Depuis plus d’un siècle, la vaccination a permis d’éradiquer ou de vaincre des dizaines de maladies potentiellement mortelles. Un succès sans précédent menacé par la méfiance diffusée par les “anti-vaccins”.
Article extrait du mensuel Sciences et Avenir n°826 disponible en kiosque jusqu’au 1er janvier 2016. En savoir plus via l’encadré en bas de page >>
La vaccination paie le prix de son efficacité. Si elle ne va plus de soi et si les Français boudent de plus en plus cette petite piqûre, c’est que nous avons oublié à quoi pouvait ressembler un monde sans vaccins où pullulent des maladies infectieuses. Un monde où la coqueluche, la poliomyélite, la diphtérie, le tétanos font des dizaines de milliers de victimes par an. Et c’est précisément parce que la vaccination a permis d’éloigner certaines maladies de notre champ de vision que le doute a fini par s’installer sur son utilité. Pourtant, il n’y a pas plus altruiste et civique comme geste médical.
Le refus vaccinal fait non seulement peser un risque sur votre santé mais également sur celle d’autrui, à commencer par vos proches” – Dr Robert Cohen, pédiatre à l’Hôpital intercommunal de Créteil (Val-de-Marne)
Même si, d’un vaccin à un autre, le degré de responsabilité de chacun diffère. “C’est la différence entre ne pas mettre sa ceinture de sécurité en voiture et boire en conduisant, explique Robert Cohen, pédiatre à l’Hôpital intercommunal de Créteil (Val-de-Marne). Le premier geste est uniquement dangereux pour vous : c’est, par exemple, le cas de la vaccination contre le tétanos puisque la maladie, non transmissible entre humains, n’affectera que vous si vous refusez la vaccination. Mais la seconde attitude est dangereuse pour tous ! C’est le cas pour les maladies infectieuses comme la grippe, la rougeole, etc., puisque le refus vaccinal fait non seulement peser un risque sur votre santé mais également sur celle d’autrui, à commencer par vos proches.”
La protection s’étend à ceux qui ne peuvent pas être vaccinés
Se vacciner, c’est donc se protéger soi-même mais également ceux qui ne le sont pas ou ne peuvent pas l’être comme les personnes souffrant d’une atteinte du système immunitaire, pour qui la vaccination n’est pas conseillée ; ou les nourrissons que l’on ne vaccine pas avant l’âge de 6 mois.
Dans ce dernier cas, la responsabilité échoit à la femme enceinte qui se vaccine pour se protéger mais également pour prémunir son futur enfant. Le cas de la rougeole est édifiant. En suède, cela fait quinze ans que cette infection a pratiquement disparu grâce à une politique vaccinale très active incluant plus de 95 % de la population, totalement nécessaire compte tenu du pouvoir infectieux du virus.
Cliquez sur l’infographie pour l’agrandir (©Betty Lafon / Sciences et Avenir)
La mauvaise réputation du vaccin vient de son bénéfice invisible
En France, où la couverture vaccinale contre la rougeole est loin d’être aussi étendue et ne s’élève qu’à 83%, 200 cas ont été détectés rien que depuis le début de l’année 2015, dont plus de 150 en Alsace, foyer épidémique depuis le milieu de 2014. Ce qui porte à plus de 23.000 le nombre de personnes infectées sur le territoire depuis 2008, dont une trentaine de complications neurologiques et dix décès. Autant de drames qui auraient pu être évités si les malades “avaient été protégés de la maladie par un entourage immunisé”, déplore l’Institut de veille sanitaire (InVS).
La mauvaise réputation de la vaccination vient bien du fait qu’elle nous protège de quelque chose dont on n’est pas atteint. Conséquence : tandis que le bénéfice apporté reste totalement invisible — puisque la vaccination nous immunise contre la maladie — les corrélations les plus délirantes peuvent émerger quant aux effets secondaires du traitement. L’exemple de la coqueluche est à cet égard éclairant (voir dernier schéma en bas à droite de l’infographie ci-dessus) : durant deux décennies, de 1970 à 1990, le parallélisme des courbes françaises entre la vaccination des nourrissons contre la coqueluche et les cas de morts subites est si parfait qu’un rapport de cause à effet semble évident : le premier est — forcément — la conséquence du second. Or, à partir de 1986, avec la recommandation de coucher les nourrissons sur le dos, le nombre de morts subites tombe en flèche… preuve que le vaccin contre la coqueluche n’a rien à voir dans l’affaire !
Un geste qui réclame une confiance dans la médecine
Comme le suggère l’étude récente des psychologues cognitifs Hugo Mercier, de l’université de Neuchâtel (Suisse), et Helena Miton, du laboratoire Dynamique du langage de Lyon, les parents ne sont pas naturellement demandeurs d’un geste sur lequel ils ont du mal à avoir une opinion arrêtée. Ils ne sont ni pour ni contre et se rangent plus volontiers dans le camp des “neutres”. À moins que la menace ne soit toute proche et tangible, une épidémie de coqueluche par exemple,ils doivent faire un effort pour se persuader qu’injecter un corps étranger dans l’organisme de leur enfant est une bonne chose. “Quand la maladie est très prévalente, c’est le seul moyen de faire accepter la nécessité de ce geste, appuie Hugo Mercier. Sinon, il nous est assez facile d’oublier quelque chose d’aussi contre-intuitif.” De fait, le geste vaccinal ne va pas de soi et réclame abnégation et confiance dans la médecine et les autorités. De puissants modèles mathématiques ont pu montrer ces dernières années comment les épidémies naissent et se développent.
La confiance, un sentiment fragile
Mais la plus puissante modélisation épidémiologique est impuissante face à la rumeur et la perte de confiance d’une population. “Le problème de la confiance, poursuit Hugo Mercier, c’est que c’est un sentiment très fragile. Elle est longue à se mettre en place, et un rien suffit à l’ébranler.” Les deux auteurs comparent, pour mieux les opposer, la vaccination à la saignée, très largement pratiquée pendant des siècles pour toutes sortes d’affections, et d’ailleurs encore utilisée, en Inde par exemple. Si cet acte invasif a rencontré un tel succès, c’est parce qu’il semblait aller de soi : en laissant le sang s’écouler hors du corps, chacun pensait qu’il finirait bien par entraîner avec lui le mal dont le malade souffrait. Un principe aussi intuitif… qu’inefficace !
Tout le contraire de la vaccination qui consiste à introduire un corps étranger pour lutter contre une maladie. “C’est la thérapie la moins intuitive alors que c’est celle qui a sauvé le plus de vies dans l’histoire de la médecine !”, s’exclame Hugo Mercier. Mais, alors que “les scientifiques peuvent accepter des preuves qui vont à l’encontre de leurs convictions personnelles parce qu’ils sont capables d’évaluer chaque élément, écrivent les auteurs, le grand public doit se raccrocher à une confiance plus générale en la science”. Une confiance qui a tendance à largement s’effriter à l’heure “complotiste” d’Internet.
avec scienceeavenir