La dangerosité d’une « bête blessée » ? Même à la retraite le vieux « Camarade Bob » n’en conserve pas moins sa capacité de dissuasion. Même poussé à la retraite par son poulain, Emmerson Mnangagwa, devenu président, l’ombre de Robert Mugabe continue de planer sur la vie politique au sein de laquelle, ses partisans rêvent secrètement de son hypothétique retour. Au point de déclencher un poker politique avec son successeur qui a pris le pouvoir à l’arrachée ? A l’approche de la présidentielle, la question est plus que d’actualité. Analyse.
A 75 ans, Emmerson Mnangagwa, surnommé « le Crocodile» est parti nager dans les eaux de la Chine… en quête d’une stature internationale. A 94 ans, son prédécesseur déchu, Robert Mugabe, surnommé « Old Croc » (Vieux Crocodile) a quant à lui préféré se dorer au soleil de Borrowdale, un quartier huppé au nord d’Harare où il vit retranché depuis sa chute.
Un nouveau poulain de Mugabe en lice pour la présidentielle?
Entre les deux anciens compagnons, la rupture est consommée, mais la rancune et le mépris sont tenaces. Ces deux sentiments pourraient alimentés chez les nouveaux ennemis, un poker politique dont le cadre pourrait bien être la présidentielle prévue entre juillet et août lors des élections générales.Et Robert Mugabe semblait pressé que les plis soient distribués pour jouer ses premiers atouts. Reclus depuis sa chute dans sa résidence, « Camarade Bob» a renoncé aux joies de sa retraite dorée pour décocher quelques flèches en direction de son ex-poulain devenu chef à la place du chef.
A la mi-mars lors d’une conférence, l’ancien locataire de la State House a ouvertement dénoncé sa chute, qualifiant de “coup d’Etat ce que le nouveau régime appelle une «transition assistée».Le vieux crocodile n’a pas mâché ses mots allant jusqu’à parler de sa désillusion de voir son ancien compagnon de route le faire tomber. Signe de sa «radioactivité» conservée, une semaine avant cette rare sortie médiatique, Robert Mugabe a donné des sueurs froides aux cadres et militants de la Zanu-PF (au pouvoir) en s’affichant dans une photo aux côtés du général Ambrose Mutinhiri, un fidèle parmi les fidèles.
Beaucoup y voyaient vu un clin d’œil aux militaires réticents au nouveau régime, à soutenir son nouveau poulain photogénique. Mais l’annonce de la création du Nouveau front patriotique (NFP), un parti qui devrait porter la candidature du poulain de substitution de Mugabe a de quoi relancer les spéculations sur ses velléités à saborder le navire Mnangagwa. Une manière de se donner de l’importance ? Un bluff pour préparer le retour aux affaires d’un de ses fidèles en exil ?
Gare au retour en Grace !
Dans l’un ou l’autre des cas, même s’il feint de n’accorder aucune importance aux gesticulations de son ancien poulain, le nouveau «Crocodile» goûte peu ces sorties inopinées de ce prédécesseur qu’il pensait avoir envoyé aux oubliettes politiques avec en prime une retraite dorée et un parapluie anti-poursuites judiciaires. Plus occupé à se sculpter une stature internationale, Emmerson Mnangagwa court les conférences internationales et les visites à l’étranger, sans doute pour incarner auprès des bailleurs internationaux et des partenaires, l’homme du pouvoir. Les rassurer surtout face aux oracles de l’incertitude. Le « Crocodile» n’est pas novice dans l’art des combines politique. S’il peut se permettre d’enchaîner les voyages, c’est qu’il a pris les devants.
Le nouvel homme fort d’Harare a bien repris en main la Zanu-PF, un tremplin vers une élection par les urnes. Après avoir entamé une purge de la section dite du « G40» qui s’était formée autour de Grace Mugabe, l’ex-Première Dame, il a placé autour de lui, des hommes en tenue qui ont soutenu dès la première heure son coup d’Etat. Même si Nelson Chamisa a pris la tête du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), en remplacement de Morgan Tsvangirai, mort fin février d’un cancer, l’opposition zimbabwéenne est trop occupée à se cherche pour pouvoir se poser en alternative au régime de Mnangagwa. Si l’on ajoute à cela que le vote de la diaspora est écarté et que les personnalités de poids au sein de l’ex-G40 sont en exil, il ne faut pas des calculs d’apothicaire pour savoir que l’élection est jouée d’avance.
Dans le calme des eaux pourtant se cache peut-être l’agitation. Robert Mugabe semble ne pas avoir dit son dernier mot, déterminé qu’il est à laver l’affront de son poulain. A moins que, Grace Mugabe, à qui on prête une influence fantasmée ou réelle sur Bob, n’utilise son mari pour revenir sur le devant de la scène politique. Cela confirmerait un proverbe africain dont Emmerson Mnangagwa devra se rappeler. « Le crocodile ménage ses forces et laisse sa proie venir à lui ». Toute la question est de savoir : lequel des crocodiles ?
Avec latribuneafrique