La taille de la flotte d’avions d’affaires en Afrique a été multipliée par deux au cours des dix dernières années. Et le continent attend plus de 600 livraisons au cours des dix prochaines années et plus de 80% de ces livraisons sont prévues dans les catégories légères ou moyennes. Qui sont les opérateurs ? Quels sont les principaux marchés sur le continent ?
La taille de la flotte d’avions d’affaires a été multipliée par deux au cours des dix dernières années. L’Afrique prévoit l’acquisition d’avions pour une valeur de 7 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années, dont 80% seraient de petites ou moyennes catégories selon les prévisions 2016-2025 du marché de l’aviation d’affaires. Les chiffres sont avancés par le rapport Bombardier Business Aircraft, Market Forecast. Cette même étude estime une croissance annuelle de la flotte de 3,2 %.
Il faut dire qu’en Afrique, les jets privés sont de plus en plus prisés par les hommes d’affaires et pas seulement. Même les membres des gouvernements ou hommes politiques s’y sont mis pour pouvoir gérer les contraintes de leur fonction et revenir traiter les affaires courantes. C’est dire s’il y a une niche qui n’arrête pas de croître dans le secteur du transport aérien sur le continent, c’est bien celle de l’aviation d’affaires. Si généralement le secteur de l’aviation VIP vise des individus dont la valeur du patrimoine dépasse 1 million de dollars- les High Net Worth Individuals (HNWI)-, en Afrique, ce cœur de cible représente une population de 140.825 personnes selon l’African Business Aviation Association (ABAA). Cette association a publié en mars 2015 un rapport intitulé State of Business Aviation in Africa. D’après cette étude, l’aviation d’affaires est plutôt bien acceptée par les Africains fortunés. La moyenne africaine est d’environ 3,5 jets pour 1 000 HNWI, ce qui place le continent largement au-dessus de la moyenne mondiale (1,5 jet pour 1 000 HNWI), et loin devant l’Europe (0,9/1000).
Un ciel africain dégagé
Dopé souvent par le manque de grands transporteurs commerciaux, et par les lacunes d’infrastructures et de connexions aériennes, routières ou ferroviaires, le trafic de l’aviation d’affaires sur le continent reste également surtout porté par l’exploration des projets pétroliers et miniers. D’après les professionnels, la chute du cours des matières premières qui aura affecté la plupart de ces marchés n’aura donc pas eu d’influence sur la croissance du trafic des jets et autres turbopropulseurs utilisés par les hommes d’affaires et chefs d’entreprise. Résultat : les voyages d’affaires de patrons de groupes privés et les déplacements de dirigeants politiques représenteraient, d’après les compagnies, près de 85 % des vols de jets privés en Afrique, les 15 % restants étant le fait de particuliers aisés. Et le trafic est en hausse. L’Association africaine de l’aviation d’affaires (AFBAA) estime à ce jour à environ 2000 le nombre d’avions privés en Afrique, répartis 50/50 entre les jets et les turbopropulseurs. Selon l’AFBAA, les liaisons réalisées sont à 72 % intra-africaines. Suivent les vols à destination ou en provenance des pays du Golfe (18 %) et de l’Europe (6 %).
L’Afrique du Sud et le Nigeria concentrent la moitié de la flotte d’avions privés du continent. Viennent ensuite l’Égypte, le Maroc, l’Angola, la Tanzanie et la République Démocratique du Congo, qui pourrait devenir le prochain gros marché si le pays gagne en stabilité. Il faut dire que plusieurs compagnies africaines de jets privés ont vu le jour. Elles sont créées parfois par des patrons ou des entreprises soucieuses de rentabiliser leurs propres avions. Medi Business Jet (MBJ), première compagnie marocaine du genre, a par exemple été lancée en 2004 par trois grands patrons ayant mis en commun leurs appareils. Ils ont été rejoints par d’autres propriétaires. MBJ affiche sept avions à ce jour. A l’ouest du continent, au Nigeria, les groupes Dana (industrie pharmaceutique, agroalimentaire…) et Barbedos (distribution automobile, commerce pétrolier…) ont acheté des jets privés pour les déplacements de leurs cadres dirigeants. Mais afin d’optimiser les coûts, ils les louent le reste du temps via leurs filiales aériennes respectives, Dana Air et Skyjet Aviation Services. Selon un responsable de l’Association africaine de l’aviation commerciale, «il est très difficile d’estimer le nombre exact de jets privés au Nigeria parce que la majorité sont enregistrés à l’étranger». « Les avions au Nigeria, et dans une grande partie du continent, appartiennent à des hommes d’affaires », poursuit-il. « C’est en quelque sorte le contraire de l’Amérique du Nord et de l’Europe où ils appartiennent à des entreprises ».
