La rupture entre Veolia (société spécialisée dans le traitement de l’eau et des déchets) et l’Etat Gabonais a été brutal, alors que la société française est présente au Gabon depuis 21 ans et elle a donné lieu de part et d’autres à de nombreuses communications y compris en France du Medef ( syndicat patronal) et bien entendu de Veolia qui conteste cette éviction.
De retour de Washington, le Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon s’est entretenu à Paris avec le journaliste Didier Testot, Fondateur de la Web TV www.labourseetlavie.com.
Patrick Eyogo Edzang le Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon a répondu à mes questions lors de cet entretien réalisé le vendredi 2 mars 2018.
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Patrick Eyogo Edzang, bonjour, vous êtes le Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon, on va parler avec vous, de votre actualité, puisque on a vu votre communication concernant Veolia au Gabon, où en êtes-vous aujourd’hui de ce dossier, quelles sont les nouveautés, est-ce que Veolia est exclu du marché gabonais ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Je ne dirais pas qu’ils sont exclus, puisque nous sommes dans une phase de réquisition transitoire, provisoire, qui va durer un an, mais effectivement nous avons retiré donc la concession et arrêté les négociations avec le groupe Veolia, suite effectivement à la mauvaise qualité du service rendu aux populations, depuis vingt ans, cette concession était arrivée à terme, nous étions en train de négocier sur une concession nouvelle, mode base affermage, pour une durée de cinq ans, et donc j’ai acté, le Gouvernement a acté l’échec des négociations, et a réquisitionné la société, une réquisition d’usage, pour la faire fonctionner. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Alors cela fait quand même vingt et un an que Veolia est là, travaille au Gabon, comment on peut expliquer cette rupture de 2018 ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Disons que c’était relativement pensé puisque le service n’était pas au rendez-vous depuis plusieurs années, les populations gabonaises se plaignent de la qualité des services effectivement, le manque d’investissement, le manque d’entretien, autant de griefs qui ont fait que bout à bout, le Gouvernement a dû prendre cette douloureuse décision. Vingt ans c’est pas deux jours, donc nous l’avons pris en conscience, mais les faits étaient relativement graves ».
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Vous dites que vous êtes conformés à la loi gabonaise, mais êtes-vous conforme au droit international, c’est-à-dire dans ce genre de contrat, la rupture du jour au lendemain c’est pas quelque chose de fréquent ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Vous savez, la réquisition pour motif d’intérêt général elle est tout à fait légale, et même si elle n’est pas inscrite dans un contrat, elle se pratique même au niveau international, je crois que nous n’avons pas violé de loi du tout, les lois sont encadrées dans notre pays, c’est la loi 3/85 (NDLR loi n° 3/85 du 27 juin 1985 fixant le régime juridique des réquisitions civiles des biens et services), nous l’avons scrupuleusement suivi et nous sommes juridiquement bornés ».
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Du côté de Veolia de ce qu’on a pu lire, de la communication, le groupe dit que lui sur les sujets que vous évoquez, d’environnement, il a respecté ce qui était prévu.
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Au-delà, parlons environnement justement, au-delà de la simple mauvaise qualité du service rendu aux Gabonais, également aujourd’hui on constate des graves problèmes de pollution, des sites ont été totalement pollués par les hydrocarbures et les huiles qui sont directement versées dans les rivières gabonaises, c’est vraiment scandaleux, un désastre écologique et je pense qu’il faudrait que Veolia puisse effectivement nous montrer les contrats qu’il a eu en matière de gestion des déchets. Et je crois que tout simplement, il n’y en a aucun. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Je disais en introduction 21 ans, pourquoi le Gouvernement Gabonais, pourquoi cela n’a pas été vu avant, 21 ans, c’est quand même très long, c’est presque une génération.
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Nous étions en renouvellement, nous venions de renouveler pour cinq ans, et à minima, donc ce qui était sûr c’est qu’il y avait eu des contingences lors de ce renouvellement, l’Etat avait traîné des pieds d’un côté et c’est pour cela qu’on était arrivé à une situation de cinq ans, donc il restait quatre ans. Voilà je pense que les Gabonais sont descendus dans la rue, il y a eu des griefs importants qui ont été décelés récemment et puis il faut dire également que la vision du secteur que nous avons aujourd’hui ne permet pas de rester dans la configuration actuelle d’une concession monopolistique, et d’une convention à la limite de(…)totalement monopole, qui s’accapare de tout et qui bloquait le secteur. Le secteur était vraiment bloqué et le caillou dans la chaussure, c’était Veolia. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Cela veut dire que de votre point de vue il pourrait y avoir d’autres appels d’offres pour plusieurs nouveaux candidats sur ces projets là ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Disons la modélisation du secteur que nous voulons faire aujourd’hui fait que le Gabon veut tendre vers la maitrise du transport et de l’énergie, si je ne parle que de l’énergie, avec la libéralisation de la production qui a été prise par une loi 24/16 et ensuite donc la distribution, par une ou deux régies, séparer l’eau ou l’énergie, donc on modélise tout çà, et ensuite on pourra éventuellement s’attacher les services des nouveaux partenaires. