L’Afrique dépense chaque année 35 milliards de dollars en importations de denrées alimentaires. Ce chiffre devrait augmenter jusqu’à 110 milliards en 2025. Et pourtant, l’Afrique possède 65 % des terres arables disponibles du monde. Il existe là un paradoxe dont souffrent les économies du continent, dépendantes de l’extérieur alors qu’elles ont le potentiel de nourrir le monde et d’être autosuffisantes. S’il y a déficit, il ne se trouve pas du côté des ressources, mais de leur mobilisation effective.
Contourner le paradoxe du secteur
Pour résoudre ce paradoxe, il est aujourd’hui d’usage de se référer à une « révolution verte 2.0 ». La première révolution verte avait été celle de l’agriculture intensive, avec le recours aux nouvelles variétés de semence, aux engrais, aux techniques d’irrigation, et aux insecticides. Elle a permis de pallier les graves problèmes d’approvisionnement connus alors par des pays comme l’Inde que la pression démographique obligeait à importer massivement, préemptant tout progrès dans d’autres domaines économiques friands en investissements. La révolution verte 2.0 mise quant à elle sur les avancées technologiques considérables réalisées depuis lors. Les progrès réalisés avec la première révolution verte ont aussi eu leurs revers : pollution et appauvrissement des sols et des qualités nutritives des récoltes, problèmes de santé dus aux insecticides, baisse des prix. Il s’agit aujourd’hui de privilégier les qualités nutritives, gustatives et sanitaires des productions.
Aller au-delà de la technologie et prendre en compte la dimension humaine
Cependant, réduire le sigle « 2.0 » au seul aspect technologique serait manquer sa dimension majeure. Il existe en effet d’autres voies complémentaires ou concurrentes pour définir cette nouvelle révolution verte. Au cœur de toutes ces variations, reste une préoccupation principale : prendre en compte l’aspect humain du secteur agricole, et les relations sociales qui se construisent autour de la production alimentaire. N’oublions pas que le sigle « 2.0 » représente avant tout l’économie du partage, la technologie n’étant que le support permettant la mise en commun de ressources matérielles, intellectuelles et humaines pour faire émerger de nouveaux modes de production et de vie.
Cohabitation de deux voies
En Afrique, la problématique de la modernisation agricole peut donc emprunter deux voies. La première met les nouvelles technologies au premier plan, notamment dans les domaines financiers (credit-scoring satellitaire), logistiques (optimisation des flux et IoTs), d’accès au marché (plateformes de vente) et à l’information (EdTech, plateformes d’apprentissage). Mais pour que les promesses de ces technologies soient réellement tenues, il est nécessaire d’ouvrir la deuxième voie, qui met en avant la transformation de l’ensemble de la chaîne de production agricole dans un pays, un secteur, voire une région, donnés. Ce n’est qu’après une analyse minutieuse des écosystèmes agroalimentaires dans leur globalité que l’activité agricole pourra être optimisée. Et c’est sur cette base que peut être redessinée l’organisation du secteur dans son ensemble, que peuvent être mises en commun les nouvelles technologies pour servir à tous les agriculteurs, et que peuvent être surmontés les obstacles habituels à l’utilisation optimale des terres arables africaines.
Révolution des modes de production
Ce nouveau modèle appelle notamment à repenser le modèle coopératif pour l’affranchir des enjeux de confiance et l’adapter aux réalités locales. Cette étape sera cruciale pour la diffusion des innovations agricoles à grande échelle sur le continent africain. On ne saurait trop insister sur ce point : la « révolution verte 2.0 » n’est pas simplement une révolution technologique, mais une révolution des modes de production et d’organisation dans leur ensemble. Elle consiste à penser l’appropriation durable des nouvelles technologies par leurs futurs utilisateurs (irrigation régulée, semences améliorées, imagerie satellite, fintech, machines agricoles, etc.) pour faire évoluer la manière dont les agriculteurs envisagent eux-mêmes leur manière de travailler. Une approche exclusivement technologique tendrait à les rendre passifs. Or c’est du dynamisme des agriculteurs et de leur engagement quotidien envers l’amélioration de leur métier que dépend le bien-être de tous.
Source : afrique.lepoint.fr