham, qui représente une ONG yéménite, souhaite la fin de l’impunité des dirigeants responsables d’atteintes aux civils lors des guerres.
Alors que le Prince Mohamed Ben Salmane s’est rendu en visite officielle à Paris du 8 au 10 avril, l’avocat pénaliste français Joseph Breham du cabinet Ancile, s’est saisi de cette rare opportunité pour enclencher une action en justice peu commune.
Saisi par l’ONG yéménite Legal Center for Rights and Development, son cabinet avait rédigé une plainte avec constitution de partie civile pour «complicité d’acte de torture» commis au Yémen, visant le dirigeant saoudien. Cependant, l’action juridique, relevant de la compétence universelle de la France, n’était possible que «sous une seule réserve […] : que l’auteur se trouve sur le territoire français au moment du dépôt de la plainte», a expliqué l’avocat. L’homme de loi met en cause les «violations graves du droit international humanitaire commises par la coalition dans le cadre du conflit au Yémen».
Ayant déposé des observations devant la Cour pénale internationale et produit un rapport sur la légalité des ventes d’armes françaises au Yémen, l’avocat était prêt à déposer sa plainte. Elle procède d’un raisonnement juridique novateur qui pourrait être amené à être reproduit dans d’autres contextes de conflits.
«Le comité des Nations unies en charge d’analyser la convention contre la torture a déclaré déjà à deux reprises que des cas d’attaques indiscriminées contre les civils pouvaient être considérées comme de la torture. Nous avons analysé et vérifié si ce que ce qui se passait au Yémen entrait dans [ce] cadre […], ce qui, selon nous, est le cas», affirme l’avocat.
Bombardement d’hôpitaux, de mariages, de marchés
Quels faits sont donc imputés au prince héritier saoudien qui mène une coalition de pays arabes impliqués dans la lutte contre les rebelles houthis ? «Je fais référence au blocus imposé par les Emirats arables unis et les Saoudiens, aux bombardement d’hôpitaux, de mariages, de marchés effectués par l’aviation saoudienne, à l’utilisation d’armes à sous-munitions, tout cela peut être caractérisé comme des actes de torture», affirme Maître Joseph Breham. Autre éléments ajoutés à la plainte : l’existence de dix-huit centres de détention secrets, plutôt gérés par les Emirats arabes unis, dans lesquels auraient transité plus de 2 000 Yéménites.
Il faut faire comprendre aux chefs d’Etat que l’impunité, c’est fini
Comment Joseph Breham évalue-t-il donc le résultat problable de l’action qu’il intente actuellement, sachant que le prince héritier bénéficie d’une immunité diplomatique qui lui permet notamment d’échapper à des poursuites judiciaires à l’étranger ? «Je pense que la plainte a une chance d’aboutir, mais si vous me demandez si Mohamed ben Salmane va être condamné dans les six mois qui viennent en France, la réponse est évidemment non», admet-il. «Mais l’objectif est de faire comprendre aux dirigeants que l’époque où on pouvait torturer ou massacrer en toute impunité était révolue. Maintenant les chefs d’Etat auront à répondre des actes commis en leur nom ou pour leur compte au nom des pays qu’ils dirigent. Il faut faire comprendre aux chefs d’Etat que l’impunité, c’est fini», conclut-il.
Les chefs d’Etat auront à répondre des actes commis en leur nom
L’association accuse le prince héritier saoudien pour son rôle joué dans la guerre contre les rebelles houthis au Yémen, guerre ayant provoqué la pire crise humanitaire mondiale actuelle selon l’ONU. Catastrophe humanitaire, l’intervention militaire au Yémen menée depuis 2015 par la monarchie saoudienne au sein d’une coalition militaire, aurait fait plus de 10 000 morts et 50 000 blessés selon des chiffres de l’ONU. En outre, 8,4 millions de personnes sont en situation de «famine imminente» au Yémen et plus d’un million de personnes sont touchées par le choléra.