Abidjan, 16-05-16 (lepointsur.com)- « Il faut que la Côte d’Ivoire soit nourri par nous-mêmes, en évitant au maximum les importations. Il faut que notre pays soit équipé grâce à nos exportations. Les cultures vivrières, il nous faut les accroître elles aussi. Il nous faut les valoriser par nos industries et il nous faut exporter les produits de cette industrie ». Ce vœu pour ne pas dire cet engagement, a été émis le 7 mai 1965 à Korhogo, par le père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, Félix Houphouët-Boigny, de retour d’une visite officielle à Ouagadougou. Vœu pieu ou réalité, un jour ?
Selon l’Agence Ecofin, le Mali, pays sahélien devient le 2ème producteur de riz en Afrique de l’Ouest derrière le Nigéria avec une production de 2,451 millions de tonnes de riz à l’approche de la fin de la campagne rizicole 2015-2016. Mieux, selon certaines sources proches des exportateurs, le Mali envisage de nourrir, très prochainement, des ménages ivoiriens.
En Côte d’Ivoire, dans tous les foyers, sans distinction de classes sociales, le panier de la ménagère a pris un sérieux coup. Dans les quartiers moins nantis, les femmes utilisent les sachets plastiques pour se rendre dans les marchés. Quant à la classe moyenne, habituée aux supers marchés, après la ronde des rayons, ils arrivent à la caisse avec un chariot clairsemé d’emplettes. Dans les préfectures, sous-préfectures, villages et campements, les populations se battent pour survivre. Les citadins sont leur dernier recours.
La majorité des appels est faite pour demander de l’argent pour acheter du riz chez le boutiquier. Le changement climatique joue sur la production vivrière. « Celui qui a faim n’est pas un homme libre », ce dicton du président Félix Houphouët-Boigny, les Ivoiriens le savent par cœur. Mais le vœu du premier président de voir chaque Ivoirien se nourrir se réalisera-t-il un jour ? Pas pour 2016. L’âge d’or du riz n’est pas pour demain. La volonté du 7 mai 1965 de M. Félix Houphouët-Boigny sera une surprise autre que son engagement de voir la Côte d’Ivoire s’auto-suffire en riz. Et pour cause, au cours du même mois, 51 ans plus tard, coïncidence pour coïncidence, le vendredi 6 mai 2016, l’ambassadeur du Japon près la Côte d’Ivoire, S.E.M. Kawamura Iroshi remet officiellement un don relatif à l’aide alimentaire (KR 2014), du gouvernement japonais à la République de Côte d’Ivoire portant sur 9 548 tonnes de riz blanchi, d’une valeur de 540 millions de yens, soit environ 2,7 milliards FCFA. Le présent don, de 9 548 tonnes, porte, à ce jour, la quantité globale de riz blanchi réceptionné par les autorités ivoiriennes à plus de 54 000 tonnes, pour une valeur totale de 3 480 millions de yens japonais, soit environ 17,7 milliards FCFA. En effet, depuis 2008, la Côte d’Ivoire a bénéficié de plusieurs dons dans le cadre du programme d’assistance alimentaire accordé par ce pays.
Ce don, au lieu de susciter fierté et reconnaissance, a plutôt créé une véritable levée de bouclier sur les réseaux sociaux. Ressuscitant par endroit le vœu d’il y a un demi siècle du père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne. « La honte!!!! Où est donc passé le programme d’autosuffisance alimentaire lancé, jadis, par Houphouët-Boigny? Où sont donc passés les Satmaci et Soderiz? », s’interroge l’internaute, Guillaume Guéi sur sa page facebook. « Depuis 8 ans, on reçoit riz cadeau des Japonais, on ne sait pas où ça va (je n’accuse personne hein, je suis sans doute, mal informé Lol). Cette année-là, pitié, pardonnez, dites-nous où on distribue riz là. On va aller se mettre en rang aussi. Tchê ! », lâche le journaliste-écrivain, André Silver Konan sur son mur. Il n’en fallait pas plus pour que des appels soient faits comme : « Allons au Japon pour comprendre comment ils produisent tant de riz qu’ils nous offrent, alors que c’est de grands consommateurs de riz. Il ne suffit pas de recevoir, il faut connaître et comprendre la production rizicole japonaise. Ce que j’ai vu, sur quelques lopins de terres. Copier, rien que copier, c’est tout ! On me dira, qu’as-tu copié? Rien ! Je n’ai aucun lopin. Il appartient à ceux qui en ont de les mettre à profit », coupe court, Djabourga Cra-Symiroui Touré, sur la toile. A travers le monde, les internautes ont réagi vigoureusement, pas pour féliciter le Japon pour le don, mais pour s’interroger sur la politique mise en place par le gouvernement ivoirien pour réaliser le vœu du président Félix Houphouët-Boigny.
