Pour la quatrième fois, l’association Forêts et développement rural (Foder) a restitué les résultats de l’évaluation de l’indice de perception de la corruption en 2017 dans le secteur forestier et faunique. Il ressort que cette perception s’est considérablement dégradée depuis 2015 (5,78/10) pour atteindre 7,25/10 en 2017. Le Quotidien de l’économie présente les causes de cette situation tout en évoquant le manque à gagner dans un secteur stratégique pour l’économie nationale.
L’intensité de la corruption progresse dans le secteur forestier
L’évaluation de l’indice de perception de la corruption (Eipc) 2017, réalisée par l’association Foder dans le cadre du projet « voix des citoyens pour le changement : observation forestière dans le bassin du Congo » montre que la corruption gangrène davantage le secteur forestier au Cameroun. En effet, à l’issue des entretiens réalisés dans les 10 régions du pays par Foder auprès de 405 parties prenantes (administration forestière et faunique, justice, force de maintien de l’ordre, secteur privé, société civile, communautés, élus locaux, collectivités territoriales décentralisées), il ressort qu’il y a eu dégradation de la perception de l’intensité de la corruption parmi les acteurs du secteur forestier et faunique. Cette perception est passé de 5,78/10 en 2015 pour atteindre 7,25 /10 en 2017.
Les résultats de l’Eipc 2017 révèlent que plus de 50% d’acteurs interrogés ont situé leur note de l’indice de perception de la corruption (Ipc) entre 8/10 et 10/10, alors que près de 6,5% ont situé leurs notes de l’Ipc entre 0/10 et 4/10. « L’Indice de perception est supérieur à la moyenne (5/10) dans 9 régions et de surcroit, toutes les catégories interrogés, excepté ceux du ministère des Forêts et de la faune (Minfof) ont un Ipc supérieur à la moyenne. Ces éléments permettent également de déduire que le secteur est corrompu. Par région et par catégories d’acteurs, les moyens modes et médianes montrent que l’indice moyen le plus élevé (8,36) a été obtenu à l’Extrême-Nord et le plus faible (4) à l’Ouest », renseigne le rapport de Foder.
Les résultats de l’Eipc 2017 indiquent aussi que les victimes de la corruption proviennent pour la plupart des familles d’acteurs du secteur des forêts et de la faune. Toutefois, informe-t-on, les plus exposés au phénomène sont les communautés locales et autochtones (31 ,1%) et les acteurs du secteur privé (20,75). Dans ce secteur, souligne le rapport, la corruption peut consister en des vols organisés par certains détenteurs de l’autorité de l’Etat, des arnaques en tout genre et des divers détournements du pouvoir de l’Etat. Sont cités comme acteurs principaux de la corruption dans le secteur des forêts et de la faune, les agents du Minfof en l’occurrence ceux affectées aux postes de contrôle forestier, les communes, les gendarmes, les policiers. Cette réalité n’a pas beaucoup évolué. En 2012 par exemple, les acteurs des forêts et de la faune avaient fustigé l’intrusion des gendarmes dans le contrôle forestier. Suite à des plaintes adressées à la cellule de lutte contre la corruption (Clcc) du Minfof, des initiatives conjointes avaient été menées par la Clcc et la Commission nationale anti-corruption.
Elles avaient abouti selon l’association Foder à une instruction du Secrétaire général de la présidence de la République au Secrétaire d’Etat à la défense (SED) et au délégué général à la Sûreté nationale leur demandant d’interdire aux gendarmes et policiers de procéder au contrôle routier. Les conclusions de l’Eipc 2017 indiquent que cette instruction a depuis cessé d’être respectée. « Ce qui laisse supposer que les initiatives anticorruption menées dans le secteur des forêts et de la faune sont à la fois insuffisantes et inefficaces », peut-on lire dans le rapport de Foder.
Le faible niveau de transparence et l’impunité accélèrent la corruption
La transparence est considérée comme l’un des indicateurs de la bonne gouvernance. Dans le secteur des forêts et de la faune au Cameroun, la transparence selon le rapport de l’association Foder n’est pas encore effective. Les résultats de l’Eipc 2017 montrent en effet qu’une frange importante des facteurs intervenant dans les secteurs suscités n’a pas connaissance des informations sur les documents officiels requis pour l’exercice de leurs activités ainsi que sur les procédures relatives à leur obtention. « Toutes ces méconnaissances des règles et des procédures pour l’obtention des documents officiels ainsi que des initiatives de lutte contre la corruption et le faible niveau d’accès aux informations dans le secteur renforcent la vulnérabilité de certains acteurs, ce qui réduit considérablement leur capacité à résister à la corruption »,souligne le rapport de Foder.
Il souligne également que l’impunité a de nouveau été retenue en 2016 comme étant l’une des causes de la corruption dans le secteur forestier. C’est pourquoi il a été mis sur pied la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (Snlcc) par la Commission nationale anticorruption du Cameroun (Conac). Les résultats de l’Eipc 2017 révèlent que 3,2 % de personnes sondées pensent que l’impunité et la passivité du gouvernement figurent parmi les causes de l’inefficacité des initiatives de lutte contre la corruption. L’impunité est favorisée apprend-t-on par la faible opérationnalité des mécanismes supposés garantir la redevabilité et la reddition des comptes des agents de l’Etat intervenant dans le secteur des forêts et de la faune. La redevabilité en effet est le fait de rendre compte des actes posés lors de l’exercice de ses fonctions. Cet autre principe est déterminant dans la mise en œuvre du concept de bonne gouvernance. Or la question de la redevabilité ne ressort pas explicitement des résultats de l’Eipc 2017. « Toutefois, l’analyse de certaines données comme la perception de la volonté des acteurs à lutter contre la corruption permet d’aboutir à la conclusion selon laquelle elle est encore faible voire inexistante dans le secteur », martèle Foder.
