Maître ZEHOURI Paul-Arnaud Bertin
NOTAIRE à ABIDJAN
Conseil Notarial à PARIS Spécialisé en Gestion de Patrimoine
Enseignant des Facultés de Droit
Diplômé Supérieur de Notariat (DSN) et (CSEN) PARIS
Doctorat en Recherche Université de PARIS II
Tel: (225) 20 22 9418 / Fax: 20 22 94 55
INDIVISIONS ET EMERGENCE ECONOMIQUE : QUELS RAPPORTS ?
L’indivision est une structure juridique de fait dans laquelle se trouvent des personnes physiques ou morales qui ont en commun des Biens ou des Droits qu’elles ont choisi de ne pas partager. La gestion collective du Bien indivis, lorsqu’elle est mal menée, peut conduire inévitablement dans une impasse. En effet, le principe directeur en matière de gestion d’un état d’indivision, c’est l’unanimité. Autrement dit, tous les indivisaires, sans aucune exception, doivent absolument et unanimement souscrire aux résolutions visant l’exploitation du ou des biens indivis. Faute d’obtenir l’unanimité, c’est l’impasse. Or, on le sait, là où il y’a l’impasse, la ruine s’impose et le développement s’arrête aussi. Les ravages de l’indivision sont légion en matière de transmission de patrimoine et notamment, à l’occasion des successions ou gestion du patrimoine issu d’un héritage par des ayants droit ou des héritiers. L’exemple le plus fréquent se rencontre dans le cadre des successions immobilières. Il n’est pas rare que le de cujus (la personne prédécédée), laisse pour lui succéder, un ou plusieurs immeubles, un ou plusieurs successibles. Si les successibles ont vocation à continuer la personne du défunt dans la gestion de ses biens, force est de constater que la moindre mésintelligence ou conflit peut les conduire dans l’imbroglio si les immeubles issus du patrimoine successoral ne sont pas commodément partagés mais laissés dans un état d’indivision.
Les difficultés liées à la mauvaise gestion collective d’un bien non partagé peuvent déboucher sur son altération au détriment de la communauté des indivisaires, de son entourage et des caisses de l’Etat. De fait, la dégradation des biens liée aux disputes fait que l’Etat ne peut pas ou éprouve les pires difficultés à recouvrer les impôts fonciers d’une part, les impôts sur la plus value de cession d’autre part. Au final, c’est l’économie nationale prise dans sa globalité qui se trouve impactée par l’effet d’une absence de partage entre les propriétaires d’un bien indivis.
I°- ETAT DES LIEUX : RECONNAITRE UN BIEN INDIVIS
1°-CONCERNANT LE PATRIMOINE IMMOBILIER
a°- Les immeubles bâtis
La ville d’Abidjan, à l’image des grandes métropoles de notre pays est jonchée d’immeubles bâtis ou non bâtis tombés en désuétude.
Il suffit de passer en voiture sur les ponts Charles de gaulle, Félix Houphouët Boigny ou Henri Konan Bédié pour s’apercevoir, en sortant la tête par la portière, que des concessions, abandonnées ou moyennement entretenues offrent le spectacle d’une ville fantôme avec des toits de fortunes, des vêtement accrochés à la sauvette comme pour annoncer la ruine. Il arrive que de telles propriétés soient habitées par des squatters. Ces derniers, occupants sans droit ni titre, n’ont parfois jamais su le nom du propriétaire, du moins, il leur a été vaguement annoncé qu’il serait prédécédé et que ses héritiers, englués dans des conflits, n’ont pas été capables de régler la succession, partager les biens et attribuer l’immeuble à l’un d’entre eux, chargé de l’entretenir ou de le vendre à un tiers, voire à un investisseur.
b°- Les immeubles non bâtis : les terrains
Proches des immeubles flambant neufs, il n’est pas exceptionnel de visiter des terrains nus, supportant au mieux, une plantation de cultures, au pire, un campement de marginaux sociaux qui, transportant à Abidjan l’ambiance et le décor des villages éloignés de notre pays, bâtissent un habitat de fortune.
