S’il profite du succès de l’aéroport d’Abidjan, le groupe français Egis vit des heures difficiles au Congo et plus encore au Gabon. Son salut pourrait venir des pays anglophones.
«Nous ne nous considérons pas comme évincés. Rien n’est encore décidé ! » assure Francis Brangier. De retour de la capitale gabonaise où il a rencontré à la mi-février dans la foulée d’un conseil d’administration d’Aéroports de Libreville (ADL) des membres du gouvernement, le directeur général d’Egis Airport Operation (17 aéroports gérés dans le monde, 5 sur le continent) ne veut surtout pas s’avouer vaincu.
Hors de question pour l’ancienne Sofréavia, filiale de la Caisse des dépôts (CDC), d’être emportée dans le même tourbillon que son compatriote Veolia, exproprié quelques jours auparavant de la gestion de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG). Alors que fin de novembre une lettre du gouvernement sonnait le glas au 30 juin 2018 de la concession que son entreprise détient avec l’aéroport de Marseille‑Provence depuis 1988 (l’un des premiers partenariats public-privé du continent), Francis Brangier est toujours dans l’expectative. Il ne connaît pas le nom du futur gestionnaire de l’aéroport Léon-Mba.
Aéroport Léon-Mba
À ce jour, trois solutions se dessinent : une reprise en main d’ADL par l’État, l’arrivée de Gabon Special Economic Zone (GSEZ, filiale du singapourien Olam) associé à un nouvel opérateur, ou bien la reconduction d’ADL, seul ou en partenariat avec GSEZ… car d’âpres discussions étaient toujours en cours ces derniers jours avec les autorités pour l’établissement d’un contrat « modernisé » qui viendrait prolonger l’actuel.
Celui-ci comprenant, selon différentes sources, l’ajout d’une redevance de concession au profit de l’État, des investissements dans des équipements de sûreté (l’aéroport n’a pas actuellement la certification de l’Organisation de l’aviation civile internationale) et une meilleure contribution de l’aéroport de Libreville au développement des aéroports domestiques. Un audit toujours en cours doit permettre aux autorités de trancher.
Tout l’enjeu pour Egis est désormais, outre la bataille pour assurer la période transitoire à Libreville, d’être partie prenante du nouveau projet comme conseil ou exploitant de la future infrastructure
Mais un renouvellement de la concession d’Egis à Libreville ne signifierait pas nécessairement qu’il aura signé un bail à long terme au Gabon. Car, bien qu’au cours des trois dernières années Francis Brangier ait proposé d’investir 60 millions d’euros dans l’extension et la modernisation des infrastructures, l’État semble bien décidé à fermer l’aéroport actuel pour en construire un nouveau d’ici trois ans à une trentaine de kilomètres de la capitale, à proximité de la zone économique spéciale de Nkok, et qui visera à terme les 5 millions de passagers. Non pas que l’aéroport actuel soit saturé, son trafic est même en diminution depuis deux ans, mais il est totalement encerclé par des constructions et n’offre plus de possibilités d’agrandissement.
« Quand nous avons proposé d’investir il y a trois ans, on ne pensait pas que le nouvel aéroport arriverait avant une dizaine d’années. Réaliser ces travaux et les amortir sur quatre ans semble maintenant difficile », constate Francis Brangier. Tout l’enjeu pour Egis est désormais, outre la bataille pour assurer la période transitoire à Libreville, d’être partie prenante du nouveau projet comme conseil ou exploitant de la future infrastructure confiée le 28 février à GSEZ Airports SA pour cinquante ans, associé notamment à Africa Finance Corporation (AFC).
Un maillon supplémentaire dans le dispositif d’Olam, acteur majeur de l’huile de palme et de l’hévéa, qui contrôle aussi la zone économique de Nkok et le terminal à cargos du port d’Owendo, inauguré en octobre 2017. L’octroi du nouvel aéroport apparaît comme une belle contrepartie pour le singapourien, qui a dû confier à Bolloré la gestion du terminal d’Owendo au terme d’un bras de fer perdu avec le logisticien français. « Dans la dynamique de la zone franche, il n’est pas anormal que le gouvernement pense à ajouter à celle-ci un pôle multimodal fort dont l’aérien serait l’un des vecteurs de développement », indique Francis Brangier. Reste qu’Egis n’est pas seul en lice et pourrait faire face à la concurrence d’Engie, également en discussions avec GSEZ, comme l’a appris JA.
