Il va bientôt y avoir des affrontements sanglants entre les hommes. Dans le passé, les guerres se faisaient entre pays, coalisés ou non, armées contre armées, avec des tentatives de mobilisations des populations autour de causes fabriquées le plus souvent de manière artificielle. Aujourd’hui, les moyens de communication permettant de faire circuler l’information plus rapidement et bien au-delà des moyens de gestion des états d’une propagande réussie, la mobilisation populaire s’avère de plus en plus difficile à mettre en œuvre. La prochaine grande guerre aura du mal à suivre la configuration que nous avons connue jusqu’ici, une guerre entre pays ennemis, leurs armées s’affrontant sur les champs de bataille. Les états actuels et leurs armées n’étant préparées qu’à ce type de guerre, il n’est pas étonnant que leur souci premier soit de reprendre en main toute la sphère médiatique pour cloisonner l’information et permettre de mettre en place une propagande de guerre efficace. C’est la condition sine qua non, et tout le ramdam autour des « fake news » n’a d’autre but que cela.
Depuis les années 80 (y compris la guerre Iran/Irak dans laquelle Saddam Hussein n’était qu’un proxy de l’OTAN), l’OTAN n’a pas eu un seul jour de répit et de paix jusqu’à nos jours. Entre-temps, un nouvel élément est venu changer les modalités des guerres : le mercenariat. Les guerres par proxy sont venues remplacer peu à peu les guerres entre pays, les causes devenant plus floues, les armées et les belligérants s’enveloppant de contours plus vagues. Le schéma change radicalement, mais c’est voulu, dans la mesure où cela permettait de mener une guerre de 40 ans sans la nécessité d’entretenir une propagande de guerre couteuse et qui aurait fini par ne plus être efficace sur une durée aussi longue impliquant plusieurs générations.
Le revers de la médaille, c’est que tous les côtés négatifs, les atrocités, les mensonges nécessaires pour le déclenchement des hostilités, et tant d’autres choses, finissent par apparaitre et par engendrer un rejet de ces guerres qui, au mieux, pourrait être un rejet silencieux mais solidaire et, au pire, mener au pacifisme, voire à la révolte contre toute forme de guerre, de la propagande de guerre jusqu’à l’affrontement armé. Aujourd’hui, nous en sommes déjà à une sorte de rejet global. Deux tendances se dessinent de plus en plus nettement de part et d’autre d’une ligne. D’un côté il y a ceux qui sont contre toute forme de guerre avec ses destructions et ses malheurs, d’abord pour eux-mêmes, et ensuite parce qu’ils se représentent les souffrances endurées par les autres et refusent de l’accepter. On peut appeler cela de l’empathie, ou de n’importe quel autre nom que l’on veut, le fait est que ceux qui réagissent ainsi mettent un parallèle direct entre ce qu’ils ressentent et ce que ressentent les autres. De l’autre côté de la ligne, ce n’est pas du tout le cas. Pour ceux-là, il n’y a aucun parallèle possible entre ce qu’ils peuvent ressentir pour eux-mêmes ou pour leurs proches, et ce que peut endurer l’ennemi ou ceux qui se trouvent sous son toit ou dans son pays. C’est d’abord un exceptionnalisme individuel souvent noyé dans un exceptionnalisme culturel qui se nourrit d’une Histoire officielle, qualifiée d’universelle mais tout aussi bidonnée que les histoires racontées par les griots d’Afrique.
Le racisme, dans son sens de supériorité raciale, le fascisme (ou l’antifascisme, ce qui revient au même), l’esprit de domination universelle, font des exceptionnalistes des suprématistes, seuls détenteurs de la vérité, de la bonne règle, du bon droit. Le monde leur appartient, et ils se sentent investis du devoir sacré de le protéger en s’appuyant sur de durs piliers qu’ils ont fixés eux-mêmes, et tous ceux qui se mettent en travers de leur mission de protection doivent être écrasés comme des insectes malfaisants. C’est quasi religieux, mais ils l’ignorent. Pour eux, la guerre est une nécessité, non pas contre un agresseur, mais contre tous ceux qui remettent en cause leur suprématie et l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes.