2°-CONCERNANT LE PATRIMOINE PROFESSIONNEL : L’ENTREPRISE
En matière de transmission d’entreprise, l’on est confronté aux mêmes difficultés au moment du décès de l’homme providentiel. Ses héritiers ou ses ayants droit qui n’auraient pas pu procéder à la liquidation puis au partage des biens accroissant à la succession, se seraient retrouvés au cœur d’une indivision successorale. En sorte, il serait impossible par exemple de passer de nouvelles commandes auprès des fournisseurs faute d’obtenir l’accord de tous les indivisaires. En pratique, il serait exigé que chacun des héritiers signe le bon de commande faute de quoi, il ne serait pas valable. En cas de réalisation du scénario qui précède, il y’aurait sans doute un risque de disparition de l’entreprise, outil de production, qui manquerait ainsi de survivre à la personne de son fondateur ou administrateur principal.
II°- LES EFFETS DE L’ETAT D’INDIVISION
L’état d’indivision dans laquelle se trouve confiné les héritiers après décès, les conjoints après divorce, les associés après dissolution, s’avère catastrophique d’abord pour les acteurs concernés eux mêmes, pour la famille ou l’entreprise et enfin, pour l’Etat.
1°- A L’EGARD DES HERITIERS EUX MEMES
Les héritiers qui ne peuvent disposer des biens qu’ils ont reçus par transmission courent le risque de s’appauvrir. Imaginons un père de famille qui serait décédé laissant à sa postérité des héritiers dans le besoin et des placements aussi bien immobiliers que mobiliers. A son décès, il compterait plusieurs bâtiments laissés en location, des terrains non bâtis et des titres de sociétés dans diverses entreprises sans compter les portefeuilles de valeur mobilière souscrites çà et là. Le fait est qu’il décède alors qu’un certain nombre de ses enfants sont mineurs, d’autres en cours de scolarité ou d’autres encore, devenus autonomes étant donné le niveau de leurs emplois, justifiant des revenus mensuels confortables. La difficulté viendrait alors du fait que les ayants droit ne puissent pas s’entendre sur les modalités de liquidation et les opérations de partage. Dans ce dernier cas, ils seraient tous et chacun obligé de n’entreprendre aucune action sans l’accord de l’autre. Si malgré tout, un accord n’est pas trouvé à l’effet de pourvoir au règlement de la succession, les mineurs seraient privés d’entretien, les étudiants, de subvention parentale, ceux qui travaillent seraient aussi privés de fonds d’appui pour développer leurs capacités. Quant aux entreprises ayant appartenues ou ayant été administrées par le de cujus, elles seraient purement et simplement stoppées dans leurs développements. Les comptes en banque du défunt, les titres souscrits avant sa mort, bien que produisant des intérêts, seraient bloqués aussi longtemps que dureraient la mésentente et l’indivision.
2°- A L’EGARD DE L’ENTOURAGE DE L’INDIVISAIRE
Dans une sorte de cercle vicieux, les effets du désordre entre les héritiers ou ayants droit se feraient sentir forcement sur l’ensemble de la famille. Non seulement, faudra t-il leur trouver des moyens pour payer les procédures judiciaires, para et extra-judiciaires pour lutter les uns contre les autres, il conviendra pour la famille de les nourrir. De fil en aiguille, certains des co-héritiers iront bien souvent avoir pour seul occupation, la défense et la préservation de leurs droits dans la succession de leur géniteur. Très peu parviendront à des résultats après une bataille parfois épique de plusieurs années sans pouvoir entreprendre autre chose à côté. Les résultats de cette dernière lutte, s’ils sont obtenus, toujours bien maigres, ne viendront bien souvent que pour couvrir à peine les nombreux engagements que l’héritier aura souscrits pour parvenir à ses fins. D’autres en revanche, hélas ! C’est la majorité, n’y parviendront jamais. Au contraire, finiront-ils l’aventure avec des dettes colossales tandis que certains autres ne verront malheureusement jamais la fin des opérations de règlement de la succession de leur géniteur étant eux même entre temps décédés.
