«C’était une maison de passe, mais on s’est décidé en cinq minutes», confie Romée de Goriainoff, nouveau propriétaire du désormais branché Grand Pigalle Hôtel, dans le quartier du même nom. En cinq minutes, vraiment ? «Pas le choix, on était quatre sur le coup, et des comme ça, on n’en trouve plus», confirment ses deux compères Olivier Bon et Pierre-CharlesCros, rois des bars à cocktails Experimental à Paris, Londres et New York. Bien vu : acheté 3,7 millions d’euros et rénové pour 2 de plus, ce 36 chambres à 200 euros la nuit affiche (presque) complet depuis son ouverture en avril dernier. Pris au jeu, notre trio de trentenaires ne compte pas s’arrêter là. «Début 2017, on ouvrira (au 17, boulevard Poissonnière, mais chut…) un 52 chambres de 2.500 mètres carrés avec terrasse et jardin intérieur», lâche Romée.

Ils ne seront pas les seuls. Alors que les fonds d’investissement étrangers ont mis la main sur nos palaces, la dernière mode, chez les millionnaires, est de s’offrir un hôtel : trois ou quatre étoiles à Paris, jolie bâtisse en province, à la montagne ou à la mer ! Enquêter sur ces nouveaux propriétaires, c’est comme parcourir le «Who’s Who» du business. On y retrouve des banquiers d’affaires (Philippe Villin, Marc Tournier), des producteurs télé (Stéphane Courbit, Jacques Essebag alias Arthur), des entrepreneurs du Web (Jean-Philippe Cartier), des rois du Sentier (Patrick Pariente, Samy Marciano), des industriels (les famillesDassault, Lavorel, Esnée), des joailliers (Arthus Bertrand), des restaurateurs auvergnats (Costes, Vaurs, Moussié), des assureurs nantais (Jousse), des distributeurs bretons (Ferré)

Le MGallery Bastille Boutet, géré par Accor, dans lequel a investi l’animateur Arthur : 

Des prix qui s’envolent

«C’est de la folie, confirme Hubert de Rostolan, agent immobilier spécialisé dans l’hôtellerie depuis plus de vingt ans, je n’ai jamais eu autant de mandats d’acheteurs.» D’ailleurs, dans la capitale, 61% des hôtels appartiennent à des groupes familiaux ou à des indépendants. Un vrai Monopoly à l’échelle de la France, avec une centaine de joueurs autour de la table. Et ça mise gros. «Sans le coup d’arrêt des attentats du 13 novembre, 2015 s’annonçait comme l’année record des transactions hôtelières, supérieures à 2,8 milliards d’euros, contre 700 millions en 2009», souligne Stéphane Botz, spécialiste du secteur chez KPMG. Avec des tickets d’entrée toujours plus élevés. «Un quatre-étoiles bien placé, murs et fonds de commerce, se vend jusqu’à 10 fois son chiffre d’affaires, le triple d’il y a dix ans», observe Céline Falco, à la tête avec son mari, Jean-Bernard, d’un mini-empire de 30 établissements (Paris Inn Group), qui s’agrandit de deux adresses par an.

Et ce n’est pas la dernière acquisition de Xavier Niel (Free) et des frères Pariente (ex-Naf Naf) qui va faire baisser le mercure : déjà propriétaires du palace de 53 chambres L’Apogée, à Courchevel, ils auraient mis 25 millions sur la table pour La Villa Mazarin, un quatre-étoiles de 35 chambres dans le Marais, à Paris.

L’Apogée à Courchevel, le palace à la montagne de Xavier Niel : 

Mais quelle mouche a bien pu les piquer ? «Ils savent bien compter», s’amuse Vanguelis Panayotis, président du cabinet MKG Hospitality. D’abord, première destination touristique mondiale, la France voit sa fréquentation croître de 4% par an, mais elle manque d’hébergements. «Rien qu’à Paris, où le taux d’occupation moyen dépasse 80%, le meilleur d’Europe après Londres, il faudrait de 8.000 à 10.000 chambres de plus», observe Stéphane Botz.