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Il y a d’autres sociétés françaises qui sont leaders mondiaux de ce secteur, est-ce qu’elles ont compte tenu de ce qui se passe intérêt à venir vous voir ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Vous savez comme je le disais Veolia n’est pas la France, donc le fait que Veolia ai été récusé on va dire de ce contrat, je ne peux que les rassurer que les investisseurs tapent (…) nombreux à la porte actuellement, donc nous allons voir mais nous ne voulons pas nous précipiter, le but pour nous c’est de gérer une transition tout à fait apaisée, nous appelons également Veolia bien entendu à revenir autour de la table puisqu’il faut faire ce qu’on appelle les comptes de reddition pour dire qu’on doit solder le divorce. On en est là mais nous anticipons également sur cette modélisation du secteur qui va permettre de pouvoir articuler tous les acteurs, dans un climat, avec des partenaires, gagnant-gagnant, on va dire çà. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Est-ce que cela veut dire concrètement que c’est terminé pour Veolia au Gabon mais que par exemple Suez Environnement pourrait venir ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Disons que dans le modèle actuel c’est terminé pour Veolia, dans le modèle futur si Veolia lors des appels d’offres est concerné, ou intéressé, bien entendu la porte reste ouverte. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Je parlais des investisseurs internationaux, c’est vrai qu’ils peuvent se dire, 21 ans dans le pays, sorti en quelques jours, ou quelques semaines, aussi rapidement, est-ce que le Gabon est un pays sûr pour investir ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Bien entendu, je crois au contraire que c’est un signal positif, qui dit que les contrats « France-Africains », c’est terminé. Aujourd’hui, nous voulons des contrats basés sur le gagnant-gagnant, nous avons travaillé énormément, au Conseil de l’investissement, sur notre note business qui avait été dégradée de 3 points, nous avons légiféré actuellement sur ce win-win business pour faire remonter la note, et je pense bien entendu que le climat des affaires au Gabon est tout à fait favorable à la venue des investisseurs. Ce qui s’est passé n’est qu’un épiphénomène dans la vie de notre pays, donc je pense que bien entendu, nous sommes prêts à accueillir tous les investisseurs. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Veolia a souligné dans sa communication qu’il avait largement équipé le pays en électricité et en eau, vous en êtes sur justement en termes d’équipements sur ce domaine-là et sur le domaine des transports ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
«Vous savez à un moment donné Veolia avait transféré l’investissement à l’Etat, nous avons investi à peu près 1.000 milliards de Francs CFA (NDLR environ …) durant ces dernières années mais in fine nous avons donc aidé Veolia dans sa mission, mais nous avons également consenti des hausses tarifaires, mais en face de ces hausses tarifaires, il n’y avait pas les investissements au bout, ce qui veut dire que les hausses tarifaires consenties sur la poche des gabonais a été distribuée en dividendes et çà nous ne sommes pas d’accord. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Quand on voit ce dossier, c’est vrai qu’on a pas forcément toutes les clés parce vous parliez de pollution, mais on n’est pas allé sur place, vérifier tous ces éléments-là, on se dit que même si vous dites que Veolia c’est pas l’Etat, c’est une grande entreprise, que forcément les deux Etats se parlent sur ce type de sujet, puisqu’on parle d’infrastructures…
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Vous savez, moi j’ai été particulièrement scandalisé d’apprendre que Veolia annonce en représailles, le gel des investissements sur quinze pays africains, moi je ne sais pas les relations qu’ils ont avec les pays, le Gabon est une entité propre, et je ne vois pas pourquoi on va se venger sur d’autres pays. D’ailleurs la communication est très maladroite et je crois que peut-être çà va faire un effet boule de neige. Et c’est pour çà que je pense qu’aujourd’hui nous sommes quand même dans l’apaisement. Concernant la pollution il y a des films qui ont été par Reuters (NDA l’agence de presse Reuters) qui s’est rendue sur place, et nous avons un dossier de pollution, nous avons demandé comme cela se fait partout que Veolia mette la main à la poche pour dépolluer tout ce qu’ils ont pollué. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com : Comment voyez-vous du coup l’avenir de vos relations avec Veolia, vous en avez parlé mais avec d’autres acteurs qui viendraient, d’autres acteurs français qui peuvent aujourd’hui se dire, avoir peur typiquement, se dire, est ce que cela vaut le coup d’aller au Gabon dans ces conditions là ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Non mais comme je le disais tout à l’heure, le code des investissements est clair, il y a des règles partout, ce que Veolia s’est permis de faire au Gabon, il ne le ferait pas en France, donc ce n’est pas la première fois, le premier dossier sur lequel on épingle Veolia, je crois qu’aux Etats-Unis, il y a des procès sur l’empoisonnement de l’eau, donc bien entendu, si on vient dans un pays, et on ne suit pas les règles, forcément, il faut s’attendre à des représailles, je dirais pas çà comme çà, mais disons l’application pure et simple de la loi. Maintenant, vous savez, gagnant-gagnant, nous sommes demandeurs aujourd’hui, en Afrique, de vrais partenariats, qui transfèrent également le savoir-faire, et qui aident l’Afrique à se développer et je crois que bien entendu il y a des entreprises tout à fait dynamiques qui sont prêts à venir au Gabon. »
Didier Testot www.labourseetlavie.com: Qu’est-ce que vous voyez du coup après ce fameux Françafrique, parce qu’on voit aussi des pays africains évoluer mais tous n’évoluent pas en bien sur le plan de la démocratie par exemple qui est quelque chose d’important ?
Patrick Eyogo Edzang Ministre de l’Eau et de l’Energie du Gabon :
« Oui bien entendu l’univers des affaires marche avec l’univers politique, bon moi je pense qu’aujourd’hui les choses se sont stabilisées au Gabon, nous sommes dans une dynamique de croissance, nous sommes très motivés pour faire avancer les choses, moi je pense que tous les éléments sont réunis pour que les choses puissent bien avancer. »