3°- A L’EGARD DE L’ETAT
a°- LA PERTE DES TAXES ET IMPÖTS FONCIERS
Les conséquences de la mauvaise gestion des transmissions de patrimoine ont une emprise directe pour l’Etat, générant un manque à gagner considérable pour les trésoreries des régies financières.
*- CONCERNANT LES IMPOTS FONCIERS PERDUS
Si après avoir liquidé son imposition, l’Etat ne sait pas à qui s’adresser pour le recouvrement parce que le propriétaire serait décédé et que les héritiers seraient introuvables, il va sans dire que l’Etat perdrait de fortes sommes d’argent. A titre d’exemples, l’Etat ne pourrait pas recouvrer l’impôt sur le revenu foncier au taux de 4 % de la valeur locative des immeubles productifs de revenus. L’impôt sur le patrimoine foncier des propriétés bâties et les immeubles non bâtis productifs de revenus au taux de 11% de la valeur locative. Ce taux est ramené à 4 % de la valeur locative pour une seule habitation principale, une seule résidence secondaire improductive de revenu foncier, les immeubles bâtis vacants ou improductifs de revenus. Il en irait de même pour les immeubles appartenant aux personnes morales et aux entreprises, et affectés à leurs activités, dont le taux est de 15 % de la valeur locative, de l’impôt sur le patrimoine foncier des propriétés non bâties dont le taux est fixé à 1,5 % de la valeur vénale déterminée conformément aux dispositions de l’article 161 du CGI, et celui des immeubles non bâtis et non productifs de revenus, appartenant au Port autonome de San Pedro fixé à 0,75 %.
Soit un manque à gagner en ce qui concerne le recouvrement de l’impôt foncier de 216 Milliards par an en considérant une moyenne de biens immobiliers dont les impôts échappent au fisc du fait de l’impossibilité d’identifier clairement les propriétaires. Or, faut-il le souligner, les recettes fiscales en matière foncière entre autres, constituent la source des financements du développement de notre pays, étant entendu qu’elles sont reparties entre l’Etat et ses collectivités décentralisées qui s’en servent pour construire des ponts, des routes, des hôpitaux, des écoles, des commissariats de police, gendarmerie et biens d’autres superstructures ou infrastructures indispensables à l’émergence économique et sociale.
**-CONCERNANT LES DROITS DE MUTATION APRES CESSION
Comme source de revenu fiscale en matière immobilière, il convient également de tenir compte des impôts supportés par le propriétaire – vendeur et l’acquéreur d’un bien immobilier ou foncier, en l’occurrence l’héritier alloti, à l’occasion de la vente de son bien qu’il soit ou non bâti. Il s’agit des droits de mutation à titre onéreux liquidés au titre du droit d’enregistrement à 4 % (précédemment 10% ramené à 7% en 2013 et 6% en 2014) de la valeur exprimée dans l’acte et 1,2 % au titre de la Taxe de Publicité Foncière (TPF) à la charge de l’acquéreur. Quant au vendeur, il lui est réclamé systématiquement un taux de 3% de ladite valeur au sens de l’imposition sur la plus value de cession. En outre, les émoluments qui sont dus au notaire instrumentaire en rémunération des ses services, sont imposés à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 18% également reversée à l’Etat et ses collectivités décentralisées. Au total, en cas de vente puis mutation d’un bien immobilier d’une valeur estimée à 200.000.000 de francs CFA, l’Etat a vocation à bénéficier en sus de la TVA, d’un pourcentage total de 9 %, savoir : 18.000.000 FCFA (200.000.000 X 9%). A contrario, due à l’état d’indivision et aux difficultés y liées, tel que décrites ci dessus, les héritiers seraient alors privés de céder les terrains, plantations, appartements, villas, maisons, bureaux, lofts, hangars, parkings, entrepôts à des repreneurs. Les caisses de l’Etat auraient ainsi un manque à gagner conséquent pouvant être estimé suivant le nombre de notaires (200) et des transactions de cette taille (environ 1,5 par mois) à 64.800.000.000 FCFA (18.000.000 X 1,5) X 12 X 200 en dehors de la TVA.
