L’ampleur des cessions d’actifs de Bouygues Telecom envisagées pour que son rachat par Orange soit accepté par les régulateurs pose problème. Ces activités trouveront-elles des repreneurs en vue d’une redistribution des cartes sans précédent dans les télécoms tricolores?
Quand le numéro un du marché prévoit de fusionner avec le numéro quatre, se posent inévitablement des questions de concurrence. Ayant confirmé des discussions, Orange et Bouygues Telecom, en se rapprochant, présenteraient un cas de figure inédit dans les télécoms en Europe. Aucune consolidation n’y a, à ce jour, été conduite par un opérateur historique dominant.
Ce rapprochement donnerait naissance à un opérateur géant contrôlant plus de 50% de parts de marché en France, dans le mobile et le fixe. Cette opération nécessitera, cependant, d’importantes concessions en vue d’obtenir le feu vert des autorités de concurrence (a priori ce serait à Paris que le dossier serait examiné). D’importantes cessions d’actifs aux opérateurs concurrents Free et Numericable-SFR seraient déjà envisagées.
Les discussions actuelles ont aussi pour toile de fond le sort de 7.500 salariés de Bouygues Telecom, ce qui justifie l’attention portée pour cette opération par les pouvoirs publics, qui veulent éviter toute “casse sociale”.
1. Quelle ampleur pour les cessions d’actifs?
Une des grandes inconnues porte sur la capacité des deux opérateurs télécoms à revendre suffisamment d’actifs pour passer le barrage des régulateurs de la concurrence et à un prix qui permette à l’opération de conserver un intérêt pour Orange.
“Pour que cette transaction soit envisageable, il faudrait, selon nous, que les cessions aux autres opérateurs atteignent 7 à 8 milliards (soit 70% à 80% de Bouygues Telecom), afin que la part d’Orange dans Bouygues Telecom ne soit que résiduelle”, estimaient les analystes de Natixis dans une note publiée lundi 4 janvier, tandis que le JDD évoquait pour sa part un montant de 5 milliards, dans son édition du 3 janvier.
Cette consolidation d’ampleur inédite ne concernerait pas seulement Orange et Bouygues Telecom. Elle impliquerait inévitablement Free et SFR afin de satisfaire par anticipation aux exigences du gendarme de la concurrence. Sont ainsi évoquées, pêle-mêle, des ventes de fréquences, d’antennes mobiles, de lignes de fibre optique, de boutiques ou encore des cessions d’abonnés fixes et mobiles.
2. Le réseau, principal actif à revendre partiellement
Parti en 2012 à l’assaut du marché français grâce à son accord d’itinérance lui assurant l’utilisation du réseau d’antennes-relais d’Orange, Free a déjà, par le passé, montré son intérêt pour les fréquences et les antennes de Bouygues Telecom. Toutefois, en quatre ans, le groupe de Xavier Niel a nettement enrichi son portefeuille de fréquences (dans les bandes 900 MHz et 1800 MHz).
Récemment, Free a remporté son lot de fréquences 700 MHz en déboursant 466 millions d’euros. Dotées de caractéristiques de propagation étendues, celles-ci lui assurent de pouvoir accélérer la couverture géographique de l’hexagone et donc le déploiement de son réseau 3G et 4G.
Selon le JDD, Free pourrait ne racheter à Bouygues que quelques centaines d’antennes-relais dans les grandes villes alors qu’il aurait accepté d’en reprendre 1.000 lorsdu rachat avorté de Bouygues Telecom par Numericable-SFR en juin 2015. En effet, Free a autant besoin de densifier la couverture de son réseau 3G/4G existant, notamment en zone urbaine, que de l’étendre à de nouveaux territoires.
“Free a un besoin moins pressant d’un réseau déjà installé qu’il y a six mois, lors de l’offre d’Altice, mais récupérer une partie du réseau de Bouygues Telecom lui permettrait de gagner énormément de temps, notamment en vue de la fin de son contrat d’itinérance avec Orange”, prévue pour 2017, explique Sylvain Chevallier, spécialiste des télécoms et associé chez BearingPoint.
Un rapprochement entre Bouygues et Orange poserait aussi la question de l’accord de partage géographique de leurs réseaux mobiles entre SFR-Numericable et Bouygues Telecom. Si une partie des fréquences de Bouygues Telecom ne trouvaient pas preneur parmi les deux concurrents restants d’Orange, seraient-elles restituées à l’État? La question reste ouverte.
