Si le nord du Mozambique et ses immenses réserves de gaz et charbon font l’objet de toutes les attentions ces dernières années, son potentiel agricole est aussi convoité par les investisseurs étrangers. Au grand dam de petits exploitants, expropriés pour laisser la place à de méga projets agricoles.
Pour le rachat de sa maison et de ses champs de deux hectares, Régina Macomba, une paysanne quinquagénaire de Mutuali (nord), a touché 6.500 meticals, soit l’équivalent de 130 euros ou deux mois de salaire minimum.
Elle n’a pas eu le choix face à Agromoz, une co-entreprise du groupe Amorim, qui appartient à l’homme le plus riche du Portugal, et d’Intelec, l’une des sociétés de l’ancien président mozambicain Armando Guebuza (2005-2015).
En 2012, cette société a obtenu du gouvernement une concession de 10.000 hectares pour cultiver du soja dans cet endroit reculé proche de la frontière avec le Malawi. Le soja est destiné à nourrir des poulets au Mozambique, selon Agromoz.
Comme la centaine d’autres familles délogées en novembre 2013 pour laisser place à cette installation, Régina Macomba reste traumatisée par son éviction brutale.
« Trois jours après nous avoir indemnisés, les bulldozers étaient là pour détruire nos maisons et nous avons dû emmener nos biens et notre nourriture à l’aube en portant tout sur nos têtes », se rappelle-t-elle.
Quelques centaines de mètres plus loin, Arnaldo Francisco, 26 ans, également exproprié en novembre 2013, n’a toujours pas eu le temps de terminer la construction de sa nouvelle maison.
« J’ai d’abord dû m’occuper des cultures », explique t-il, en décortiquant du piri-piri, du piment rouge qui accompagne tous les plats au Mozambique. Derrière lui, seule la structure en bois de sa future maison est achevée.
Régina Macomba et Arnaldo Francisco ne savent pas lire et ne parlent pas portugais, la langue nationale du Mozambique. Mais ils ont tout de même signé, avant leur expropriation, des accords de dommages et intérêts détaillés, sans les comprendre.
Agromoz affirme avoir respecté les dispositions de l’Etat et mené le processus « en toute transparence ». « Ce n’est pas l’entreprise qui fixe le montant des indemnisations, mais le gouvernement mozambicain qui détermine ce que l’on doit payer par famille », explique le directeur général d’Agromoz, André Luft.
Ce Brésilien d’une quarantaine d’années, qui pilote l’exploitation avec sa femme Mana, reconnaît cependant que la question ternit l’image d’Agromoz.
– ‘Situation explosive’ –
Agromoz justifie l’éviction précipitée des paysans par les retards pris lors du processus de consultation des communautés. Alors que seulement 2.000 hectares de la concession sur 10.000 sont pour l’instant exploités, d’autres paysans pourraient être délogés prochainement.
« La situation à Agromoz est explosive, personne ne sait ce qu’il peut se passer », commente Antonio Muagerene, secrétaire du PPOSC, une plateforme provinciale regroupant des organisations de la société civile.
Selon lui, la responsabilité des tensions incombe au gouvernement, qui aurait incorrectement fait son travail de médiation. « Ce qu’il se passe avec Agromoz n’est pas un cas isolé. Il faut reconnaître la faiblesse institutionnelle de notre Etat », estime-t-il.
Les ONG craignent surtout que le cas d’Agromoz ne se répète avec la mise en place d’un vaste programme baptisé Prosavana. Celui-ci concerne 10 millions d’hectares, soit 27% des terres arables au Mozambique, et se présente comme un accord tripartite entre le Mozambique, le Brésil et le Japon, signé en 2009.
En 2013, une première version du projet avait fuité, provoquant une levée de boucliers parmi les associations paysannes. Le projet vise à utiliser des méthodes d’agriculture extensive employées dans le Cerrado brésilien pour cultiver du soja, qui pourrait être destiné à l’exportation, selon Antonio Muagerene. Un non-sens quand 5 millions de Mozambicains vivent en situation d’insécurité alimentaire chronique.
En mars, le gouvernement a présenté une nouvelle version du projet qui met plus l’accent sur les préoccupations des petits exploitants. Il travaille désormais à incorporer les dernières demandes de la société civile, et compte l’adopter dans les prochains mois, explique à l’AFP le coordinateur de Prosavana, Antonio Limbau.
Le représentant des paysans de Mutuali, Manuel Pedro Massava, n’est pas convaincu pour autant. « Agromoz nous a servi de leçon, on a vu comment ils traitent les gens. Il va se passer la même chose avec Prosavana », prédit-il.
avec jeuneafrique