La plupart des acheteurs de jets privés préfèrent éviter d’être sous les projecteurs, en particulier lorsqu’il s’agit d’exposer leur richesse, bien que dans les cercles restreints du monde de l’aviation, le nom des propriétaires est de notoriété publique. D’ailleurs, les avions sont en majorité enregistrés à l’étranger, principalement aux Etats-Unis, aux Bermudes, l’île de Man et l’île Maurice, car, selon les industriels du secteur, les avions sont difficilement revendables s’ils ont été enregistrés au Nigeria. Les acheteurs craignent en effet que les standards d’entretien ne soient pas aux normes dans le pays. Toujours est-il que les plus riches font généralement le choix d’acquérir un bombardier de longue portée, type Global Express XRS, qui vaut environ 50 millions de dollars, comme l’homme d’affaires le plus riche d’Afrique Aliko Dangote, ou encore la baronne du pétrole Folorunsho Alakija, et le magnat de la téléphonie mobile Mike Adenuga, qui détient également des avions commerciaux à la fois de petite et de longue portée. D’autres modèles assez répandus- coûtant entre 39 millions et 57 millions de dollars- comme le Gulfstream G550, le Bombardier Challenger 605 et le Dassault Falcon 900- sont achetés par des Nigérians millionnaires, qu’ils soient politiciens ou hommes d’église. Mais à côté des grands groupes qui possèdent leurs propres avions, destinés au transport des dirigeants, ou des puissants hommes d’affaires encore des multipropriétaires, les petites compagnies locales se sont surtout multipliées au cours de ces dernières années. C’est ainsi par exemple au Maroc, à côté de Medi Business Jet, d’autres compagnies locales comme Maroc Air Ocean ou Med Air Ways ont fait leur apparition pour développer le concept d’avion-taxi. Notons que la société de location Héliconia propose aussi des déplacements nationaux en hélicoptère aux clients pressés ou aux patients. Ce transporteur par hélicoptère basé à Marrakech a parallèlement dédié des appareils au secteur de l’exploration pétrolière et se hisse du même coup au rang des compagnies spécialisées dans le secteur. Un marché porteur pour ce transporteur qui lorgne au-delà du Maroc. Héliconia envisage d’étendre de plus en plus ses activités en Afrique à laquelle il accorde une attention toute particulière, sachant qu’il est déjà intervenu dans nombre de pays comme l’Algérie, la Tunisie, le Mali, la Mauritanie ou encore le Sénégal où elle détient une représentation.
Des chiffres encourageants mais modestes
D’après un rapport de 2015 sur le sujet réalisé par l’Asian Sky Group, le marché africain de l’aviation privée est dominé principalement par Hawker (22 % du parc), Cessna (20%), Bombardier (18 %), Gulfstream et Dassault (13 % chacun). 61% de la flotte d’avions d’affaires en Afrique est sous exploitation privée, le restant étant dédié pour l’affrètement. Le constructeur canadien Bombardier prévoit ainsi la livraison (tous avionneurs confondus) de 200 appareils neufs d’ici à 2025 en Afrique, dont 80 % d’avions légers et intermédiaires, représentant un marché de 7 milliards de dollars. L’Afrique du Sud et le Nigeria sont les deux principaux marchés de cette niche en termes de livraisons.