b°- LA DEMOBILISATION DES INVESTISSEURS
La Côte d’Ivoire est la porte d’entrée d’un espace économique (CEDEAO) fort de plus de 300 millions de consommateurs ayant une moyenne d’âge de 30 ans. La seule ville d’Abidjan est habitée par plus de 5 millions de personnes dont une classe moyenne de plus en plus affirmée. On estime à plus de 40.000 par an, le besoin en logements en Côte d’Ivoire (20.000 à Abidjan et 20.000 à l’intérieur du pays). Il est autant besoin de construire des routes, des ponts, des autoroutes, des buildings, des hôtels, des entrepôts, des magasins, des bureaux, des espaces verts, des canalisations d’évacuation d’eaux et ordures etc. Le besoin existe également de manière très importante en matière agricole où il est plus que vital de créer des plantations et des fermes avicoles, viticoles, animalières etc./. Dans tous les secteurs ci dessus indiqués, les investisseurs affichent leurs intérêts et le font savoir tous les jours. Les avions en provenance des pays étrangers sont chargés de prospects en tous domaines. Or, il est important de noter que la mise en œuvre de la décision d’investir se déploie dans l’espace et dans le temps. Autrement dit, les investisseurs éprouvent à juste titre, le besoin de terrains bâtis ou non bâtis. Et c’est là que le bas blesse. En pratique, les terrains existent puisqu’on les voit partout comme il est indiqué en début de propos. Malheureusement, lorsque vient le moment de savoir à qui appartient tel espace, on se rend compte qu’on a en face que des informations difficiles à vérifier. Les informateurs improvisés affirmeront qu’ils sont les vrais propriétaires ou qu’ils sont mandatés par les vrais propriétaires. En réalité, un grand nombre de terrains se trouve être la propriété d’indivisions successorales, post communautaires ou post-sociétales. Lesdits indivisaires englués dans des contradictions ne permettent pas souvent de connaître le vrai interlocuteur.
Résultats ; soit l’investisseur se fait gruger en acquittant le prix entre les mains de personnes inappropriées avec parfois, la complicité passive ou active de certaines autorités comme les notaires dont la vigilance dans ce domaine est plus que nécessaire. Soit l’investisseur est réduit à revoir sa copie en changeant de pays après avoir été trimballé de faux propriétaires en vrais escrocs, vendeurs d’illusions. Heureusement que le gouvernement a constitué une réserve de terrains industriels dont les investisseurs pourraient se procurer avec des garanties de sécurité juridique. Bien entendu, il faut relever que tous les investisseurs n’ont pas vocation à exploiter leur affaire en zone industrielle outre le fait que les disponibilités desdits terrains sont très réduites au point de ne pouvoir satisfaire toutes les demandes. C’est ainsi donc qu’un certain nombre d’investisseurs semblent avoir renoncé à réaliser leurs projets en Côte d’Ivoire au profit de pays frères comme l’Afrique du Sud, le Kenya, le Ghana ou ailleurs. Or, il est bien de remarquer que les investisseurs, aussi bien nationaux qu’étrangers proposent de réaliser des immeubles de standings, des hôtels, des salles de réunion, des salles de cours et autres buildings à usage administratifs dont notre pays a tant besoin pour valoriser son développement. Toutefois, ils ne peuvent pas aller au bout de leurs projets compte tenu des embûches semées sur le chemin des négociations des propriétés indivises et finalement sans maîtres connus. Nous vivons donc dans une capitale à fort potentiel économique, mais déstructurée par un habitat désuet et sans harmonie.