La sécurité alimentaire en la Côte d’Ivoire a un bilan contrasté. En dépit de ses atouts naturels, le pays se trouve contraint d’importer des quantités considérables de produits alimentaires estimés annuellement à plus de 300 milliards FCFA, selon des experts proches du ministère de l’agriculture. Ces importations concernent principalement le riz, les fruits et les légumes. En effet, la production nationale du riz estimée à 700 000 tonnes de riz blanchi ne couvre que 50% des besoins de consommation intérieure, soutenait en 2013, l’ingénieur agronome et des industries-agro-alimentaires, Kpagni Kracou Agnini Barthélémy. Pour combler ce déficit, argumente-il, la Côte d’Ivoire a recours aux importations en provenance des pays asiatiques. « En 2011, ce sont au total 935 000 tonnes de riz semi-blanchi qui ont ainsi été importées par la Côte d’Ivoire. Concernant les fruits et légumes, les importations sont estimées à plus de 34% dont 90% d’importation d’oignon. La banane plantain, elle, accuse un déficit saisonnier de plus de 4 mois (allant du mois d’avril au mois de juillet) », précise-t-il.
Le PNR n’a pas abouti, mais le gouvernement ne reste pas les bras croisés
En dépit de la création, le 16 juillet 1996, du Projet national riz, qui deviendra par la suite Programme national riz (PNR), la Côte d’Ivoire n’a que 500 000 ha de riz emblavés qui produisent 700 000 tonnes alors que le besoin est estimé à 1 400 000 tonnes. « Toutes ces mesures prises par l’Etat n’ont pas permis de couvrir la totalité des besoins en consommation de riz de la population ivoirienne », fait remarquer le président de l’Association nationale de riz en Côte d’Ivoire (Anarizci), Thomas Tiacoh.
A la table ronde des bailleurs sur le Plan national de développement (PND), en 2013 à Paris, le ministre ivoirien de l’Agriculture, Mamadou Sangafowa Coulibaly, a exposé les grands traits du Programme national d’investissement agricole (PNIA), à la demande du premier ministre, Daniel Kablan Duncan. Sa présentation a fait l’objet d’un intérêt marqué par les partenaires techniques et financiers, ainsi que des investisseurs privés. La réalisation du développement de la culture vivrière va occuper 200 000 exploitants de riz, 100 000 producteurs de maraîchers, et permettre la production, dès 2014, de 1 000 000 tonnes de paddy supplémentaires, soient 630 000 tonnes de riz blanchi.
Conséquence : La Côte d’Ivoire obtiendra 100 000 tonnes de productions maraîchères. C’est un réel défi que doit relever le ministre Mamadou Sangafowa Coulibaly à qui le peuple ivoirien met toute sa foi pour se nourrir, et en évitant le maximum d’importations. Certes, les importations font rentrer des devises dans les caisses de l’Etat à travers les taxes des valeurs ajoutés (TVA), mais il faut maintenir cette volonté politique d’auto-suffire afin d’éviter que le père fondateur ne tourne et se retourne dans sa tombe.
En revanche, les cultures comme l’igname dont la production (5 000 000 de tonnes), et le manioc (2 000 000 de tonnes) jugées comme suffisantes pour couvrir les besoins des populations, se trouvent confrontées à certaines contraintes. Conséquence, l’accès des populations à la nourriture devient de plus en plus difficile. Des experts attribuent cela au taux de pauvreté élevé qui oscille entre 42 et 62%, selon le milieu de résidence, et à l’augmentation des prix des produits de première nécessité.
Des pistes de solution
En Côte d’Ivoire comme dans la plupart des pays en développement, les prix fluctuent plus en fonction de l’évolution de la campagne agricole. Cette fluctuation est due à la variabilité de l’offre d’une saison à une autre ou d’une année à l’autre du fait des aléas naturels affectant la production (pluies, sécheresse, etc.) ou de l’insuffisance des infrastructures de commercialisation, notamment celles relatives à la conservation. Ainsi, une mauvaise récolte conduit-elle à un prix élevé tandis qu’une bonne récolte se traduit par un prix bas et une production non vendue qui pourrit en quelques jours, faute de moyens de conservation appropriés.
A la question de savoir comment maîtriser les prix des denrées alimentaires ou du moins, comment se prémunir de leur volatilité, voici ce que proposent des experts : « Pour un pays à potentialité agricole énorme comme la Côte d’Ivoire, il s’agit de réduire la variabilité de la production à travers l’élaboration et la diffusion de paquets technologiques (services d’irrigation, variétés résistantes, traitements phytosanitaires, etc.) et la modernisation du marché, c’est-à-dire l’émergence d’institutions et d’infrastructures performantes pour la commercialisation et le stockage des produits alimentaires.»
La modernisation de la production et la modernisation des marchés sont les solutions au problème de l’instabilité naturelle des prix. C’est ainsi que le gouvernement envisage des investissements importants dans l’agriculture vivrière pour limiter la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et assurer durablement par ses propres productions, la sécurité alimentaire de Côte d’Ivoire, voire sa souveraineté alimentaire. Mais, pour quand ? Un véritable casse-tête ivoirien !
