Comment satisfaire les 10 millions d’Africains qui entrent chaque année sur le marché du travail ? Pour éviter la crise, pouvoirs publics et investisseurs misent sur la création d’entreprises.
Durant les quinze prochaines années, le continent connaîtra la plus forte croissance de la population en âge de travailler dans le monde. Les démographes parlent de dividende démographique, c’est-à-dire de la baisse mécanique des dépenses consacrées à la population dépendante, libérant des ressources pour le développement économique.
Mais pour profiter de cette opportunité, les pays africains doivent faire face à un immense défi en matière de création d’emplois. Déjà, 60 % des jeunes Africains seraient sans emploi. Et chaque année, plus de 10 millions de jeunes actifs entreront sur le marché du travail. L’incapacité des gouvernements et du secteur privé à satisfaire leurs attentes pourrait aussi être une source d’instabilité politique et sociale pour la région et au-delà. « Tous ces jeunes dans la rue à ne rien faire, c’est de gros problèmes en perspective », résumait en 2015 la Libérienne Antoinette Sayeh, directrice du département Afrique du FMI.
Pour un nombre grandissant de décideurs politiques et de bailleurs de fonds, la promotion de la création d’entreprises apparaît comme une solution pour multiplier les emplois dont le continent a tant besoin. « Au cours de la prochaine décennie, les principaux débouchés économiques viendront des Africains qui montent des entreprises, créent des emplois et de la richesse, et saisissent des opportunités de croissance », rappelait début mars Aeneas Chuma, directeur Afrique de l’Organisation internationale du travail (OIT).
En Afrique subsaharienne, 60 % des 18-35 ans pourraient monter leur propre affaire.
« D’une certaine manière, tous ces experts redécouvrent l’Amérique. Sur le continent, la fonction publique et le secteur privé emploient moins de 10 % de la population active, mais l’immense majorité des actifs travaillent dans le secteur informel. Et, très souvent, ils ont créé leur propre emploi, c’est le capitalisme de soi », relève Paul Giniès, ancien directeur général de l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE) à Ouagadougou, désormais consultant et président de la commission éducation-formation du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian).
Selon le rapport 2013 du Global Entrepreneurship Monitor/Youth Business International (GEM/YBI) sur l’entrepreneuriat chez les jeunes, parmi toutes les régions du monde, l’Afrique subsaharienne concentre en effet la plus forte proportion (60 %) de créateurs d’entreprise potentiels parmi les 18-35 ans. Toutefois, 32 % d’entre eux sont poussés par la nécessité, ce qui signifie que l’esprit d’entreprise est perçu comme une stratégie de survie et non pas comme une opportunité pour faire des affaires.
Financement et administration, principaux obstacles des jeunes entrepreneurs
Si l’entrepreneuriat est encore peu développé sur le continent, c’est parce que les créateurs d’entreprise se heurtent à des difficultés considérables : ils peinent à accéder à des financements abordables ainsi qu’à des services d’accompagnement et de conseil, ils sont confrontés à des obstacles administratifs et plus généralement à un manque d’encouragement de la société dans son ensemble.
« Trop de jeunes en Afrique consacrent encore trop d’énergie et de moyens au service de leurs aînés, alors même que ces derniers, par leur expérience et leurs réseaux, pourraient être des soutiens pertinents à l’ambition de leurs descendants », jugeait dans une tribune publiée sur un site de l’Agence française de développement, il y a quelques mois, Franck Tognini, professeur associé à l’université de Lille-1, créateur d’un master en intelligence économique dispensé au Sénégal, au Maroc et au Cameroun.
Le hiatus vient aussi du décalage abyssal entre les besoins du secteur privé en matière de compétences et les savoirs acquis par les élèves à l’issue de leur cursus scolaire. « En Afrique, on ne devrait parler que d’enseignement professionnel, mais c’est encore très marginal », regrette Paul Giniès. Au Burkina Faso, une enquête réalisée par le Secrétariat permanent des organisations non gouvernementales en 2014 sur une base de données datant de 2009 et de 2010 montrait que moins de 5 % des 16-24 ans avaient reçu une formation technique ou professionnelle.
