Avant d’avoir vingt ans, elle avait déjà co-fondé son entreprise. À sa façon, Winnifred Selby encourage une plus grande autonomie des jeunes. Du haut de ses dix-neuf ans, son assurance impressionne. Peut-être pour compenser son jeune âge, à moins que ce ne soit une manifestation de sa précocité, son discours est bien rodé – voire un peu formaté.
À quinze ans, Winnifred Selby, Winnie, comme elle aime être appelée, co-fonde Ghana Bamboo Bikes qui fabrique des cadres de vélo à partir de bambous. Elle lance ensuite sa propre société, Afrocentric Bamboo Limited. Récemment nommée au Cartier Women’s Initiative Awards, sa déception semblait difficile à contenir lorsque sa concurrente, Achenyo Idachaba, a raflé le prix. Rien d’un échec pourtant pour cette jeune fille qui enchaîne les récompenses, prête à conquérir le monde. “À six ans, j’ai su que je deviendrai entrepreneuse sociale”, affirme-t-elle.
Sur les bancs de l’école
C’est à l’école secondaire que l’idée germe, lors d’un cours de design. “Nous devions imaginer des moyens de transport pour des personnes âgées ou des enfants”, se souvient-elle. Utiliser du bambou pour fabriquer des vélos n’est pas un concept tout à fait nouveau. Né en 1894 en Angleterre, il a été introduit en Afrique en 2005 par le Californien Craig Calfee, convaincu que ce mode de transport a de quoi séduire les Africains dès lors qu’il est accessible et fabriqué localement. “L’idée était là, mais il fallait la mettre en oeuvre”, relate-t-elle. Elle décide alors de sauter le pas aux côtés de Bernice Dapaah et Kwame Kyei.
Pas évident face aux banques
Les banquiers n’ont pas été faciles à convaincre. Il faut imaginer voir débarquer cette jeune fille de quinze ans qui rêve de changer la vie de la population rurale. “Au Ghana, les banques financent difficilement les start-up”, rappelle-t-elle. C’était compter sans la mobilisation de ses camarades de classe, tous prêts à investir leurs frais de scolarité dans ce projet innovant. L’équipe est constituée. Aujourd’hui encore, malgré le succès et un chiffre d’affaires qui avoisine les 320 000 dollars en 2013, le problème reste le même. “Nous avons besoin de fonds pour soutenir la demande. Nous avons 4 000 vélos en attente à fournir. Heureusement, nous sommes soutenu par l’ONG Bikes for Africa.”
Participer au développement local
L’idée est bel et bien innovante. À y regarder de plus près, le bambou est une ressource qui semble avoir été pensée pour la fabrication de vélos. Capable d’absorber les chocs, le confort n’est pas la moindre de ses qualités. La tige de chaume est aussi particulièrement robuste, plus résistante à la traction que l’acier et donc capable de supporter de lourdes charges. Fabriqués avec une matière première locale non polluante, ces vélos sont donc particulièrement adaptés aux chemins ruraux du Ghana. Alors que ce moyen de transport est peu populaire en Afrique, le vélo de bambou n’a rien d’un modèle au rabais. Kafui Dey, un présentateur de télévision populaire du pays qui a testé le vélo, s’est d’ailleurs dit impressionné par sa qualité.
Le bambou, une richesse locale
La plus grande qualité de cette plante pour Winnie est sans doute son abondance au Ghana. Une richesse, qui permet l’élévation du niveau de vie à travers l’autonomisation des jeunes, dans un pays où la population rurale vit avec moins d’un dollar par jour. “La société a formé 42 personnes à l’assemblage de bambous, principalement des femmes, peu éduquées, qui sont payées le double du salaire minimum journalier et formeront à leur tour d’autres femmes.” Les bénéficiaires apprennent aussi à réutiliser les déchets de bambou pour faire du feu afin de permettre aux filles, qui n’ont plus à ramasser le bois, d’être scolarisées. Les vélos sont acssibles à partir de 100 dollars localement, 300 dollars à l’export. “C’est très abordable comparé à nos concurrents internationaux”, affirme-t-elle. D’autant qu’en échange la société subventionne un abri à vélo pour un paysan ou un écolier.
Une vocation née dans la rue
L’entrepreneuriat, Winnie l’a découvert très tôt. Par nécessité plus que par choix. “C’est quelque chose qui fait partie de mon ADN et que j’ai découvert très jeune.” Lorsque son père décède, elle et ses cinq frères et soeurs sont élevés par sa mère qui peine à joindre les deux bouts. Âgée de 6 ans, elle doit se débrouiller pour trouver de l’argent et payer sa scolarité. “J’ai commencé par vendre des caramels à mes camarades, avant de faire du petit commerce dans la rue.” Son sens des affaires s’affûte. “Les difficultés financières m’ont rapidement fait prendre conscience qu’il fallait que j’économise mes profits pour les réinvestir ensuite.”
Aujourd’hui, son credo est clair, les opportunités peuvent être à la fois économiquement et socialement viables. “Les Africains ne sont pas pauvres. Nous sommes bénis, nous avons tant de ressources. Nous devons créer de la valeur à partir de ce que nous possédons, la partager et produire un impact sur notre environnement.” Avec ses collègues de Ghana Bamboo Bikes, elle souhaite développer un projet de taille nationale pour atteindre les différentes régions du pays. Et le succès qu’elle a déjà rencontré après seulement quatre années de carrière laisse entrevoir un avenir radieux.
Source : afrique.lepoint.fr