III°- PROPOSITION DE SOLUTIONS
Le législateur ivoirien est interpellé pour envisager la prise d’une Loi audacieuse et originale qui ne soit pas uniquement la copie d’une loi étrangère mais qui puise son essence dans notre terroir eu égard au vécu des ivoiriens et à leur comportement face à la création des richesses, leur conservation et leur transmission corrélative. Ladite loi devrait inciter les citoyens à anticiper la transmission de leurs biens, notamment par la mise en place de diverses institutions permettant à l’ivoirien de régler sa succession soi même par anticipation en étant en vie. Il s’agirait par exemple d’institutions telles que le mandat de gérant d’indivision, le mandat à effet posthume, le mandat de génération future, le contrat de fiducie-gestion et autres, testament actuellement en vigueur bien que moyennement mis en pratique.
1°- La Gérance
Deux formes de gérance sont envisageables :
a°- le mandat de gérance après le décès du propriétaire
Pour éviter les blocages, il serait envisageable de nommer amiablement y compris par devant notaire ou par voie judiciaire, un des co-indivisaires chargé de gérer les intérêts collectifs face au notaire par exemple. A priori, le gérant censé régenter des intérêts horizontaux ne disposerait pas de prérogatives particulières. Il devrait à chaque étape obtenir l’accord de tous les indivisaires pour mettre en vente, louer, mettre à disposition etc. Avec En présence de pouvoirs si réduits du mandataire, on se retrouverait dans le schéma à éviter où l’unanimité continuerait de propager ses virus nocifs. Il est donc urgent de conférer au mandataire des pouvoirs exceptionnels et un droit de veto pour lui permettre de décider. Il s’agirait alors de créer un dispositif pour protéger les actes de disposition ou d’administration pris par le mandataire – gérant. En sorte, il aurait le droit, sous certaines réserves, de passer outre les oppositions des autres contraires à l’intérêt de la communauté des indivisaires.
b°- le mandat de gérance du vivant du propriétaire à effet après son décès
De son vivant, le propriétaire du patrimoine immobilier ou professionnel pourrait nommer par contrat, un gérant pour administrer ses biens et prendre des actes de disposition pour le temps où il ne serait plus capable de pourvoir à ses besoins ou en cas de mort. On parle de mandat de génération future ou encore de mandat à effet posthume, voire de fiducie-gestion avec chacun, sa spécificité. Des tels mandats devraient être nécessairement établis par acte authentique notarié compte tenu de la gravité de la décision. Lesdits mandats seraient assortis d’un délai à respecter et d’un objet précis en sorte que le mandataire, rémunéré ou pas, serait tenu de rendre compte de sa gestion à un juge ou à une autorité désignée. Un tel acte à caractère successoral, serait conçu du vivant du décideur, signé par lui, mais le mandataire serait autorisé à s’en prévaloir uniquement à compter du décès du mandant. Ce n’est pas un testament, qui lui, est un acte unilatéral de volonté. L’efficacité d’une telle disposition se vérifierait assez couramment dans le secteur de la transmission d’entreprise où, le fondateur de celle-ci ou encore le dirigeant, pourrait, de son vivant, désigner parmi ses héritiers ou même ses employés, celui qui serait bénéficiaire de l’attribution préférentielle de l’entreprise ou de son exploitation.
2°- La sortie d’indivision et la désignation d’un notaire liquidateur
a°- Nul n’est censé demeurer dans l’indivision
Selon l’article 84 de la Loi N° 64-379 du 7 Octobre 1964 relative aux successions, nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut être toujours provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires. Dans un tel cas de figure, un des cohéritiers, pour obtenir son départ de l’indivision doit saisir le tribunal, expliquer ses motivations, assigner ses co-indivisaires en partage judiciaire. La mise en œuvre de cette disposition légale d’ordre public débouche sur une pratique et des usages parfois complexes. Selon l’article 90 extrait de la loi précitée, si l’un des cohéritiers refuse de consentir au partage, ou s’il s’élève des contestations soit sur le mode d’y procéder, soit sur la manière de le terminer, le tribunal prononce comme en matière ordinaire ou nomme s’il y’a lieu, pour les opérations de partage, un notaire, un officier public ou toute personne qualifiée dont il précise la mission et sur le rapport duquel il tranche les contestations. Le droit de sortir de l’indivision et la désignation d’un notaire liquidateur ne sauraient être refusés par le tribunal sans porter atteinte au principe constitutionnel de la propriété inviolable des demandeurs outre la liberté individuelle de l’héritier indivisaire qui serait ainsi foulée aux pieds. Le juge saisi est tenu de prononcer la sortie d’indivision à charge pour l’indivisaire partageant d’avoir à liciter ou vendre l’immeuble, en récolter le prix avant d’en reverser aux autres, sous forme de soultes, la quote-part leur revenant.