Des exonérations fiscales et une rentabilité de rêve

Ensuite, contraints par la concurrence d’Airbnb et la mise aux normes, quantité de propriétaires d’établissements vieillots préfèrent les vendre plutôt que d’investir pour monter en gamme. «On m’a proposé 40 dossiers en 2015», confie Jean-Philippe Cartier (H8 Collection) qui en a conclu trois : le Mathis à Paris, le Mont-Blanc à Chamonix et La Maison d’Uzès à côté d’Avignon.

Et puis, ces nouveaux tauliers ne le crient pas sur tous les toits, mais «ce secteur est un vrai petit paradis fiscal», lâche Olivier Carvin, président du groupe Maranatha, 59 hôtels en portefeuille. Pas d’ISF (c’est un outil de travail), réduction d’IR, exonération d’impôt sur les plus-values…

Sans parler d’une rentabilité à faire pâlir l’industrie du luxe. «Dans les maisons les mieux gérées, le résultat brut d’exploitation dépasse 50% du chiffre d’affaires», précise Bruno Marcillaud, DG de Century 21 Horeca. Enfin, «l’hôtellerie, c’est fun, et pour toute la famille, rappelle Hubert de Rostolan. Madame peut s’occuper de la déco, fiston de la commercialisation…». Comme Martin Bazin, ancien candidat au jeu «Koh-Lanta», à qui son père, Sébastien Bazin, patron d’Accor, a confié les clés des deux adresses qu’il possède en propre, La Maison du Bassin, au Cap-Ferret, et Le Savoy, à Méribel.

Amateur, s’abstenir

Mais attention, prévient Xavier Anthonioz, dont le fonds 123Venture est présent au capital de 18 hôtels indépendants quatre et cinq étoiles, «ce métier est tout sauf un passe-temps d’amateur». Déjà, il faut dénicher la belle endormie et bien l’acheter.

«Avant de me lancer, j’ai visité 250 hôtels et étudié 45 dossiers», se souvient Michel Delloye, issu d’une dynastie sucrière du Nord. Car, malgré de gros moyens, pas question pour lui d’aller à Saint-Tropez, à Courchevel, à Paris dans le Marais ou à Saint-Germain-des-Prés, «les prix y sont délirants». Non, pour son premier boutique-hôtel COQ Hotel, ce financier a préféré le modeste XIII e  arrondissement de la capitale. Mais pas n’importe où. «Il est à 600 mètres de la future halle Freyssinet, l’incubateur de 1.000 start-up de Xavier Niel !»

Adrien Gloaguen aussi a eu du flair. D’un gourbi aux mains d’un marchand de sommeil près du populaire faubourg Saint-Denis, le fils du fondateur du « Guide du routard» a fait le Paradis, devenu le chouchou des agences de pub alentour, qui lui envoient tous leurs clients et lui assurent un taux d’occupation record de 92% ! En plus, sans restaurant ni room-service – le quartier fourmille de bonnes tables – ses frais de personnel sont réduits au minimum : deux réceptionnistes, une «cafetière» (pour les petits déjeuners, de 6 à 10 heures) et trois femmes de ménage.

D’ailleurs, les adresses les plus prestigieuses sont rarement les plus rentables. «Ouvert il y a plus d’un an près de l’Etoile, le Peninsula, propriété d’un fonds qatari, affiche des taux de remplissage très décevants, glisse Olivier Carvin (Maranatha). Quand on sait que son aménagement a coûté 460 millions d’euros… »

Stéphane Courbit, producteur de Cyril Hanouna, a misé sur le Sud avec la Bastide de Gordes, dans le Lubéron : 

Miser sur la déco et la comm’

C’est l’autre secret de ces nouveaux hôteliers à succès. «Ils gèrent leurs rénovations au cordeau», reconnaît Dorothée Meilichzon, la décoratrice que tout le monde s’arrache. Samy Marciano fait partie de ces maniaques. Après avoir fait fortune dans le prêt-à-porter (Folia, Rodier), ce pur produit du Sentier a ouvert six hôtels à Londres avant de se lancer à Paris en 2014.

