La lune de miel a pris fin au Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition politique au pouvoir). Entre les deux poids lourds de cette alliance politique, c’est le dialogue de sourds; et le duel prévisible est désormais annoncé entre Alassane Ouattara, chef de l’Etat et président d’honneur du RDR, et Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA et président de la coordination des présidents des partis membres du RHDP.
Alea jacta est (le sort en est jeté). Les cadres du PDCI-RDA, ex-parti au pouvoir, ont franchi le Rubicon le samedi 10 mars 2018 à Yamoussoukro, capitale politique du pays. Dans une déclaration qui ne laisse aucune place au doute, ils demandent à Henri Konan Bédié, président du parti depuis le 30 avril 1994 et donc «premier militant actif», d’être le candidat du plus vieux parti politique de Côte d’Ivoire à la présidentielle d’octobre 2020.
Les militants sont las des tergiversations et des tours de passe-passe du RDR et d’Alassane Ouattara. Le 11 janvier 2018, à l’unisson, la première réunion annuelle des délégués départementaux et communaux du PDCI-RDA, tenue à Daoukro sous la présidence de Bédié, a encouragé «le président du parti (Henri Konan Bédié) à demander à notre allié, le RDR, à se déterminer avec clarté sur la question lancinante de l’alternance afin de créer la confiance au sein de l’alliance du RHDP».
Le 26 juin 2017, dans un entretien à l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, Bédié se montrait affirmatif: «Le PDCI aura un candidat en 2020. Ce sera le candidat unique du RHDP. Il faut qu’Alassane Ouattara et moi, nous nous entendions sur ce point pour que cette alternance ait lieu».
Réponse du berger à la bergère. «Je veux dire aux uns et aux autres que pour la prochaine élection présidentielle, tous pourront se porter candidat, selon les dispositions de notre Loi fondamentale qui garantit des élections démocratiques et transparentes», a répondu Alassane Ouattara pour doucher l’optimisme de Bédié dans son adresse à la nation, le 6 août 2017, à l’occasion de la commémoration du 57ème anniversaire de la Côte d’Ivoire.
C’est pourquoi des jeunes du PDCI-RDA ont, le 11 janvier 2018 à Abidjan, exprimé leur exaspération en empêchant la réunion du Comité de haut niveau pour la mise en place du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition réunissant le PDCI-RDA, le RDR, le MFA, l’UPCI et l’UDPCI) comme parti unifié.
Dans ce bras de fer, Ouattara et le RDR jouent sur deux tableaux. Un, le chantage. «Ceux qui ne veulent pas du RHDP qu’ils se déclarent. Quand on ne veut pas du RHDP, on ne profite pas du pouvoir du RHDP», a déclaré Kandia Camara-Kamissoko, secrétaire générale du RDR le 10 mars 2018 à Gagnoa (chef-lieu de la région du Gôh).
Ceci entraînant cela, des cadres du PDCI-RDA ont déjà été limogés: Emmanuel Niamien N’Goran, 1er vice-président, a été démis de ses fonctions d’inspecteur général d’Etat en même temps que Niamkey Koffi, son directeur de cabinet, et Coulibaly Zié, son chef de cabinet, Jean-Louis Billon, secrétaire exécutif chargé des Etudes prospectives, a été débarqué de la présidence du Conseil régional du Hambol, Noël Honoré Charles Akossi Bendjo, maire du Plateau, secrétaire exécutif chargé de l’Organisation et de la Mobilisation, a été remercié de la présidence du Conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), notamment.
Deux, des manœuvres de déstabilisation du parti sont orchestrés à travers des chevaux de Troie: alors que Maurice Kacou Guikahué, secrétaire exécutif du PDCI-RDA, déclarait qu’«il n’y aura pas de groupe parlementaire RHDP. Chaque parti garde son identité» (Cf. Le Nouveau Réveil n°4.472 du 10 janvier 2017), des tentatives sont menées pour en créer un avec des élus de l’ancien parti unique dont Basile Fregbo Guété et Faustin Aboh.
Prenant la mesure de la menace, le PDCI-RDA veut prendre les devants afin d’éviter d’être débordé sur les côtés. D’où la sortie des cadres du parti qui, en même temps qu’elle reporte le parti unifié à l’après présidentielle 2020 contrairement à la volonté de Ouattara, constitue une mise en garde à l’effet d’exercer la pression sur le chef de l’État.
Il faut se rendre à l’évidence que poussé dans ses derniers retranchements, Bédié ne dispose plus de marge de manœuvre au sein du parti. Il ne veut pas donner raison à Jean Konan-Banny qui le moquait, après son retour d’exil, sur sa volonté de reprendre la tête du parti après son renversement en décembre 1999: «On ne confie pas la garde du canari familial à quelqu’un qui en a déjà cassé un».
Car il s’est rebellé contre la Résolution du XIIè Congrès ordinaire du PDCI-RDA (3 au 6 octobre 2013) qui avait demandé la candidature d’un «militant actif» du parti à la présidentielle d’octobre 2015. Payé aujourd’hui en monnaie de singe après s’être mis à plat ventre devant Ouattara par «L’appel de Daoukro», Bédié, d’une part, ne veut plus être le dindon de la farce, et d’autre part, entend passer à l’offensive.
Si Ouattara renonce alors à son engagement «de prendre congé en 2020» pour briguer un autre mandat en 2020, Bédié ne se sentira plus concerné par sa promesse que la présidentielle de 2010 était son «dernier combat» et son «dernier mandat» s’il venait à être élu. Dans tous les cas, ils sont tous les deux éligibles selon l’article 55 de la Constitution créant la IIIè République qui supprime la limitation de l’âge des candidats.
Et si prisonnier des caciques de son parti qui disent que le RDR va aussi passer quarante au pouvoir comme le PDCI-RDA, Ouattara présente un candidat du son parti, Bédié en fera de même. Et il n’aura pas trahi, comme en septembre 2014, la lettre et l’esprit de la plate-forme du RHDP qui dit: «Pour l’élection présidentielle, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) reconnaît à chaque parti le droit de présenter son candidat au premier tour. Cependant, les partis du RHDP s’engagent à soutenir, au second tour, le candidat arrivé en tête des partis signataires de la plate-forme».
Ainsi, le Sphinx de Daoukro a entamé un travail de communication en direction de ses alliés du RDR et des cadres du PDCI-RDA. En plaçant sur orbite et au front Jean-Louis Billon. La présumée visite de ce dernier au plus célèbre prisonnier de La Haye, Laurent Gbagbo, et révélée par le bimensuel La Lettre du continent a créé une si belle panique au RHDP que le PDCI-RDA a produit un communiqué de démenti. Cerise sur le gâteau, à la cérémonie d’hommage national à Bédié organisée par le courant «Notre Héritage» du parti, c’est Billon qui en était le parrain.
Et il en a profité pour apporter une réplique cinglante à Kandia Camara-Kamissoko et au RDR: «Si parti unifié il doit y avoir, ce sera après l’alternance en 2020. Ce n’est pas au père de porter le nom du fils; le PDCI ne changera jamais de nom».
Représenté de plus en plus aux côtés de Bédié qui veut l’imposer dans la mémoire des militants et tuer dans l’œuf toutes les velléités de candidature, ce jeune loup aux dents longues vole désormais la vedette aux barons du PDCI-RDA. Dans la stratégie envisagée, Billon est soit le vice-président qui forme le ticket avec Bédié, soit le candidat du PDCI-RDA à la présidentielle de 2020.