La Banque africaine de développement a dévoilé, le 12 mars courant, l’édition 2018 de son rapport annuel phare intitulé « Perspectives économiques en Afrique du Nord ». L’occasion, pour l’institution de référence en matière de financement du développement en Afrique, de présenter des données tangibles sur les résultats et perspectives macroéconomiques à travers l’ensemble de la région.
Un taux de croissance performant pour l’Afrique du Nord
D’après le rapport, la région de l’Afrique du Nord a connu un rétablissement rigoureux après le Printemps arabe en 2010. En effet, la croissance du PIB réel en 2017 est estimée à 4,9 %, contre 3,3 % en 2016, et est supérieure à la moyenne africaine de 3,6 %. C’est le meilleur taux de croissance en Afrique après l’Afrique de l’Est.
Pour la BAD, les perspectives de croissance pour 2018 et 2019 sont positives, compte tenu des réformes entreprises dans tous les pays d’Afrique du Nord. Elle estime que les prévisions de croissance pour la région demeurent favorables en comparaison des
autres régions (sauf l’Afrique de l’Est), avec une projection de croissance moyenne de 5,0 % en 2018 et 4,6 % en 2019.
Certains secteurs dont notamment le tourisme ont apporté une bouffée d’oxygène nécessaire pour relancer les économies en berne. En Tunisie, la fréquentation touristique a augmenté de 32 % en 2017, souligne le rapport.
La BAD explique que l’amélioration de la performance du PIB de la région est fortement appuyée par la contribution de l’Egypte, la Libye et l’Algérie. « L’Egypte devrait être le moteur des performances de la région en 2018, avec une croissance estimée à 4,8 % si elle maintient son projet de réformes » note le rapport. Par contre, la plus petite contribution au PIB de la région en 2017 a été celle de la Mauritanie (qui représentait seulement 0,5 % de la croissance de l’Afrique du Nord) et de la Tunisie (2,6 %)
Le rapport indique, par ailleurs, que la Tunisie pourrait nettement s’améliorer dans les années qui suivent. Il envisage que le pays pourrait récolter les fruits des réformes stratégiques mises en œuvre depuis 2015, notamment la Loi sur les partenariats public-privé de novembre 2015 et la Loi sur l’investissement de septembre 2016. « Toutefois, toutes ces initiatives doivent être menées
à leur terme si l’on veut atteindre les objectifs annoncés » a-t-il précisé.
Hausse de l’inflation et fort taux d’endettement
S’agissant des facteurs négatifs pour les perspectives de croissance et l’emploi, la BAD met en exergue la forte hausse de l’inflation et les fortes taux d’endettement.
En Tunisie, la dette publique a atteint 70 % du PIB en 2017, contre 39,7 % en 2010. Cette augmentation s’explique par le financement externe d’un déficit budgétaire structurel, indique le rapport. « Depuis 2011, ce déficit est aggravé par des augmentations régulières de la masse salariale de la fonction publique (environ 41 % du budget en 2017). Cette augmentation de la dette publique est également imputable à la dépréciation du dinar tunisien (de 104 % par rapport au dollar américain depuis 2010), la majeure partie de la dette tunisienne étant libellée en devises ».
Le rapport précise que c’est la Mauritanie qui a la dette publique extérieure la plus élevée, estimée à 66 % du PIB en 2015, suivie par la Tunisie avec 64 % et le Maroc avec 43 % ; la dette publique extérieure de l’Égypte est de 14 % et celle de l’Algérie, de 2,5 %.
De plus, les dépenses courantes de la Tunisie représentaient 72 % du budget en 2017, tandis que les dépenses d’investissement n’en représentaient que 16 %. Un déséquilibre flagrant qui persiste avec l’absence de marge budgétaire. « Le gel des embauches et des salaires dans la fonction publique; la réduction des subventions; et les augmentations d’impôts, bien que nécessaires, pourraient avoir des conséquences inattendues s’ils ne s’accompagnent pas de mesures d’adaptation idoines » a mis en garde la BAD.
Le taux de chômage des jeunes en Afrique du Nord représente le double de la moyenne mondiale
De plus le taux de chômage élevé est un frein au redressement de ces pays. Selon l’Organisation internationale du travail, le taux de chômage moyen des jeunes en Afrique du Nord est de 30,5 %, soit deux fois la moyenne régionale. « En Tunisie, plus de 21 % des jeunes sont sans emploi » a noté le rapport en précisant que la majeure partie de ces jeunes finit par travailler dans le secteur informel.
D’après la BAD, seuls 17 % des jeunes femmes et 47 % des jeunes hommes sont économiquement actifs en Afrique du Nord. Environ 25 % des jeunes qui travaillent vivent dans la pauvreté. Le chômage des femmes est de 20 %. Le taux de chômage parmi les diplômés universitaires est particulièrement élevé dans la région, avec 60 % en Égypte et 31 % en Tunisie.
Le rapport a évoqué, d’autre part, la dépréciation des monnaies locales. « Depuis 2015, les pays de la région de l’Afrique
du Nord enregistrent une baisse durable des monnaies » a-t-il souligné en indiquant que la livre égyptienne a connu la plus forte dépréciation, avec une baisse de 76,3 % entre 2016 et 2017. Le dinar tunisien a connu une pression accrue, se dépréciant de 104% face au dollar américain entre 2011 et 2017. Cette forte dépréciation a alimenté l’inflation en augmentant le coût des importations, ce qui a contraint la Banque centrale de Tunisie à augmenter le taux du marché monétaire, de 3,9 % en 2012 à 5,2 % en septembre 2017.
L’agriculture, vache à lait de l’Afrique du Nord
Dans son rapport, la BAD a fortement mis en valeur l’importance du rôle de l’agriculture dans l’économie africaine. En plus de sa contribution au PIB, qui varie de 2 % en Libye à 15 % en Égypte et au Maroc, l’agriculture est un secteur clé qui offre d’importantes opportunités d’emploi.
Près de 55 % des exploitations algériennes et tunisiennes sont gérées par des familles, contre presque 70% au Maroc et 98% en Égypte, révèle le rapport. Ces chiffres soulignent l’importance de l’agriculture familiale dans la réduction de la pauvreté, mais aussi dans l’augmentation de la croissance dans la région. Cette dernière « est une source majeure de revenus des ménages et probablement la source de revenus la plus importante dans certains pays » a cité le rapport.
Les femmes représentent entre 25 et 35 % de la main-d’œuvre des exploitations familiales. Leur rôle dans l’agriculture familiale ne cesse de croître. « Il semblerait que l’agriculture familiale en Afrique du Nord ait amorcé un processus de féminisation », a estimé le rapport en expliquant que les hommes préfèrent quitter leurs familles pour migrer vers les pays riches en pétrole ou vers les villes.
La part de l’agriculture dans l’emploi représente 16% en Tunisie contre 40% au Maroc, 38% en Mauritanie, 29% en Egypte et 12% en Algérie et 3% en Libye.
Les pays d’Afrique du Nord sont vulnérables à l’instabilité des prix des produits alimentaires. À titre d’exemple, la valeur des importations tunisiennes en produits alimentaires représente 10% du total des exportations, contre 33% en Egypte et 20% au Maroc.
À cet égard, le rapport recommande la mise en place d’une stratégie durable de sécurité alimentaire qui doit inclure une hausse de la production alimentaire, afin de diminuer progressivement la dépendance aux importations.
Il est à rappeler que ce rapport a été présenté, lundi, à Tunis, par l’économiste régional pour l’Afrique du Nord à la Banque Africaine de Développement (BAD), Assitan Diarra -Thioune.
Avec huffpostmaghreb