Ces géants économiques abritent plus de 50% de la flotte d’avions d’affaires de l’ensemble du continent. Globalement, on estime que 80% des biréacteurs d’affaires se trouvent dans la zone subsaharienne, contre 20% en Afrique du Nord, principalement en Égypte, en Libye et au Maroc. Entre 2014 et 2033, quelque 685 livraisons d’avions d’affaires sont prévues dans le continent, reflétant ainsi une éventuelle hausse du nombre des milliardaires africains. Des chiffres encourageants, mais qui demeurent modestes comparés aux 8 300 nouvelles livraisons prévues au total dans le monde sur la même période. Il existe à cela plusieurs raisons. Avec la flotte la plus vieille du monde, d’une moyenne d’âge de 20 ans, le nombre de produits disponibles sur le marché reste important. Il faut dire que s’ils sont bien entretenus, des avions d’affaires de plus de 30 ans peuvent en effet encore voler, même si certains pays comme l’Éthiopie interdisent de plus en plus l’usage d’avions vétustes. Dans le monde, les avions d’occasion récents (vieux d’un à deux ans) constituent 10% des flottes. Mais il y a un autre facteur qui bloque le développement du marché pour les constructeurs. Les groupes capables de s’offrir un jet privé ne font pas lésion sans compter que les banques et les compagnies financières comme GE Capital Aviation Services (Gecas), CIT Aerospace, Macquarie Air Finance ou encore Global Jet Capital, spécialisées dans les prêts pour l’acquisition d’avions ou dans le leasing, sont frileuses pour financer de telles opérations pour les entreprises africaines. Seules les entreprises qui bénéficient de bonnes et anciennes relations avec ces institutions ou avec certains constructeurs auront des facilités pour obtenir des crédits. Ce n’est pas un hasard si de plus en plus d’acheteurs africains se tournent vers l’acquisition de petits avions, plus faciles à financer, comme des Cessna Bravo, qui coûteront de 2 à 5 millions d’euros, que vers les plus gros jets privés.
Les champions africains
Avec 169 jets basés sur son territoire, l’Afrique du Sud possède la plus grande flotte privée africaine et figure dans le top 20 des marchés mondiaux de l’aviation d’affaires. A cela il faut ajouter 279 avions à hélices. Avec ses 134 jets, le Kenya arrive en deuxième place sur le podium. Viennent ensuite le Nigeria (91 avions) et la Tanzanie (82 avions). Le top 7 africain est complété par l’Angola (70 avions), l’Egypte (41) et le Maroc (32). Il existe un grand écart entre les pays leaders et les autres. L’Afrique du Sud à elle seule concentre 34 % des avions privés du continent, tandis que l’ensemble des pays du top 5 représente 62 % de la flotte continentale.
Offensive sur le continent
L’industrie aéronautique est, dit-on, un excellent baromètre de l’économie. Quand les temps sont difficiles, les voyageurs de la classe affaires passent à la classe économique. Ceux qui volent en jets privés optent alors pour des vols de ligne. Et vice versa. En Europe, l’aviation d’affaires est toujours dans l’attente d’une reprise. Depuis aussi, l’Afrique devient d’année en année un marché incontournable pour l’aviation d’affaires, et ceci se traduit par une offensive des compagnies européenne d’aviation d’affaires vers l’Afrique. En effet, alors que le marché européen peine à retrouver sa santé d’antan, les pays du continent africain affichent des taux de croissance significatifs. Ainsi, de plus en plus d’opérateurs européens déplacent leurs actifs en Afrique. Les plus gros acteurs de l’industrie basent un ou plusieurs appareils de leur flotte en Afrique du Sud, au Maroc, au Nigeria ou encore y construisent des terminaux privés. Au Maroc par exemple, devant l’augmentation du trafic de l’aviation d’affaires, l’Office national des aéroports du Maroc propose des services dédiés à l’aviation d’affaires à Casablanca, Marrakech et Tanger : salles d’embarquement VIP, voitures pour récupérer les passagers au pied de l’avion, traitement rapide des bagages et des formalités administratives… Il faut dire que les compagnies européennes s’intéressent au marché maghrébin, situé à moins de cinq heures de vol de leurs aéroports, c’est-à-dire dans le rayon d’action de la majorité de leurs flottes. Net Jets, propriété du milliardaire américain Warren Buffett et leader européen, a lancé une offensive sur le Maroc.
Par Mouhammadou Diop