Florian Huettl est un habitué des distances. Directeur marketing Eurasie de Renault, il gère, de Paris, un marché annuel de 3 millions de véhicules réparti dans huit pays : Russie, Turquie, Ukraine, Biélorussie, Bulgarie, Moldavie, Roumanie et Kazakhstan. Trois semaines par mois, il est sur le terrain. En novembre dernier, par exemple, il a organisé de Moscou une réunion téléphonique à laquelle participaient un Russe basé sur un autre site de la ville, le directeur des ventes roumain, en déplacement chez un gros client, un collaborateur bulgare en train de déjeuner dans un Starbucks de Sofia, et son bras droit, resté au Plessis-Robinson, en région parisienne. Deux heures plus tard, seconde conf call, avec d’autre participants dispersés dans d’autres endroits : à Florian Huettl de s’adapter pour qu’elle se déroule de façon aussi fluide que la précédente…

L’essor du télétravail (qui touchera un salarié sur deux en 2020, selon l’OCDE) contraint de plus en plus de managers à jongler avec les fuseaux horaires, au gré des déplacements de leurs collaborateurs. Certes, ce mode de travail fait surgir de nouvelles opportunités (surcroît d’autonomie pour les salariés, productivité en hausse de plus de 20%, etc.). Mais il faut une organisation au cordeau pour maintenir la cohésion et la motivation des équipes.

INSTITUEZ DES «MOMENTS DE SYNCHRONISATION»

Il y a quelques mois, Roland, directeur des ventes dans une firme pharmaceutique, a vu l’un de ses commerciaux partir à la concurrence avec son portefeuille de clients. Travaillant en région, ce dernier ne se sentait plus épaulé par son manager, basé à Paris. «Entre eux, le fossé s’était creusé, explique Michel Bloch, associé du cabinet de formation CFV. Ils ne s’appelaient plus que deux minutes de temps en temps pour se dire que tout allait bien.»

Le principal risque du management à distance est de perdre le contact avec ses équipes. Bien sûr, les coups de fil sont constants – «J’ai au moins vingt conversations par jour avec mes collaborateurs», assure Florian Huettl -, mais ces appels laissés à l’initiative individuelle ne compensent pas l’éloignement.

Pour maintenir une relation de qualité, il faut programmer au moinsune fois par semaine un rendez-vous d’une demi-heure avec chacun. C’est ce que les spécialistes de l’organisation appellent «routiniser des moments de collaboration synchrone». En clair : prévoir des créneaux pour se retrouver sur la même longueur d’onde, disponible et à l’écoute.

Bob Barsoum, directeur chez Steelcase (mobilier de bureau) d’une équipe répartie entre la France, l’Allemagne, la Roumanie et Chypre, voit dans ces entretiens l’occasion de faire le point sur les dossiers en cours. «J’en profite surtout, précise-t-il, pour interroger mes collaborateurs sur leur ressenti perso : quelles sont leurs préoccupations et leurs satisfactions du moment ? Ces rendez-vous remplacent un peu la machine à café de l’entreprise.»

PRIVILÉGIEZ LES RÉUNIONS PAR VISIOCONFÉRENCE

Tous les vendredis à 14 heures, Bob Barsoum organise l’autre temps fort de la semaine : la réunion de l’équipe au grand complet par visioconférence. Chacun voit ses collègues apparaître dans une petite fenêtre sur son écran d’ordinateur. Mais gare aux quiproquos, fréquents à distance ! «Une mauvaise réception du son due à une piètre connexion Internet peut, par exemple, passer pour de la mauvaise volonté», souligne Barthélemy Chollet, professeur à Grenoble Ecole de management.

Pour profiter à plein des appels vidéo, informez-vous toujours du contexte dans lequel évoluent les uns et les autres. Faites un tour de chauffe pour prendre la température. «On passe les deux ou trois premières minutes à se raconter notre week-end, à demander des nouvelles du petit dernier ou à se dire que des travaux se déroulent dans le bureau d’à côté, reprend Bob Barsoum. Et on observe attentivement le langage corporel de chacun : cela permet d’éviter bien des malentendus.»

Dès lors, vous découvrirez que ces réunions, pour être éclatées, n’en sont pas moins efficaces. «A distance, elles sont plus courtes et bien plus rigoureuses, confirme Christophe Moulin, directeur de la filiale commerciale France de Markem-Imaje (marquage et impression). Comme on ne se trouve pas dans la même pièce, on écoute davantage ce que disent les autres, on fait des efforts pour synthétiser sa pensée et on reste concentré sur le thème débattu. Il n’y a pas d’apartés.»

Pour le reste, n’abusez pas des e-mails. Pas la peine de noyer vos collaborateurs sous une tonne de courriels sous prétexte qu’ils sont loin : si vous communiquez sur tout et n’importe quoi, vos messages perdront de leur impact. «Au-delà de trois e-mails par jour avec la même personne, il est préférable de s’appeler : cela signifie qu’il existe un enjeu réel», témoigne Nicolas Droin, le directeur de l’Orchestre national de chambre de Paris, dont le directeur musical, Douglas Boyd (son bras droit), vit en Grande-Bretagne. Réservez vos envois à la transmission de documentation ou à celle des messages corporate de l’entreprise afin que vos collaborateurs puissent conserver un lien étroit avec elle.