Cancer de la prostate, puberté très précoce… Ce pesticide se retrouve dans une partie des produits locaux.
Lorsqu’on l’interroge sur les effets du chlordécone, la pédiatre Josiane Jos-Pelage soupire. Elle évoque pêle-mêle le taux record de cancer de la prostate en Martinique, les cas de puberté précoce constatés sur de petites filles de 6 à 8 mois, la prématurité lors des grossesses. Autant de symptômes fréquemment constatés, et qui pourraient tous être attribués à ce pesticide, classé “cancérogène probable pour l’homme”, au sujet duquel les députés martiniquais ont interpellé l’Assemblée Nationale fin janvier.
Pour lutter contre le charançon qui ravageait les bananeraies, le chlordécone a été massivement utilisé aux Antilles entre 1972 et 1993, après avoir été interdit dans l’Hexagone en 89. Les producteurs de bananes, misant sur l’argument économique, avaient en effet réussi à obtenir une dérogation de trois ans. Mais depuis, le chlordécone a été identifié comme un organochloré, et à ce titre classé comme un perturbateur endocrinien. A ce titre, il est bien sûr difficile d’établir avec certitude le lien entre ce produit et les symptômes relevés sur la population ultramarine, mais certains signes ne trompent pas.
“Des études ont été faites en Guadeloupe sur le cancer de la prostate et la prématurité. On a établi que plus le taux de chlordécone dans le sang est élevé, plus le risque de prématurité est grand”, explique Josiane Jos-Pelage, également présidente de l’Association Médicale de Sauvegarde de l’Environnement et de la Santé (AMSES) en Martinique, au HuffPost. C’est ce que démontre l’étude Timoun réalisée sur 1068 femmes enceintes entre 2004 et 2007 en Guadeloupe, et qui concluait que “l’exposition chronique au chlordécone est associée à une diminution de la durée de gestation.” Un schéma qui se reproduit également en Martinique, où le nombre de naissances prématurées et de grands prématurées est quatre fois plus important que la moyenne nationale selon les chiffres publiés en janvier 2017 par l’ARS locale.
“Il y aussi des troubles du neurodéveloppement de l’enfant. Ce sont des troubles de la motricité fine et de la mémoire visuelle. Quand vous avez un trouble de la mémoire visuelle, vous aurez des troubles de l’apprentissage, de la lecture. Et dans la motricité fine, ce sont tous les apprentissages manuels.”
En tant que perturbateur endocrinien, le chlordécone pourrait aussi avoir des effets sur le développement de la thyroïde, souligne la pédiatre. Des propos appuyés par le professeur Luc Multigner, responsable de l’étude Timoun. “On constate des variations de certaines hormones thyroïdiennes dans le sang, mais pour l’instant, on ne connait pas l’impact de ces variations, souligne le professeur interrogé par La 1ère. Est-ce que c’est quelque chose qui va avoir une traduction clinique, quelle qu’elle soit, ultérieurement ou pas, on ne le sait pas.”
Quant au cancer de la prostate, les chiffres sont alarmants. En 2016, la Martinique a détenu le record mondial du nombre d’hommes touchés par cette pathologie, avec en moyenne 227,2 cas pour 100.000 hommes martiniquais. A titre de comparaison, la Norvège, deuxième pays le plus touché, compte 129,7 hommes pour 100.000.
“En Martinique, 92% de la population a du chlordécone dans le sang. En moyenne on trouve 0,14 microgramme/litre de sang. Or pour le cancer de la prostate, si vous avez un taux supérieur à 0,1 microgramme, votre risque d’avoir un cancer de la prostate est multiplié par 2”, estime la pédiatre.
“Une bombe à retardement” pour une vingtaine de générations
En 20 ans, ce sont environ 300 tonnes de chlordécone qui ont été déversées en Martinique et en Guadeloupe. Une véritable “bombe à retardement” pour une vingtaine de générations, alerte Josiane Jos-Pelage, qui demande, soutenue par les élus et les associations, la cartographie précise des zones contaminées.
En effet, “toute” la Martinique n’est pas intoxiquée. On estime aujourd’hui que 14.500 hectares de terres agricoles sont touchés, principalement au nord-est et au sud-est de l’île. Mais à cause de l’érosion des sols, et aussi de l’irrigation des champs par des rivières contaminées, le produit se retrouve désormais dans les légumes-racines, comme la patate douce, et dans certains élevages.
Quid de la banane? Ironiquement, c’est sans doute elle qui s’en sort le mieux. Grâce à sa tige, les molécules de chlordécone n’arrivent pas jusqu’au fruit, qui ne contient donc pas de traces du pesticide.
De plus, nuance Claude Lise, les produits vendus sur les circuits officiels de distribution sont sains. L’inquiétude se porte en revanche sur les produits qui transitent hors des circuits de la grande distribution. Dans un rapport paru en novembre 2017, l’ANSES préconisait ainsi certaines mesures de précaution, dont le respect des circuits de distribution officiels.
Mais ces recommandations ont été éclipsées par la conclusion générale du rapport. L’ANSES estime en effet que les Limites Maximales de Résidus (LMR) autorisées dans les aliments sont suffisamment “protectrices” et ne se prononce donc pas pour leur réduction. Au grand dam de la population martiniquaise. Car, comme l’a rappelé le docteur Jos-Pelage dans un reportage de La 1ère réalisé en janvier 2018, “quelque soit le taux, vous avez une action sur votre santé.” Y compris les doses infinitésimales, c’est le propre des perturbateurs endocriniens, qui peuvent occasionner sur les générations futures des cas d’obésité et de diabète.
Ces constations médicales n’ont fait que renforcer la colère des associations et des élus martiniquais, qui ont interpellé les ministres de la santé et de l’agriculture. Ils dénoncent notamment une “décision prise sans concertation des élus des Outre-Mers concernés”.
La1ere.fr
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La députée de #Martinique Josette Manin interpelle le gouvernement sur l’impact de la #chlordécone sur les populations en #Martinique et en #Guadeloupe. C’est @agnesbuzyn, la ministre de la Santé qui lui répond. @Martinique1re @guadeloupe_1ere
15:14 – 23 janv. 2018
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Pour Claude Lise, c’est effectivement un “très mauvais signal” envoyé par l’Etat et qui risque d’anéantir les efforts précédents, concrétisés depuis 2008 par trois plans nationaux dans lesquels plus de 90 millions d’euros ont déjà été injectés. Auditionné mercredi 7 février par la délégation Outre-mer de l’Assemblée Nationale, Jean-Luc Volatier, adjoint au directeur de l’évaluation des risques de l’ANSES l’a d’ailleurs reconnu.
Face à la grogne de la population, des professionnels de santé et à la crispation des élus, Agnès Buzyn a annoncé le 6 février la tenue “très prochainement” d’une réunion au Sénat autour de ce dossier. L’année 2018 doit aussi voir la concrétisation de la carte précise des zones touchées, afin de pouvoir offrir une meilleure traçabilité des produits. Un engagement sur lequel l’Etat sera attendu au tournant.