Soucieux d’améliorer ses performances, le fisc a lancé une guerre contre la fraude. La multiplication des procédures de redressement crée un branle-bas au sein des entreprises. Mais la tactique est payante.
Les redressements fiscaux adressés à l’ensemble des trois sociétés du célèbre homme d’affaires Sébastien Ajavon n’ont presque rien de particulier. En dehors du montant inédit de 155 milliards de F CFA (236 millions d’euros) dont il doit s’acquitter, les procédures déclenchées par le fisc sont devenues monnaie courante à Cotonou. « Il paraît que personne n’y échappe actuellement », confie Lucien, patron d’une PME de maintenance informatique qui a été redressée pour 8,5 millions de F CFA.
Même les grandes entreprises y passent. Fludor, fleuron de l’industrie agroalimentaire et du négoce de produits tropicaux (graine de coton, anacarde), est épinglé pour plus d’un milliard de F CFA. Le secteur privé n’est pas le seul concerné. Des entreprises publiques telles que la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et l’Office de radiodiffusion et de télévision (ORTB) ont déjà été invitées à solder leurs impayés aux impôts.
Même les entreprises dont les promoteurs sont considérés comme proches du régime ne sont pas épargnées, explique Nicolas Yenoussi, directeur général des impôts
On se souvient encore du cas emblématique de l’opérateur public de distribution de l’eau (Soneb) dont les responsables, le directeur général compris, ont été écroués au début de novembre pour une affaire de falsification de quittances délivrées par les impôts et de non-reversement de TVA de l’ordre de 280 millions de F CFA. « C’est une opération menée sans aucun favoritisme. Même les entreprises dont les promoteurs sont considérés comme proches du régime ne sont pas épargnées », explique Nicolas Yenoussi, directeur général des impôts.
Par exemple, le groupe de presse Golfe TV Africa, qui fut l’un des rares à avoir assuré la campagne électorale du président Patrice Talon, est actuellement sous le coup d’un redressement de plus de 400 millions de F CFA.
Une « intransigeance subite » du fisc
Face à l’inflexibilité du fisc, les entreprises épinglées ne savent plus à quel saint se vouer. « Ils ne veulent rien entendre. Je les trouve secs et expéditifs. C’est comme s’ils subissaient une pression terrible… », fait observer un entrepreneur. « Nous-mêmes sommes surveillés », lance un cadre de la direction générale des impôts sous couvert d’anonymat, rappelant le démantèlement, au sein de l’administration fiscale, d’un réseau de détournement de chèques payés par les contribuables. C’était en avril 2017 et, dans cette affaire, six fonctionnaires ont été envoyés derrière les barreaux de la prison civile de Cotonou. « Ce qui a changé aujourd’hui, c’est que nous avons carte blanche pour aller partout », ajoute le fonctionnaire de la direction générale des impôts.
Du côté des entreprises, on ne s’explique pas l’« intransigeance subite » du fisc. Certains dénoncent une « pression destinée à pallier les difficultés de mobilisation des ressources pour financer le Programme d’actions du gouvernement [PAG] » estimé à 9 039 milliards de F CFA.
44 milliards de F CFA récoltés
Presque un an après avoir déclenché les hostilités contre ceux qui n’honorent pas leurs obligations, l’administration fiscale se frotte les mains : cette campagne a permis en 2017 de collecter 44 milliards de F CFA de plus qu’en 2016.
Toujours en 2017, la direction des grandes entreprises a vu son portefeuille passer de 303 à 490 sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard. Un pari gagné qui, selon le juriste fiscaliste Adrien Toudonou, va contribuer à renforcer la probité fiscale. Mais qui peut également engendrer un renchérissement généralisé des prix sur les marchés…
Avec jeuneafrique