Sériba Koné
kone.seriba67@gmail.com
Encadre 1
L’Anader et l’Adrao et la vie du monde rural
La création de l’Anader vise à l’amélioration de la fourniture des services agricoles aux producteurs. Sa constitution définitive s’est opérée le 24 juin 1994. Son implantation s’est faite sur toute l’étendue du territoire national de 1994 à 1997. La formation de mise à niveau et la génération d’outils maîtrisés par les agents ont permis d’apporter un conseil effectif aux exploitants et d’atteindre un taux d’encadrement de plus de 21%, avec une prise en compte des préoccupations des couches vulnérables (jeunes, femmes) dans les programmes de vulgarisation. Au cours de la phase d’implantation, un partenariat dynamique a été développé avec la recherche agricole pour mieux répondre aux besoins des exploitants à travers une approche participative mettant l’exploitant au centre de toutes les actions. Cette approche a aussi permis d’amorcer la structuration du milieu rural et favoriser l’émergence d’entreprises économiquement viables susceptibles de rendre des services effectifs à leurs adhérents. Les résultats enregistrés au plan technique et financier ont été jugés pleinement satisfaisants. Cela a permis d’envisager la deuxième phase à partir de 1997. A la faveur de l’assemblée générale du 28 mars 1998, l’Anader est devenue une société anonyme avec un capital de 500 000 000 FCFA réparti entre l’Etat (35%), les familles professionnelles agricoles et les sociétés privées connexes (65 %). Ces missions visent à contribuer à l’amélioration des conditions de vie du monde rural, par la professionnalisation des exploitants et des organisations professionnelles agricoles (OPA), par conception et la mise en œuvre des outils appropriés, des programmes adaptés pour assurer un développement durable et maîtrisé. Cette tâche consiste, entre autres, à favoriser le professionnalisme des producteurs agricoles, des éleveurs et sylviculteurs, accroître la qualité, la productivité et les revenus, assurer la promotion des coopératives agricoles et des associations de producteurs, réaliser des études de projets agricoles et répondre efficacement à la demande des clients, exécuter tout programme ou projet de développement confié à elle par l’Etat.
Lors du conseil des ministres du mercredi 11 décembre 2013, le porte-parole, Bruno Koné, a indiqué que le gouvernement a adopté une communication relative au retour en Côte d’Ivoire, à son siège d’origine, « Africa Rice » anciennement dénommé Adrao et délocalisé au Mali à cause de la crise de 2002. « C’est donc un autre retour important puisqu’il s’agit d’un millier d’emplois. Ce retour se fera sur les terres de l’Adrao à Bouaké. Il apporte à notre pays le renforcement des compétences de nos centres nationaux, de nos instituts de recherche et des universités et donne des opportunités aux petits exploitants agricoles qui pourront profiter des recherches qui vont être faites au niveau de cette structure. Le conseil a donc exhorté les ministres concernés à prendre des mesures pour le retour rapide de cet organisme international », a-t-il expliqué.
Sériba K
Encadré2
La place de la filière du vivrier en Côte d’Ivoire
Le vivrier représente 8 millions de tonnes estimées à plus de 700 milliards FCFA. Ce secteur occupe environ 85% de la population agricole active, et est en majorité constituée de femmes. Avec la chaîne Agripac créée en mai 1972 et l’Ocpa en 1977, des stratégies de commercialisation ont été mises en place. L’Etat, peu à peu, s’est désengagé de la distribution alimentaire laissant place aux opérateurs économiques privés pour assurer la relève.
Désormais, l’Etat oriente, appuie et contrôle les activités de ce secteur à travers la création de l’Office de la commercialisation des produits vivriers (Ocpv), signé par décret N°84-934 du 27 juillet 1984. Son siège est situé sur la route d’Anyama. L’Ocpv étudie les problèmes relatifs à la collecte et à la distribution des produits vivriers en vue de proposer des actions concrètes visant à assurer une meilleure mise en marché desdits produits, contribue à l’organisation des marchés de vivriers (gros et détail), participe à la définition et à l’application de toute politique visant à l’amélioration de l’approvisionnement et à la distribution des produits vivriers, apporte une assistance aux services de la recherche de débouchés et crée les conditions favorables à l’expansion du commerce des produits vivriers en Côte d’Ivoire.
S. Koné
Encadré 3
Un véritable paradoxe !
L’Afrique des paradoxes. Comme la Guinée, château d’eau d’Afrique, avec son déficit criant d’électricité, la Côte d’Ivoire : premier producteur mondial de cacao, d’hévéa, de palmier à huile, d’anacarde, 3ème producteur africain de coton, etc., n’arrive pas, 56 ans après son indépendance politique, à s’auto-suffire en riz. Autre paradoxe : la Côte d’Ivoire abrite le siège de l’Adrao qui multiplie les variétés de riz.
La solution au problème n’est pas de multiplier les séminaires. Il faut mécaniser la riziculture en important des matériels de production de riz du Japon ou de la Chine, créer des bas-fonds pour le riz irrigué. Sinon, si on compte sur la pluie pour le riz pluvial, nous n’atteindrons jamais l’autosuffisance. Ou bien, pour l’équilibre des échanges, on accepte de cultiver des produits d’exportation, et en retour on importe du riz. Alors, on se dit que si tout le monde cultive du cacao par exemple, on n’achètera pas le nôtre, eu égard à la loi du marché qui désavantage un produit, lorsqu’il inonde celui-ci.
Avec lepointsur