Le nouvel ensemble pourrait aussi être tenté de conserver une partie des fréquences que possède Bouygues Telecom, pour assurer une qualité de réseau suffisante à l’ensemble des clients mobiles impliqués par le rapprochement.
Enfin, Orange récupérerait aussi le réseau fixe très haut débit (ADSL et fibre optique) de Bouygues Telecom, fort de 2,7 millions d’abonnés, dont la cession pourrait aussi être envisagée. Free ou SFR-Numericable seront-ils intéressés pour autant?
3. L’activité entreprise devrait chercher un repreneur
En rachetant Bouygues Telecom, Orange récupérerait son activité dédiée aux entreprises, qu’il devrait impérativement revendre à un concurrent. Le groupe vient en effet d’écoper d’une amende record de 350 millions d’euros pour abus de position dominante sur ce marché.
L’opérateur historique est déjà crédité d’une part de marché de 70% dans les télécoms fixes pour entreprises. En outre, Orange dispose, sur les services mobiles à destination de la clientèle professionnelle, d’une position forte, puisque ses parts de marché s’établissent durablement au-delà de 50%, selon l’Autorité de la concurrence.
Selon le cabinet Idate, globalement Orange détient environ 60% du marché entreprises, là où Numericable-SFR en possède environ 25%, Bouygues Telecom 6%, le reste revenant à plusieurs petits opérateurs spécialisés.
En cédant l’activité entreprise de Bouygues Telecom à son concurrent direct, Orange court, toutefois, le risque de contribuer à créer de fait un duopole sur ce marché avec SFR-Numericable. Les deux acteurs seraient crédités de 95% du marché. Il n’est pas sûr que le gendarme de la concurrence se satisfasse de cette hypothèse.
4. Quel sort pour les 550 boutiques Bouygues Telecom ?
Bouygues Telecom avait fait de son réseau de magasins un des éléments clés de la reconquête commerciale entreprise en 2014. En pleine restructuration, alors qu’il applique un plan drastique d’économies de 400 millions d’euros d’ici 2016, l’opérateur a lancé une profonde rénovation de ses 550 enseignes, programmée sur 2015 et 2017. En outre, les 2500 personnels employés dans les boutiques n’étaient pas concernés par les réductions d’effectifs du plan social présenté en juin 2014.
Des boutiques “haut de gamme” commencent à voir le jour dans des lieux ou des villes à fort potentiel comme Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux… Bénéficiant d’une surface de vente plus importante, elles accueillent un espace lounge permettant aux clients de rester connectés pendant le temps d’attente (TV, démos, jeux en ligne…).
Alors que Numericable-SFR est encore en train de digérer la fusion de son propre réseau de magasins, Free ne dispose que de quarante-huit points de vente en France, fin juin 2015. Il serait donc un candidat “naturel” au rachat d’une partie des boutiques à l’enseigne Bouygues Telecom mais pas toutes, probablement. Free n’a jamais fait de la vente directe en boutique un axe central de sa politique commerciale.
5. L’avenir de 14 millions de clients de Bouygues Telecom en suspens
Outre le sort des salariés de Bouygues Telecom, la fusion envisagée pose la question du devenir des millions de clients de l’opérateur. Fin septembre 2015, le groupe disposait de 11,6 millions de clients mobiles et 2,7 millions de clients haut débit sur ses réseaux fixes (ADSL et fibre optique). De son côté, Orange affiche 28 millions de clients mobiles. S’y ajoutent 10,6 millions d’abonnés sur les réseaux haut débit fixes, soit une part de marché de 40%.
En cumulant ses abonnés avec ceux de Bouygues Telecom, Orange frôlerait voire dépasserait 50% de part de marché sur les réseaux fixes ou mobiles. En conséquence, le gendarme de la concurrence risque fort d’imposer la cession d’une partie de la clientèle de Bouygues à un concurrent, pour éviter le “reconstitution” d’une position dominante de l’opérateur historique.
Selon le JDD, SFR pourrait notamment se montrer intéressé par la reprise des clients low cost (sans engagement) de l’offre B&You de Bouygues Telecom.
avec bfmbusiness