Avant qu’une révolte populaire ne le chasse du pouvoir l’an dernier, Compaoré avait régné sans partage sur le petit pays depuis sa prise du pouvoir par un coup d’État en 1987. Devenu tout puissant en Afrique de l’Ouest, il pouvait faire et défaire un président. Il avait la réputation d’avoir des alliés stratégiques partout, autant dans les palais présidentiels, les chancelleries occidentales, les coulisses de l’ONU que dans les camps d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Nous étions à Ouagadougou en janvier 2013 pour interviewer le président Compaoré. Je voulais savoir comment il avait réussi à faire libérer les diplomates canadiens Robert Fowler et Louis Guay, détenus pendant quatre mois par une bande dissidente d’AQMI, le groupe dirigé par Moktar Belmokatar, le même qui revendique l’attaque vendredi contre l’hôtel Splendid et le café Cappuccino. (Ce groupe, qui s’est rebaptisé depuis Al-Mourabitoune, est aussi responsable del’attentat contre l’hôtel Radisson de Bamako au Mali en octobre dernier et de l’attaque contre le complexe gazier d’In Amenas en Algérie en janvier 2013, qui avait fait près de 60 morts.)
Sa réponse : « durant ces 10 dernières années, le gouvernement malien, l’armée malienne était très peu présente dans cette zone et on s’est fait dire que ces messieurs cherchaient des contacts et c’est vrai que vous allez trouver des gens qui vous proposent des pistes, pour vous conduire vers eux. »
M’étonnant qu’il ait pu faire livrer une boîte de biscuits et de chocolats aux otages canadiens bien cachés dans le désert, je lui avais demandé comment un chef d’État pouvait avoir ses entrées auprès d’AQMI. « Nous n’avons pas nos entrées, avait-il répondu, nous sommes des voisins de ces populations depuis des siècles, donc c’est quand même des zones où nous pouvons trouver des gens capables de nous conduire sans nous perdre. »
À l’époque, les leaders des rebelles touaregs et djihadistes étaient les invités du président burkinabé à Ouagadougou. Des suites leur étaient réservées en permanence dans des hôtels comme le Splendid. C’est le genre d’information impossible à confirmer, mais il semble qu’il y avait un pacte de non-agression entre Compaoré et ces terroristes. Depuis l’échec du coup d’État mené en septembre dernier par l’ancien chef d’état-major de Compaoré, les nouveaux dirigeants du pays s’attendaient à un attentat.
Ils ont le mérite d’avoir tout de même organisé des élections, le 29 novembre 2015. Le premier président élu démocratiquement du Burkina, Roch Kaboré, a formé son gouvernement la semaine dernière. Deux jours plus tard, une première attaque terroriste était lancée en plein cœur de Ouagadougou, à quelques rues du palais présidentiel, un palais de marbre construit par Compaoré. Ses anciens alliés du désert veulent intimider et fragiliser une démocratie naissante, faire fuir les capitaux et les travailleurs étrangers. Malheureusement, ils ont probablement réussi.
S’il y a tant de Québécois parmi les victimes des attaques de Ouagadougou c’est que les Canadiens, sont, après les Français, les Occidentaux les plus nombreux au Burkina. Les principaux employeurs privés du Burkina Faso sont les minières canadiennes, principalement Semafo de Montréal et IAM Gold de Toronto, qui exploitent les plus grosses mines d’or du pays. Les ONG canadiennes y sont aussi très présentes, justement parce que c’était encore une destination sécuritaire. Bien des projets, de santé maternelle notamment, ont fermé ces dernières années au Niger et au Mali, en raison des risques d’attentats et de kidnapping. Difficile de croire que le même sort n’attend pas le Burkina. Qui voudra encore aider son prochain en allant construire une école aux petits Burkinabés?
Avec Ici Radio-canada