Malheureusement, en violation de l’ordre public en la matière, des décisions de justice contribuent à faire perdurer des indivisions nocives pour les héritiers, les familles et l’économie nationale. Des oppositions opportunistes sont faites aux ordonnances autorisant la sortie d’indivision. Des appels intempestifs, sans aucune base légale donne raison à ceux des héritiers qui n’ont pas envie de voir la situation se débloquer, pour autant, il y aura toujours un juge pour y donner droit sur des bases échappant au droit.
b°- L’Attribution Préférentielle
Lors d’une procédure de partage liée à un divorce ou à une succession, un indivisaire, un héritier ou légataire copartageant peut, sous des conditions strictes demander à se voir attribuer en priorité un bien (domicile conjugal, maison, exploitation agricole, entreprise commerciale, parts de sociétés, fonds de commerce..) par rapport aux autres copartageants. C’est ce que l’on nomme l’attribution préférentielle définie par les articles 106 à 109 du code civil. Ainsi la valeur du bien attribué amiablement ou par le tribunal dans le lot de la personne s’imputera sur ses droits et si elle est supérieure, donnera lieu au paiement d’une soulte. L’attribution préférentielle permettrait donc d’éviter les procédures judiciaires en attribuant amiablement l’immeuble ou l’entreprise à l’un des héritiers compétents à charge de l’exploiter et de reverser aux autres, les droits leur revenant sous la forme de soulte.
c°- La créance de salaire différé
Bien souvent dans les familles de planteurs de cultures pérennes (cacao, anacarde, hévéa, palmiers à huile, café et autres), mais également dans les entreprises commerciales, industrielles, artisanales, certains enfants travaillent avec leurs parents sans percevoir aucun salaire ni participation aux résultats de l’exploitation. De leur travail, ils ne retirent que des avantages en nature (nourriture, logement) ou quelque argent de poche. C’est typiquement le cas de l’aide familiale, que le législateur a voulu doter d’un statut légal plus équitable à travers la loi du 7 Octobre 1964 sur les successions introduit au code civil en son article 110. Le contrat de travail à salaire différé fait bénéficier le descendant resté sur l’exploitation des parents d’une créance contre la succession. La créance de salaire différé est un droit propre que le bénéficiaire doit réclamer au décès de l’exploitant avant tout partage.
Le bénéficiaire du salaire différé peut être le conjoint survivant du chef de l’exploitation, les descendants de l’exploitant, mais aussi, les conjoints de ces descendants sous certaines conditions. La créance de salaire différé peut être convertie en bien existant en nature dans la succession. En sorte, il y’a ici une possibilité de briser légalement l’indivision en allotissant un des successible d’un immeuble ou d’une entreprise dont la valeur équivaudrait à sa créance de salaire. Evidemment, dans l’hypothèse où le bien ainsi laissé dans le patrimoine du successible bénéficiaire serait supérieur à ses droits, il lui incomberait de payer aux autres, une récompense sous la forme de soulte.
b°- La gestion des dossiers de successions par le tribunal peut être améliorée.
