L’affaire Sarkozy-Kadhafi s’accélère. Avec la mise en examen de l’ancien chef de l’Etat français, elle prend une tournure intéressante, avec des développements spectaculaires.
- Le transfert d’argent liquide libyen au profit de Nicolas Sarkozy ne fait plus aucun doute;
- les réseaux par lesquels s’opère ce genre de transfert sont d’une grande banalité: services spéciaux d’un pays du tiers-monde, amis et proches du dirigeant libyen, proches du dirigeant français, intermédiaires qui se servent au passage, etc.
- les sommes en question vont de dix à 50 millions de dollars
- la parole de dirigeants du tiers-monde ne valent rien dans ce genre de dossier. Kadhafi lui-même, son ancien premier ministre Chokri Ghanem (assassiné en 2012 à Vienne), son ancien patron des services Abdellah Senouci, son fils Seif El-Islam, et d’autres, ont tous déclaré publiquement avoir donné de l’argent à Sarkozy. Leurs propos sont restés sans effet. Ils ont moins de valeur que ceux d’un petit juge ou d’un journaliste français.
- L’immoralité et le mensonge de ces dirigeants occidentaux fait que tout dirigeant du sud attaqué par des personnages aussi douteux devient immédiatement défendable. Y compris quand il s’appelle Ahmadinedjad ou Bachar El-Assad. Désolé pour François Burgat et Ihsane El-Kadi, mais c’est ainsi. Et c’est une tendance qui risque de se renforcer dans les opinions des pays du sud.
Un cadavre et un mobile
Ce volet du dossier, aussi spectaculaire soit-il, ne doit cependant pas occulter le reste.
- Comme toute bonne histoire policière, on dispose, dans la mort de Maammar Kadhafi, de deux éléments essentiels: un cadavre, celui du dirigeant libyen, et un mobile, l’argent versé à Sarkozy. L’accusation de meurtre devient alors crédible. L’Etat français ira-t-il jusqu’à enquêter sur cette hypothèse selon laquelle Sarkozy aurait utilisé les moyens de l’Etat pour régler un problème personnel, en éliminant un témoin gênant, sous prétexte d’intervention humanitaire?
- Un homme a été assassiné, et tout le monde s’est détourné de son cadavre. Il agit de Chokri Ghanem, ancien premier ministre de Kadhafi, noyé dans la paisible capitale autrichienne Vienne. L’homme gérait des milliards de dollars. Il est impossible que les services spéciaux de tous ces pays capables de repérer un terroriste isolé dans le désert somalien n’aient pas une idée précise de ce qui ’est passé.
- Bachir Salah, autre proche de Kadhafi, exfiltré de France dans des conditions rocambolesques, a fait l’objet d’une tentative d’attentat le 23 février en Afrique du Sud où il s’tait réfugié. Il a été gravement blessé par arme à feu. Lui aussi gérait une partie de l’argent occulte de Kadhafi.
Défendre Kadhafi? La belle blague
Deux précisions avant de continuer. Kadhafi était un dictateur. Indéfendable.
Il était aussi dans un cadre inefficace, destructeur. Ce qu’il a fait s’est écroulé en quelques semaines. Son plus grand échec est de ne pas avoir doté son pays d’institutions viables en mesure de protéger le peuple libyen. Cela suffit pour porter un jugement ses quarante ans de règne. Sans parler de sa conception loufoque du pouvoir.
Rappeler ces faits ne relève donc ni du complotisme, ni d’une volonté de victimisation. Cela pousse simplement à susciter une réflexion sur le contenu des pouvoirs du sud, sur les rapports nord-sud, et sur ce qui fait la différence entre Kadhafi et Sarkozy.
- Dans les pays occidentaux, on peut violer la loi. Mais si des groupes, des lobbies, ou simplement des militants réussissent à révéler des malversations, l’accusé est traduit devant les tribunaux. Quelle que soit sa position. Il peut utiliser son pouvoir et tous les stratagèmes possibles pour échapper à la sanction, et il y arrive souvent, mais la loi le rattrape.
- En Libye, la règle du droit n’existe pas. C’est le chef du moment (Kadhafi, Mohamed Ben Selmane, Saddam Hussein) qui dicte, applique et annule la loi.
- Dans ce rapport nord-sud, il y a une inégalité de base. Le dirigeant du nord (Sarkozy, Bush, Blair) a raison, et il peut faire les guerres qu’il veut, jusqu’à preuve du contraire. Celui du sud a tort, quoiqu’il fasse.
A ce titre, un dirigeant du nord a naturellement un droit de vie t de mort sur des millions de personnes dans le sud. Il ne le connait pas, ils ne votent ni pour lui ni contre lui, ils appartiennent à un monde différent du sien, mais il prend des décisions qui feront des milliers de victimes, ce qui est considéré comme une chose normale.
Le bon, la brute et les méchants
Un dirigeant du nord est naturellement bon. Barack Obama, qui a lancé la guerre en Libye et en Syrie, François Hollande, qui a réoccupé le Mali, sont de bons dirigeants aux yeux de leurs peuples. ils ont agi pur le bien de leurs pays respectifs, et mêmes pour défendre les peuples du sud.
Au pire, George Bush, qui a lancé l’occupation de l’Irak, la destruction de son Etat, avec toutes les conséquence qui en découlaient (morts, destructions, communautarisme destructeur, et pour clore le tout, l’apparition de Daech), George Bush est donc considérée comme une brute. Mais pas comme un criminel qui doit rendre des comptes.
A l’inverse, un dirigeant du sud non docile est un méchant. Il faut l’éliminer, le mater, ou le corrompre, ce qui constitue une option très recherchée pour continuer à lui vendre des armes.
Analogie
Dans l’affaire de l’agent double Sergueï Skripal, Londres a accusé Moscou de l’avoir empoisonné. Les principaux pays occidentaux (France, Etats-Unis, Allemagne) ont fait bloc pour soutenir le gouvernement britannique dans ses accusations. Ils affirment détenir suffisamment d’éléments pour étayer leur position.
Dans le cas Kadhafi, les mêmes pays détiennent aujourd’hui suffisamment d’éléments pour pouvoir conclure que Sarkozy a reçu de l’argent de Kadhafi. Ils s’agit d’éléments plus probants, ne provenant pas des seuls services de renseignements, mais d’enquêteurs français supposés indépendants. Vont-ils adopter une attitude cohérente si une plainte est déposée contre Sarkozy pour avoir commandité ce crime?
Se protéger
Mais au-delà de tous ces développements, la principale question qui se pose pour les pays du sud, c’est: comment se protéger? comment protéger son propre pays et son peuple face à ce sentiment d’injustice, face à ces crimes?
Une réponse s’impose: construite un Etat fort, avec des institutions légitimes, crédibles, dans lesquelles la règle du droit prime.
C’est une autre histoire.
Avec huffpostmaghreb