En août et en septembre, deux compagnies, l’une japonaise et l’autre taïwanaise, ont fermé leurs lignes entre l’Europe et l’Afrique. Trop risquées et pas assez rentables…
Coup sur coup, plusieurs armateurs du top 20 mondial ont annoncé l’arrêt de leurs lignes reliant l’Europe à l’Afrique. Le premier à ouvrir le bal a été le japonais Mitsui OSK Lines (MOL), qui, en août, a décidé de stopper sa coopération avec l’allemand Hapag-Lloyd. MOL n’est pourtant pas n’importe qui sur le continent.
Il est le numéro quatre du marché africain, derrière le danois Maersk Line, le français CMA CGM et l’italo-suisse MSC. Le retrait japonais a d’ailleurs donné l’occasion à CMA CGM de mettre un terme à ses accords de cochargement sur la ligne montée ensemble par MOL et Hapag-Lloyd. Depuis, l’armateur allemand se retrouve seul, n’exploitant plus qu’une ligne vers l’Afrique de l’Ouest, avec de plus petits porte-conteneurs.
Un mois après son concurrent asiatique, c’est le taïwanais Evergreen, numéro cinq mondial, qui annonçait l’arrêt, début septembre, de sa ligne entre la Méditerranée et la côte occidentale de l’Afrique, pour se concentrer sur un seul axe depuis l’Asie, avec MOL et le chinois Cosco, opérationnel depuis 2014. Cette décision d’Evergreen a mis en difficulté son partenaire sud-coréen Hanjin, avec lequel il était associé en Afrique de l’Ouest.
Hanjin a hésité à renoncer à son tour. Mais CMA CGM l’a embarqué avec son partenaire mondial, l’armateur émirati United Arab Shipping Company (UASC). Une ligne à trois a ainsi été maintenue au départ d’Algésiras (Espagne) et de Tanger (Maroc) et à destination d’Abidjan (Côte d’Ivoire), Tema (Ghana) et Lagos (Nigeria). Mais l’offre de Hanjin a diminué de moitié.
Le manque de rentabilité a poussé vers la sortie les lignes les plus fragiles.
Pourquoi une telle hécatombe ? Le marché, qui baisse de 2 % à 3 % entre l’Asie et l’Afrique, est difficile côté prix, lesquels sont très volatils. Sous la pression d’une concurrence vive et d’une surcapacité toujours réelle malgré les retraits de lignes, les taux de fret ont dégringolé pendant les trois premiers trimestres de l’année pour atteindre un palier depuis novembre : 500 euros pour transporter un conteneur de 20 pieds entre les ports d’Europe du Nord et ceux d’Afrique de l’Ouest – soit quasiment la moitié du tarif payé il y a un an. Le manque de rentabilité a poussé vers la sortie les lignes les plus fragiles.
Car attaquer l’Afrique de l’Ouest depuis l’Europe avec un seul service qui fait la tournée complète est risqué. La moindre congestion dans un port peut gripper la mécanique. En accumulant les retards dans les ports suivants, la ligne est vite discréditée. Sans une taille relativement importante, avec un réseau en propre et des services variés, difficile de rentabiliser ses opérations dans un contexte de prix bas.
Parade
Même s’ils souffrent aussi côté rentabilité, les transporteurs globaux, et notamment les deux leaders Maersk et CMA CGM, ont trouvé la meilleure des parades. Ils ciblent des zones géographiques plus resserrées avec des lignes courtes, à quatre navires, depuis les hubs de Tanger Med et d’Algésiras. Un retard au Nigeria n’a pas d’impact sur la desserte de l’Angola ou du Congo, car tous les ports ne sont pas desservis à chaque fois. CMA CGM a ainsi pas moins de sept services de typeshuttle (« navettes ») vers l’Afrique de l’Ouest branchés sur Tanger Med. Ce système efficace ne fonctionne cependant qu’à condition d’avoir des réserves de volume sur tous les marchés, ce qui n’est donné qu’aux grands leaders.
Ces global carriers récoltent les fruits de leur puissance en disposant, en plus du fret européen, des conteneurs transbordés depuis les États-Unis, la Turquie ou l’Asie lors des escales à Tanger ou à Algésiras. Après avoir racheté les plus gros indépendants les décennies précédentes (Safmarine pour le premier, Delmas et Otal pour le second), Maersk et CMA CGM détiennent aujourd’hui à eux deux près de 60 % des parts de marché sur tout le continent (de 33 % à 35 % pour Maersk, environ 25 % pour CMA CGM).
Aléas
Des armateurs plus modestes, tels le néerlandais Nile Dutch, demeurent spécialistes de l’Angola, qui a introduit des navires neufs cette année, ou le turc Arkas, qui, depuis la Méditerranée, essaye de prendre la place laissée vacante en Afrique de l’Ouest par les armateurs asiatiques. Après le retrait de son compatriote Messina, qui s’est concentré sur l’Afrique de l’Est, l’italien Grimaldi occupe quant à lui le créneau, moins disputé, du roulier et renforcera sa flotte, début 2016, pour passer à un rythme hebdomadaire depuis les ports méditerranéens. Il doit néanmoins faire face aux aléas du marché des véhicules d’occasion (avec des restrictions d’entrées décidées cette année au Nigeria) et à une certaine concurrence de la conteneurisation pour les voitures neuves haut de gamme.
Seuls les spécialistes de l’Afrique qui connaissent bien leur marché tiennent le coup face aux global carriers. Les Asiatiques, loin de leur base, en ont fait les frais en 2015. « L’Afrique, c’est une constellation de marchés difficiles, on n’y vient pas pour six mois, analyse Jean-Yves Duval, le patron des lignes Afrique de CMA CGM. Faire un coup et repartir, ça ne marche pas ici. »
Un nouveau-né baptisé NMM African Shipping
Depuis la disparition des armateurs nationaux africains, l’offre de desserte est trustée par la redoutable efficacité des Européens et des Asiatiques. Mais une initiative privée africaine a émergé en mars 2015. Basé à Tanger Med, MNM African Shipping Line représente un engagement de 2 millions d’euros d’investisseurs marocains et du nigérian Sifax Group, avec le soutien des autorités à Rabat.
Son premier service, assuré au départ par des navires polyvalents gréés, touche depuis mars Barcelone et Sagonte (Espagne), Tanger Med, Casablanca et Agadir (Maroc), Nouakchott, Dakar, Conakry, Abidjan, Tema et Lagos. Il a été élargi à Marseille (France) mi-octobre avec l’introduction de l’Altinia, un roulier porte-conteneurs de 150 mètres de long sous pavillon italien.
avec jeuneafrique