Outre la nécessité d’une loi souhaitable, il est urgent de redonner du sens à la chaine de fonctionnement de l’appareil judiciaire en matière de règlement des successions en général. Il convient de rappeler que les successions se disent de l’art de régler les suites patrimoniales d’un décès. En sorte, lorsque les héritiers s’entendent sur tous les points, on parle d’une succession non conflictuelle dont le règlement peut être amiablement pris en charge par un notaire désigné d’accord parties par les héritiers. Il arrive fréquemment en revanche que les héritiers soient en désaccord sur des points majeurs et qu’il faille trouver une solution à leur place. A ce moment précis, force reste à la Loi, et il revient au tribunal de désigner un magistrat, lequel, en qualité d’expert, va procéder aux opérations d’inventaire, de liquidation et de partage des biens de la succession avec l’obligation de rendre compte au tribunal de ses diligences mais également de sa gestion et de ses difficultés dans l’exercice de cette fonction de haute portée judicaire. Ce magistrat amiable et désintéressé, cet expert en liquidation et opérations de partage de patrimoines, c’est le notaire. Or c’est à cette étape précise que la pratique montre bien comment le notaire nommé pour procéder aux opérations de liquidation – partage du patrimoine est abandonné par le palais, livré aux contradictions des héritiers, bien souvent aiguisées par leurs conseils et assistants de toutes nature et catégorie. Il ne reste plus au juge qu’à révoquer ad-nutum (à tout moment), pour un oui ou pour un non, le notaire commis par le tribunal. Il suffit qu’un héritier, sur fond de rumeur, ait un doute ou une interrogation pour que ce dernier soit reçu dans ses récriminations.
Si tel héritier a réussi l’exploit de mettre tel notaire en difficulté grâce aux conseils avisés de tel avocat qui aurait préféré autre notaire, le juge lui même souvent choisi grâce aux dates de ses audiences, n’a plus souvent que la main facile pour prononcer rétractation sur rétractation sans vraiment raison valable autre que le lien de proximité qui peut exister entre lui et l’un des héritiers (souvent le plus téméraire) , ou entre lui (juge) et l’ami avocat qui a su choisir la date d’audience pour écarter le notaire indésirable du règlement de cette succession trop juteuse pour la laisser gérée par un notaire dont on ne maitrise ni la langue, ni la pensée. Au final, le règlement des successions demeure un exercice périlleux, se pratiquant en dehors de toute science, davantage sur fond d’empathie et à coup de chaleureuses promesses de dons ou échanges de bons procédés. Il est temps que les tribunaux ivoiriens retrouvent leurs attributs pleins pour rechercher la solution juridique et fiscale de long terme et ne pas se contenter de solutions de courte vue. Cela peut passer par le vote d’une loi d’organisation. Le relief d’une loi souhaitée en la matière trouve son sens dans le fait que les pouvoirs reconnus actuellement aux notaires semblent être très théoriques alors qu’en pratique, les officiers publics demeurent la cible de tous les dysfonctionnements de la chaine judiciaire en la matière. Le notaire désigné par le tribunal et non pas par les héritiers devrait bénéficier d’un appui du palais de justice pendant les opérations de liquidation et ne pas se voir dessaisi au moindre coup de vent. A force de dessaisir l’un au profit de l’autre sans fondement légal, les notaires ivoiriens ne parviennent pas à liquider les successions. Ce qui fait le lit aux indivisions de longue durée. Pour autant, la loi fiscale fait obligation aux héritiers et à leur notaire de déposer les déclarations de succession au bureau d’enregistrement dans les six (6) mois du décès sous peine de lourdes sanctions civiles et pénales. Ce délai légal n’est pratiquement jamais respecté au grand dam des caisses de l’Etat.
CONCLUSION
Comme il vient d’être démontré, une grande partie des causes de sous développement semble se trouver dans la difficulté de transmettre d’une génération à l’autre, les richesses produites en Côte d’Ivoire. Les patrimoines, s’ils ne périssent pas avant le décès de leur créateur ne lui survivent pas. Les désastres sur les familles, les entreprises et l’économie nationale semblent insondables. D’ailleurs a t-on vraiment besoin de statistiques scientifiques pour mesurer l’ordre de gravité des ravages provoqués par les cas d’indivision sur le budget de l’Etat ? Il apparaît plus qu’urgent que les stratèges et promoteurs de l’émergence de la Côte d’Ivoire apportent des réponses et des ajustements aux problèmes des successions non réglés et au delà, à la question de la transmission des patrimoines en général.