Pour son Bachaumont (50 chambres), une ancienne clinique du quartier Montorgueil, où il a investi 25 millions d’euros, ce grand voyageur a tout testé : «Les lits de 180, la hauteur des prises pour recharger son téléphone sans se casser en deux, l’intensité des lampes, l’acoustique, le peignoir de bain… », égrène-t-il avant de s’envoler pour l’Italie, où il va choisir les sols de son prochain bébé, le Saint-Martin, dans la rue du même nom, un 70 chambres à 300 euros la nuit, dont la facture finale devrait frôler les 50 millions d’euros.

> Vidéo. La piscine Molitor, joyau Art déco parisien, est de nouveau ouverte après une luxueuse restauration : 

Après un tel investissement, les clients ont intérêt à affluer. Et pour ça, mieux vaut soigner sa com. Jean-Philippe Cartier en a même fait sa spécialité. «Regardez, s’excite cet ancien entrepreneur de la nuit (L’Arc, à Paris) de sa voix rocailleuse, on poste sur Facebook une photo de Kad Merad passant Noël au Mas de la Fouque, en Camargue, et hop, les likes pleuvent.»

Au QG de H8 Collection, backoffice de ses cinq établissements de prestige, une équipe de marketeurs anime les réseaux sociaux, lance des coffrets cadeaux, deale avec des marques de cosmétiques pour les produits de bain… Plutôt efficace : depuis son rachat en 2014, le chiffre d’affaires du Mas de la Fouque est passé de 1 à 3 millions d’euros.

LE NOUVEAU CHEVAL DE BATAILLE D’ARNAULT

À travers sa filiale LVMH Hotel Management et en hommage à son célèbre château bordelais, Bernard Arnault a ouvert trois Maisons Cheval Blanc, à Courchevel, à Saint-Barth et aux Maldives. La prochaine (80 chambres sur 14.000 m2), ouvrira au cœur de Paris, dans l’ancienne Samaritaine. Et on lui prête l’intention de racheter à Saint-Tropez un fleuron local. D’autres marques de luxe comme Bulgari, Armani ou Baccarat se sont aussi diversifiées dans l’hôtellerie.

NOTRE TROMBINOSCOPE DES NOUVEAUX HÔTELIERS  

Réunis (pour la première fois) par Capital dans l’une des chambres du futur hôtel Panache, la deuxième adresse parisienne d’Adrien Gloaguen, ces nouveaux hôteliers possèdent à eux sept plus de 100 établissements en France. (Cliquez sur l’image pour l’agrandir)

De gauche à droite :

1. Samy Marciano : après avoir fait fortune dans le prêt-à-porter et revendu six hôtels à Londres, il a ouvert Le Bachaumont, à Paris, en 2014, et finalise deux autres projets.

2. Olivier Carvin : le groupe Maranatha de cet ex-expert comptable marseillais a acquis et rénové 59 établissements à Paris, à la montagne et dans le sud de la France.

3. Jean-Philippe Cartier : sous la bannière H8 Collection, cet ex-entrepreneur du Web a déjà racheté et relooké 5 hôtels de charme dans des sites exceptionnels.

4. Adrien Gloaguen : après un premier hôtel à 25 ans, suivi du Paradis (Paris Xe), le fils du fondateur du «Guide du routard» s’apprête à ouvrir le Panache (IXe).

5. Michel Delloye : ce descendant d’une dynastie sucrière du Nord a démarré à Paris avec un boutique-hôtel, COQ Hotel, et rénove un 4-étoiles de 53 chambres dans le Ve.

6. Céline Falco : unique actionnaire avec son mari du Paris Inn Group (28 hôtels), elle va ouvrir 60 Maisons Albar en France et en Asie avec le groupe chinois Plateno.

7. Romée de Goriainoff : connu pour ses bars à cocktails Experimental, le trio qu’il forme avec Olivier Bon et Pierre-Charles Cros fait un carton avec le Grand Pigalle Hôtel.