Heureusement, le monde change ; il s’ouvre de plus en plus à tous les humains. Appelons ça mondialisation, globalisation ou comme l’on veut, l’important est que l’interconnexion des peuples du monde entier a pour conséquence de faire éclater les suprématistes en petits blocs locaux minoritaires dans leurs communautés nationales, contrairement au passé où l’on pouvait voir le suprématisme se manifester à l’échelle d’un pays tout entier. Le dernier pays où le suprématisme peut encore se manifester à l’échelle nationale est Israël, et l’on sait pourquoi.
Si le suprématisme reste globalement une notion purement occidentale (actuellement du moins, car le Japon a montré ce dont il était capable par le passé), le suprématisme au sein de chaque pays est en perte de vitesse, restant le plus souvent dans un cadre culturel et théorique, et il ne se manifeste plus que dans certains cas particuliers. C’est précisément ce fond culturel qu’essaient d’exploiter ceux qui prônent le choc des civilisations ou la nouvelle guerre de religion de l’Islam contre l’Occident qui, pour le coup, est présenté comme une religion, judéo-chrétienne, comme ils l’appellent, une notion qui n’a jamais vraiment commencé à exister que depuis le début de la construction du Nouvel Ordre Mondial. Remarquons au passage que ce grand groupe dit judéo-chrétien ne comprend pas les chrétiens de Bolivie, du Venezuela, d’Ethiopie, des Philippines, de la Russie, ni mêmes les fondateurs du christianisme, c’est-à-dire les chrétiens syriens et du Moyen Orient en général. En d’autres termes, si l’on évite de s’abriter derrière les mots, judéo-chrétien signifie clairement la civilisation européenne, ou occidentale par extension.
Si le suprématisme n’existe plus à l’échelle d’une nation, il persiste encore, comme nous l’avons vu, à l’échelle de l’individu ou de petits groupes politisés, le plus souvent manipulés sur des thèmes jouant avec les sentiments de patriotisme, de nationalisme ou simplement d’attachement à son terroir. Que ce soit à l’échelle individuelle ou à l’échelle du groupe, les suprématistes sont comme dans un grand cercle élitiste dans lequel ils incluent tous ceux qu’ils reconnaissent comme étant des leurs, se basant souvent sur des critères raciaux. Malheureusement pour eux, ce schéma présente deux gros problèmes. Le premier est que de plus en plus de personnes inclues dans le cercle ne veulent plus les suivre aveuglément dans les directions qu’ils prennent, surtout quand il s’agit de faire la guerre. Le deuxième problème est que tous ceux qui sont en dehors du cercle, ceux qui sont méprisés et qui, selon eux, n’ont pas droit à la parole, c’est-à-dire en gros tous ceux qui ne sont pas classés « civilisation judéo-chrétienne », sont en train de s’autonomiser et de rompre leurs liens de dépendance vis-à-vis d’eux. Cela veut dire qu’à terme, les pays concernés feront valoir que la dépendance serait plutôt l’inverse, que ce soit pour l’énergie, vitale pour les suprématistes, ou les matières premières tout aussi vitales.
Ce monde-là a besoin de paix, ne serait-ce que parce que les pays qui le composent sont faibles militairement, mais surtout parce qu’ils savent qu’il ne peut y avoir de prospérité sans la paix, une paix que réclament également ceux que les suprématistes incluent dans leur cercle malgré eux. Ce simple désir de paix est une menace pour le suprématisme. D’abord parce qu’il tend à briser son cercle et à miner la cohésion à l’intérieur de ce cercle, ensuite parce que le suprématisme est avant tout fondé sur la force guerrière et est entretenu par la confrontation. L’univers du suprématiste n’est composé que de guerres victorieuses qui le glorifient et le grandissent, de conquêtes passés et futures, et de revanches à prendre sur les guerres perdues. Pour eux, l’ennemi est autant dehors que dedans et, paradoxalement, ce dernier a plus à craindre en cas de conflit avec un ennemi extérieur.
Réseau International