Romans, poésies, pièces de théâtres ou recueils historiques, la littérature africaine est riche de nombreux ouvrages de références. Ces livres brillent aussi bien par les thèmes abordés que par leurs styles. Ecce Africa vous présente 10 de ces classiques de la littérature africaine.
L’aventure ambiguë : l’ouvrage du déchirement
Publié en 1954, « L’aventure ambiguë » de Cheikh Hamidou Kane est l’un des premiers livres africains abordant le thème, assez nouveau à cette époque, de la double culture d’un individu. Cette question y est si bien traitée, que le roman finit par être étudié dans toutes les écoles et universités africaines. Le livre raconte l’histoire de Samba Diallo, un enfant diallobé confié par son père au chef de la tribu.Il est éduqué selon les valeurs de l’école coranique, jusqu’à être en âge d’aller à l’école européenne. Justement, les chefs traditionnels sont dubitatifs à l’idée de lasser un enfant ayant fait montre de qualités exceptionnelles, perdre ses valeurs endogènes au contact de l’éducation européenne. Finalement, Samba ira à l’école française. Il est si brillant qu’il va continuer ses études à Paris. Mais la vie en France, s’il s’en accommode, plus qu’il ne l’apprécie, lui montre le fossé existant entre sa culture originelle et sa culture d’adoption. Il rentre vivre en Afrique, sur la demande de son père. Finalement, au contact des valeurs de son enfance, il se rend compte que ses racines ne sont plus aussi ancrées dans sa terre natale qu’avant. Cela causera sa perte. Ce livre est l’histoire d’une guerre, une guerre entre deux cultures, et le malheur de certains est que cette guerre se mène à l’intérieur d’eux-mêmes.
Les soleils des indépendances : le désenchantement de la décolonisation
Ce roman écrit par Ahmadou Kourouma, publié en 1968, est symptomatique du ressenti général des africains aux lendemains des indépendances. Il se dégage de ses pages un puissant sentiment de désenchantement. Désenchantement du héros de l’histoire pour commencer. Il s’appelle Fama Doumbouya et était un aristocratique malinké avant que les autorités malinké ne le dépouillent de ses prérogatives. Pour les récupérer, il participe au mouvement de libération nationale, en espérant récupérer, une fois les colons partis, son rang passé. Malheureusement, une fois l’indépendance acquise, Fama ne reçoit pour toute rétribution qu’une carte de parti politique. Pire, le Mali indépendant lui semble un pays étranger. Ironie du sort, ce traditionnaliste va périr, dévoré par le crocodile sacré, pourtant l’animal totem de sa dynastie, après qu’il a sauté dans un fleuve pour échapper à la police. Plus que le désenchantement d’un individu, ou d’un pays, c’est le désenchantement de tout un continent que décrit Ahmadou Kourouma au fil des lignes de cet incontournable de la littérature africaine. Un continent qui libre, n’arrive pas à devenir prospère, et dont les populations n’osent pas s’avouer, une fois l’euphorie indépendantiste tombée, que peu étaient prêts à payer le prix de la liberté.
Doguicimi : le classique oublié
Publié en 1938, Doguicimi de Paul Hazoumé est le premier roman historique africain. Il raconte l’histoire d’amour entre le prince Toffa et Doguicimi, une roturière, sur fond d’intrigues à la cour royale. Le livre raconte avec beaucoup de précisions les guerres menées à l’intérieur des royaumes du Danhomé mais également la traite des esclaves. Le roman est, par ailleurs, entrecoupé de paroles de chansons écrites selon les formes du conte traditionnel. Véritable étude ethnologique et historique, le livre a été récompensé, en 1939, par le « prix de langue française », de l’Académie française.
Rouge est le sang des noirs : Lumière sur les ténèbres de l’Apartheid
Ce livre écrit en 1946 par le sud-africain Peter Abrahams, raconte les discriminations subies par les noirs durant l’apartheid, à travers l’histoire de Xuma. Arrivé à Johannesbourg pour travailler dans les mines d’or, le jeune homme va découvrir le traitement inhumain réservé aux Noirs d’Afrique du Sud. Meurtri par cette discrimination, il décide de souffrir et de lutter aux côtés de ses compagnons pour améliorer la situation des Noirs.Ce livre présente l’apartheid dans sa bassesse la plus sombre, à tel point que certains lui attribuent quasiment une valeur historique.
Ethiopiques, les vers nègres
Ethiopiques est un recueil de poésies écrit, entre 1947 et 1956, par Léopold Sédar Senghor. Le titre du recueil vient du grec aethiops, dont le sens littéral est face brûlée ou face noire. Véritable ouvrage phare de la négritude, Ethiopiques célèbre les valeurs d’une culture négro-africaine, bafouée par la période coloniale mais capable de se réinventer à travers un métissage culturel et une adaptation à la langue française. Le long des lignes de ce recueil de poèmes, Senghor s’applique à faire de la langue française, un instrument de louange de la culture africaine. Il crée un profil d’Africain que le Français n’a pas acculturé, qui a conservé ses héros, ses valeurs culturelles et ses racines qu’il exprime désormais en français. Cet ouvrage est l’un des recueils de poèmes africains les plus lus dans le monde. Il a contribué en grande partie à la légende de Senghor dont la prose continue d’être louée de nos jours.
