Les géants pétroliers Shell et ENI auraient commis de graves négligences en adoptant une attitude irresponsable face aux déversements d’hydrocarbures dans le Delta du Niger, a annoncé Amnesty international dans un rapport publié, le vendredi 16 mars. L’ONG appelle l’Etat nigérian à durcir sa réglementation dans le secteur pétrolier.
En se basant sur une analyse d’éléments accessibles au public, Amnesty International a révélé que Shell, par sa filiale Shell Petroleum Development Company of Nigeria, et ENI via sa branche locale Nigerian Agip Oil Company ont attendu plusieurs semaines avant de réagir aux signalements de déversements qui ont aggravé la crise environnementale.
L’Organisation non gouvernementale conteste également la véracité des données publiées par les majors pétroliers, accusés de publier des informations erronées sur la cause et la gravité de ces fuites, mais aussi de compromettre toute possibilité d’indemnisation pour les populations locales sinistrées. «Shell et ENI affirment faire tout leur possible pour prévenir les déversements d’hydrocarbures, mais les recherches des décodeurs laissent à penser qu’il en est autrement. Ceux-ci ont découvert que les deux entreprises ignoraient souvent les signalements de fuites pendant de longs mois ; une fois, ENI a même mis plus d’un an à réagir», a déclaré Mark Dummett, spécialiste de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International.
Shell et ENI sont également suspectés d’avoir publié des informations erronées. Depuis 2011, Shell a signalé 1 010 déversements correspondant à la perte de 110 535 barils, équivalant à 17,5 millions de litres sur le réseau d’oléoducs et de puits géré par l’entreprise. Depuis 2014, ENI a signalé 820 déversements correspondant à 26 286 barils, soit 4,1 millions de litres.
Les entreprises incriminées soutiennent que la plupart des déversements d’hydrocarbures au Nigeria sont le résultat de vols et de sabotages. Une affirmation contestée par les habitants du Delta du Niger. Des recherches antérieures d’Amnesty International ont mis au jour des cas dans lesquels Shell et ENI n’ont pas classé les déversements dans la bonne catégorie. Cependant, l’une des informations phares retenues dans le communiqué à charge contre les géants pétroliers fournis par Amnesty est que Shell et ENI ne réagissent pas assez rapidement aux signalements de déversements.
430 jours avant d’intervenir
Conformément à la réglementation nigériane, les entreprises ont l’obligation de se rendre sur le lieu de fuites, 24 heures après le signalement. Or, il ressort de l’analyse de documents internes que Shell n’a respecté cette obligation que dans 26 % des cas et ENI 76 %. Une fois, Shell a mis 252 jours pour envoyer une équipe sur place, signale le document. «S’il existe une réglementation nationale, ce n’est pas pour rien. Plus les entreprises tardent à réagir en cas de fuite, plus les hydrocarbures risquent de se répandre dans les aliments et l’eau, et Shell le sait. Cette entreprise ne se comporterait jamais de manière aussi irresponsable si son pétrole s’infiltrait dans le sol européen», a déclaré Mark Dummett.
Le temps de réaction le plus long a été a signalé chez ENI et est estimé à 430 jours, suite à un déversement dans la localité de Bayelsa. Pour sa défense, l’entreprise a fait savoir à Amnesty International que ces retards sont dus au fait que des habitants avaient refusé à son personnel d’accéder à la zone. Une fois sur les lieux du sinistre, les représentants de l’entreprise auraient calculé la quantité d’hydrocarbures déversée en mesurant uniquement le périmètre dont la contamination était visible, ce qui correspondait à quatre barils.
A la lumière de ces éléments, Amnesty International demande à l’État nigérian de rouvrir les enquêtes sur 89 déversements d’hydrocarbures.
Avec latribuneafrique