« Il faut absolument faire évoluer cette situation parce que dans certains pays comme le Togo ou le Congo, plus on va à l’université, moins on a de chances de trouver un emploi. Doter un jeune de réelles compétences techniques, c’est en faire un potentiel chef d’entreprise capable de créer des emplois », relève l’ancien directeur général du 2iE.
Le constat de cet échec des systèmes scolaires africains est également fait par les pouvoirs publics. « Les jeunes diplômés sont les plus touchés par le chômage du fait de l’incohérence entre les filières proposées et les besoins des employeurs, ainsi que par le manque de stimulation des capacités entrepreneuriales dans les cursus », soulignait, le 14 avril, Ibrahima Guèye, secrétaire général du ministère sénégalais de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Mais la montagne à gravir par les universités pour changer la donne paraît presque infranchissable tant leurs moyens sont ridicules au regard de l’évolution des effectifs. « À Dakar, moins de 15 % des étudiants de l’université Cheikh-Anta-Diop obtiennent leur licence en trois ans. Le sureffectif – 90 000 étudiants pour 25 000 places – rend les conditions d’apprentissage très difficiles », estimait en 2014 Abdoul Alpha Dia, professeur à l’Institut supérieur de management (ISM) et à l’université de Bambey.
De nombreuses initiatives prometteuses pour entrepreneuriat
Sur le front de la promotion de l’entrepreneuriat, les États peuvent néanmoins compter sur l’implication grandissante du secteur privé. « Les multinationales, qui voient dans l’Afrique un territoire de croissance pérenne, se rendent compte qu’elles ne peuvent pas prospérer sans le développement d’un écosystème de PME et de PMI », observe Paul Giniès.
Orange accompagne chaque année sur trois mois une poignée de start-up ivoiriennes au travers du programme Orange Fab et participe, via sa filiale Sonatel, au financement du CTIC à Dakar, un autre incubateur de projets consacré au monde numérique. Danone accompagne plus de 10 000 petits éleveurs au Maroc pour sécuriser son approvisionnement et aide ses partenaires à augmenter leurs revenus.
De manière plus spectaculaire, le milliardaire nigérian Tony Elumelu a lancé en 2015, au travers de sa fondation, un programme doté de 100 millions de dollars(environ 80 millions d’euros) sur dix ans afin d’identifier et de former 10 000 start-up, de créer 1 million d’emplois et 10 milliards de dollars de revenus annuels. À l’occasion de sa deuxième année, l’initiative a suscité plus de 45 000 candidatures, provenant principalement du Nigeria, du Kenya, du Ghana, de l’Ouganda et du Cameroun.
Du côté des institutions de développement, la valorisation de l’entrepreneuriat est aussi dans l’air du temps. Arrivé à la tête de la BAD en mai 2015, Akinwumi Adesina a naturellement mis l’accent sur l’agriculture, un secteur qu’il connaît bien puisqu’il en avait auparavant la responsabilité au sein du gouvernement nigérian.
Le programme « La jeunesse dans l’agri-business », doté d’un budget de 700 millions de dollars, qui sera mis en œuvre dans vingt pays sous la direction d’agences nationales avec l’appui d’organisations comme l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) ou l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), ambitionne d’offrir des opportunités d’insertion professionnelle à au moins 800 000 jeunes.
Cette initiative inclut la création de 18 400 agri-start-up donnant un emploi décent à 154 000 Africains. Selon les calculs d’IITA, un incubateur coûtant 713 000 dollars pourrait créer entre 103 000 et 175 000 emplois et générer un revenu compris entre 1,7 million et 3 millions de dollars.
Ce type de programmes contribuera-t-il significativement à la réduction du chômage des jeunes ? Il est trop tôt pour porter un jugement définitif sur leur efficacité. « À l’évidence, compte tenu du nombre de nouveaux actifs arrivant sur le marché du travail, cela ne sera pas suffisant », anticipe néanmoins Paul Giniès, qui regrette qu’on oublie souvent d’assigner des objectifs de résultat à ces initiatives et que les pouvoirs publics et le secteur privé participent encore de manière trop cloisonnée à leur mise en œuvre.
Pour décupler leur impact, les politiques de promotion de l’entrepreneuriat devraient en outre s’inscrire systématiquement dans une vision plus large, incluant par exemple, pour les multinationales, des obligations de transfert de compétences, de production locale et de recours à des fournisseurs nationaux dans un certain nombre de secteurs.