Le rocher de Tanios, entre mythe et histoire
Le Rocher de Tanios est un roman du Libanais Amin Maalouf, publié en septembre 1993. Ce livre propose, sur fond de guerre entre l’empire ottoman et l’Egypte, de reconstituer l’histoire de Tanios dont il faut éviter de toucher le rocher. Le lecteur découvre alors l’histoire d’un jeune garçon qui découvre un jour que Gérios, l’homme qui l’a élevé n’est pas son père.Il apprend que sa mère, Lamia, une très belle femme, avait succombé huit ans plus tôt au charme du cheik. Cette révélation sera à la base de nombreux remous qui conduiront à une fin tragique. En équilibre entre le conte et le récit historique, ce livre fait revivre des personnages tels que Tanios, le bâtard du Cheikh, mais aussi Mehemet Ali et son bras droit, le fameux Soliman Pacha. Le style fluide de l’auteur et la qualité de l’histoire vaudront à Amin Maalouf le prix Goncourt dès l’année de sa publication (1993).
Le lion et la perle, la sagesse africaine sous sa forme la plus caustique
Cette pièce de théâtre en trois actes du Nigérian Wolé Soyinka (jouée pour la première fois en 1959) est également l’un des livres les plus lus de l’auteur. Il raconte l’histoire de la jeune Sidi et de Lakounle, l’instituteur du village, qui sont amoureux, mais ne peuvent être ensemble car Lakounle, du haut de ses idées modernes, refuse de payer la dot. Malheureusement pour lui, sa dulcinée intéresse également le chef du village qui finit par avoir Sidi, grâce à d’habiles stratagèmes. Véritable hymne au réalisme et à une forme de sagesse très africaine, cette pièce de théâtre a traversé le temps et traverse les époques. Elle est d’ailleurs étudiée dans de nombreuses universités africaines.
Une si longue lettre, choc entre tradition et modernité
Ce roman épistolaire de Mariama Bâ est assurément l’un des plus grands classiques de la littérature africaine. Il rassemble les lettres échangées entre Ramatoulaye Fall, la narratrice et sa meilleure amie Aïssatou Bâ. Ramatoulaye vient de perdre son mari Modou. Il est mort, loin de sa femme qu’il a épousée malgré le désaccord de sa famille qui voit ce mariage, entre personnes de clans différents, comme une insulte à la tradition. Aïssatou a également épousé un homme moderne. Mais à l’instar son amie, le désespoir s’invite dans son existence. Son mari finit par céder à sa mère qui lui demande de prendre une seconde épouse imposée par la famille. Le long de leurs lettres, plus que le récit de leurs vies qui sombrent dans la morosité, c’est une lutte acharnée entre modernité et tradition que nous présentent les deux femmes. Le livre de Mariama Bâ se distingue comme l’un des tout premiers romans engagés écrits par une femme africaine, le tout dans un style dont la fraicheur défie les époques.
L’enfant Noir, un roman pré-indépendances qui occulte le colon
Véritable classique, le roman de Camara Laye traverse les époques et ne prend pas une ride. Premier roman de l’auteur, l’ouvrage publié en 1953 est considérée comme « l’un des textes fondateurs de la littérature africaine contemporaine ». Il s’agit d’une autobiographie racontant la vie de l’auteur, de ses 5 ans à son départ pour étudier en Europe. La particularité de ce livre réside dans le fait qu’il présente une Afrique qui, bien que colonisée, ne semble pas en souffrir outre mesure. Cela donnera lieu à de nombreux débats entre les auteurs de l’époque. En dehors de cette polémique, le style de Camara Laye fait l’unanimité. Le livre reçoit le prix Charles Veillon en 1954 et inspire un film éponyme en 1995.
Ville cruelle, la violence coloniale
‘’Ville Cruelle’’ de Mongo Béti est un roman très critique sur la période coloniale. Le livre raconte l’histoire de Banda, un garçon uniquement élevé par sa mère à Tanga Nord, après la mort de son père. Il désire se marier pour réaliser la dernière volonté de sa mère presque mourante. Mais il n’a pas assez d’argent pour la dot de sa fiancée. Il décide alors de se rendre à Tanga Sud, la zone commerciale de la ville, entièrement contrôlée par les colons, pour vendre du cacao en ville. Entre bastonnades, vols, brimades et exploitation, le jeune home sera très rapidement confronté aux réalités violentes de l’administration coloniale. Véritable satyre du passé colonial africain, ce livre est passé à la postérité, en majeure partie, pour sa description imagée des atrocités de la période coloniale.
avec ecceafrica