A ceci s’ajoute le désengagement des principaux partenaires au développement. Selon le rapport de Foder, la lutte contre la corruption ne figure plus parmi les priorités de plusieurs bailleurs de fonds internationaux présents au Cameroun. La priorité informe-t-on est davantage donnée aux programmes de conservation des forêts.
La corruption emporte plus 797 millions FCFA par an dans le secteur forestier
La corruption observée dans le secteur des forêts et de la faune a des répercussions négatives sur les recettes de l’Etat. En effet, les ressources qui sont censées bénéficier à la croissance économique du pays sont détournées à travers la corruption et les mécanismes mis en place par les acteurs (corrupteurs et corrompus) au bénéfice d’intérêt personnels. L’étude sur l’Eipc 2017 montre que 82% des acteurs du secteur sont impliquées dans des actes de corruption et que plus de 52% d’entre eux déboursent au moins 10 000 FCFA par semaine dans des actes de corruption. « On peut à partir de simulations constater que le manque à gagner pour l’Etat est sensiblement égal à 797 040 000 FCFA par an, si on s’en tient aux seules personnes interviewées dans le cadre de l’Eipc 2017,alors qu’il a besoin de ces ressources pour poursuivre le développement du pays et améliorer ainsi les conditions de vie des populations », regrette Foder.
En 2012, une étude sur l’état des lieux des pratiques de corruption dans le secteur des forêts réalisée par le Pr. Binam Bikoï indiquait clairement les pertes de l’Etat du fait de la corruption à plus de deux milliards de FCFA. Dans la même veine, d’autres chercheurs ont également estimé que la corruption ferait perdre au Cameroun entre 12 et 15 milliards de FCFA de recettes forestières par an au Cameroun. Foder renseigne aussi que la corruption impacte aussi le revenu des petits opérateurs économiques du secteur des forêts et de la faune puisque « 88,7% des personnes interrogés reconnaissent que la corruption réduit considérablement leurs revenus. 20,80% admettent payer moins de 5000 FCFA par jour en frais illégaux. Ce pourcentage est de 26,16% pour ceux qui ont déjà versés au moins 5 000 FCFA par jour, 26,52% pour ceux qui paient plus entre 10 000 et 15 000 FCFA et 26,52 pour ceux qui paient plus de 15 000 FCFA par jour »,explique le rapport de Foder.
En rappel, le secteur des forêts et de la faune est un des secteurs prioritaires pour la croissance économique et le développement du pays. Selon les statistiques, le secteur forestier a représenté de manière constante 2,7% du Produit intérieur brut (PIB) entre 2008 et 2010 tandis que la contribution de la chasse est évaluée autour de 0,25 % du PIB en 2013. Il fournit également un potentiel écotouristique important et des services environnementaux notamment dans la lutte contre le changement climatique via le processus de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Une synergie d’action s’avère impérative pour vaincre le fléau
Au regard des pertes enregistrées dans le secteur forestier à cause de la corruption, l’association Foder dans son rapport propose quelques solutions pour rectifier ou réduire à sa plus simple expression la tendance qui se met en place depuis 2015. Ainsi Foder propose le diagnostic des initiatives anticorruption menées entre 2010 et 2017 dans le secteur des forêts et de la faune suivi de la proposition d’un plan d’action y découlant. L’objectif visé ici étant de tirer les leçons des précédents échecs et de proposer des dispositifs qui soient plus appropriés pour lutter contre la corruption. Aussi, Foder préconise entre autres la mise en œuvre effective dans la lutte contre la corruption des mécanismes visant la prévention, l’éducation, les incitations pour combattre le fléau et surtout appliquer des sanctions exemplaires dissuasives contre les acteurs de la corruption. Dans la même veine, il faut prône Foder améliorer les approches de sensibilisation des acteurs les plus exposés à la corruption, réactiver les mécanismes de protection des dénonciateurs, conduire des plaidoyers afin de réduire les interventions constatées dans le secteur forestier.
Les best practices en matière de contrôle forestier et faunique au Cameroun
1 |
Le port de la tenue verte obligatoire pour les agents commis au contrôle |
2 |
Le port par l’agent commis au contrôle d’un badge lisible sur lequel sont inscrits ses noms, prénoms et le service auquel il est rattaché |
3 |
La détention d’un ordre de mission dument signé par l’autorité compétente |
4 |
L’affichage à l’intention du public de la note de service officialisant l’ordre de mission |
5 |
L’affichage aux points de contrôle du Minfof d’un numéro vert servant à dénoncer la corruption |
6 |
La non utilisation des bénévoles aux points de contrôle |
7 |
Le contrôle ne porte que sur la lettre de voiture, le certificat d’origine ou le dossier de vente aux enchères publiques |
8 |
Le respect de la durée de 20 minutes pour les contrôles |
9 |
L’inscription à l’issue du contrôle de l’identité de l’agent de l’agent contrôleur, le lieu du contrôle ainsi que les heures de début et de fin du contrôle sur les documents contrôlés |
10 |
La transcription dans la main courante des informations forestières contenues sur les documents contrôlés pour des besoins de statistiques |
Source : Lettre circulaire N°0170/LC/MINFOF/P.CLCC/M.CLCC