Trous d’air congolais
Comme si ces turbulences gabonaises ne suffisaient pas, Egis doit faire face à des vents contraires au Congo, où le groupe gère depuis 2010 trois aéroports (Brazzaville, Pointe-Noire et Ollombo). Avec la chute du cours du brut, c’est toute l’économie du pays et notamment de la ville pétrolière de Pointe-Noire qui s’est arrêtée, entraînant une baisse drastique du trafic. S’y est ajouté l’échec de la compagnie nationale ECAir, dont les avions sont cloués au sol depuis octobre 2016 et qui devait contribuer à la prospérité du hub de Brazzaville.
Quant à l’aéroport d’Ollombo, inauguré en 2013, il était censé bénéficier d’une forte croissance du secteur minier que l’on attend toujours. Résultat : « Les infrastructures se retrouvent largement surdimensionnées. Nous avons adapté nos charges à la réalité des revenus, on a discuté avec le gouvernement des redevances qui permettraient au gestionnaire Aerco de pouvoir faire face au cours des prochaines années », rapporte Francis Brangier.
Egis présentera dans deux à trois mois une nouvelle stratégie qui l’amènera à s’intéresser beaucoup plus aux pays d’Afrique anglophone
Pour retrouver un peu d’optimisme, le dirigeant regarde dans le rétroviseur. Durant les années 2000, l’entreprise avait déjà dû surmonter la crise ivoirienne, à travers Aeria, de l’aéroport d’Abidjan. Après être tombé à 647 000 passagers en 2011, son trafic dépasse les 2 millions de passagers depuis 2017 et est appelé à doubler dans les cinq prochaines années. Un succès porté par une conjoncture favorable, par le dynamisme d’Air Côte d’Ivoire et la politique de hub qui devrait bientôt accueillir les vols transatlantiques d’Ethiopian Airlines. « Un plan d’agrandissement comprenant un taxiway parallèle à la piste principale, une nouvelle voie de stationnement et un terminal d’aviation d’affaires est en cours de finalisation », explique le dirigeant.
Reste que la situation en Afrique centrale amène Egis à vouloir étendre son terrain de chasse. Toujours positionné, à la différence de son concurrent Aéroports de Paris (ADP), sur les terminaux de petite et moyenne tailles, de 1 à 10 millions de passagers, il présentera dans deux à trois mois une nouvelle stratégie qui l’amènera à s’intéresser beaucoup plus aux pays d’Afrique anglophone. S’il est attentif à une prochaine mise en concession au Mali et à la possible privatisation d’aéroports marocains, le groupe guette tout particulièrement les marchés du Nigeria, du Kenya et de la Tanzanie.
Il tentera aussi de vendre son expertise à la Namibie et à l’Angola, misant sur ses expériences à Nouakchott et Ouagadougou. Encore faut-il que ces États consentent à mettre en concession leurs aéroports. « Il n’y a pas énormément de concessions sur le continent africain », rappelle le consultant Alain Falque, fondateur d’ADP Management, présent à Conakry et à Maurice, qui vise maintenant la gestion de l’aéroport de Cotonou. « Et il y a peu d’immobilier pour diversifier les recettes car il y a peu d’espace », poursuit-il. Egis s’était vu retirer à Abidjan en 2015 le projet d’Aérocité par les autorités ivoiriennes.
Engie, un concurrent expérimenté
Ses activités dans l’énergie pourraient le faire oublier, mais le français Engie est un prestataire aéroportuaire expérimenté. Il est présent dans 34 aéroports dans le monde dont celui du Cap, notamment à travers sa filiale Cofely, dirigée par Jean-Pierre Moneger. Contacté, le groupe confirme qu’il regardera l’appel d’offres de l’aéroport de Nkok, qui remplacera celui de Libreville. Un contrat que lorgne également Egis.
Avec jeuneafrique