Suchard, Nestlé, Lindt… Des noms synonymes de chocolat. Ces marques helvétiques symbolisent l’attractivité de la Suisse pour ce produit issu du cacao récolté à des milliers de kilomètres des Alpes. Aujourd’hui, les entreprises de la Confédération helvétique sont toujours des acteurs majeurs de l’économie du cacao dont l’Afrique de l’Ouest est de loin le premier producteur mondial.
Autant la production du cacao, matière première du chocolat, est éclatée entre des milliers de petits producteurs répartis sur plusieurs continents, autant les acteurs (transformateurs du cacao) majeurs du chocolat, sont très concentrés. Et parmi ces géants qui font le marché du cacao, on trouve plusieurs entreprises dont le siège où les activités sont basées en Suisse.
«Un rapport des Nations Unies sur l’industrie mondiale du cacao de 2008 a montré que seulement dix entreprises contrôlent les deux tiers de l’industrie de la transformation des fèves de chocolats. Cargill , ADM (repris par Olam, NDLR) et Callebaut sont les plus gros du secteur», écrit le site intellivoire. Le numéro un du secteur est l’entreprise suisse Barry Callebaut (6,8 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires, un bénéfice net de 303 millions et 1,9 million de tonnes vendues) née de la fusion de plusieurs acteurs venus de France ou de Belgique…
Le chocolat en Suisse: une vieille histoire
Si Barry Callebaut n’est connu que des spécialistes car il a choisi de travailler en amont de la filière, la Suisse compte nombre de marques célèbres dans le secteur. Le fruit d’une histoire quasi centenaire. «En 1819, François-Louis Cailler ouvre à Corsier-sur-Vevey l’une des premières manufactures de chocolat mécanisées, créant ainsi la marque de chocolat la plus ancienne parmi celles qui ont subsisté. Ainsi, le chocolat fait-il son entrée dans le pays où il allait bientôt trouver ses meilleurs promoteurs et pionniers. En 1826, Philippe Suchard ouvre une fabrique de chocolat à Serrières. Après lui, Jacques Foulquier (prédécesseur de Jean-Samuel Favarger) fera de même en 1826 à Genève, Charles-Amédée Kohler en 1830 à Lausanne, Rudolf Sprüngli en 1845 à Zurich, Aquilino Maestrani en 1852 à Lucerne puis à St-Gall, Johann Georg Munz en 1874 à Flawil, Jean Tobler en 1899 à Berne»… telle est la belle l’histoire du chocolat suisse, selon l’organisation suisse du chocolat.
Ancienne publicité Nestlé. La société de Vevey a inventé le chocolat au lait à la fin du XIXe siècle.© FRILET Patrick / hemis.fr / Hemis
Nestlé invente le chocolat au lait
Comme le rappellent les médias suisses, «en quelques années, la Suisse s’est imposée dans le commerce des matières premières. Selon la BNS, les recettes sont passées de 2 milliards de francs en 2002 à environ 20 milliards en 2011. Les produits énergétiques représentent 59% de ce négoce, suivis des pierres, terres et métaux (20%) puis des produits agricoles et sylvicoles (15%).» C’est dans ce cadre économique que Barry Callebaut s’impose comme un acteur clef de la filière cacao. Elle «se trouve dans 25% des produits à base de cacao et de chocolat consommés dans le monde», affirme l’entreprise.
Pays producteurs de cacao © Syndicat du chocolat
Des producteurs dispersés
Face à des consommateurs très organisés et concentrés, qui maîtrisent toute la chaîne de valeur, les producteurs apparaissent, eux, très dispersés. Découvert en Amérique par les Espagnols à la fin du XVe siècle, le cacao s’est développé dans toutes les zones tropicales. L’Atrique de l’Ouest (et notamment la Côte d’Ivoire et le Ghana), où le cacao a été importé au 19e siècle, est devenue la première zone de production mondiale.
On compte quelque «5-6 millions de producteurs de cacao dans le monde entier. 40-50 millions de personnes dépendent du cacao pour leur subsistance. Environ 90% à 95% de tout le cacao est produit par les petits agriculteurs. La taille typique d’une petite exploitation est d’environ trois hectares, avec une très grande proportion de fermes dans le groupe de la taille de deux à cinq hectares», note Intellivoire. Ces producteurs sont très dépendants des cours mondiaux, même si le Ghana et la Côte d’Ivoire ont établi des cours minimums (à des niveaux différents, ce qui ne va pas sans poser des problèmes de trafic entre les deux pays voisins).
Cacaoyer en Côte d’Ivoire © Jürgen Bätz / DPA
Le cacao représente 15% du PIB de Côte d’Ivoire
Pour ces pays, les cours du cacao ont une importance vitale. «L’or brun représente 15% du produit intérieur brut de la première économie francophone d’Afrique de l’Ouest, plus de 50% de ses recettes d’exportation et les deux tiers des emplois directs et indirects», selon la Banque mondiale.
Dans un marché mondialisé, les cours du cacao sont volatiles malgré une consommation en hausse constante avec de nouveaux marchés prometteurs comme l’Asie. «Après une longue série de “déficits chocolatiers” consécutifs (la consommation dépassant l’offre), une pénurie d’un million de tonnes de cacao était prévue à l’horizon 2020. Depuis, les cours ont plongé, la fève pourrit dans les rues d’Abidjan (…). A 2060 dollars la tonne, le cacao coûte aujourd’hui moitié moins qu’il y a un an, soit son plus bas niveau en dix ans», notait Le Temps en août 2017.
Dans l’industrie du chocolat, la chaîne de valeur part du producteur jusqu’aux grandes marques. (source: fondation Farm). © Mouvement-equitable.org
Or, le marché du cacao est très libéralisé. L’organisation des producteurs de cacao (Organisation internationale du cacao, ICCO), installée maintenant à Abidjan, affirme vouloir trouver des solutions pour garantir des revenus plus stables aux pays producteurs. «Nous devons prendre au sérieux le rapprochement entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. Ces deux pays représentent près de 60% de la production mondiale et je sais que les consultations se poursuivent au plus haut niveau des deux Etats.» Mais l’Opep du cacao n’est pas encore créée… pour faire des pays producteurs les vrais «price maker» de cette matière de base indispensable pour le chocolat.
Pendant que ces discussions sur les prix traînent, les représentants de l’entreprise suisse sur le terrain, en Afrique notamment, consolident la filière de production du cacao qui connaît des difficultés en raison des prix de production trop bas, de problèmes sociaux (accusation de travail des enfants) et de questions environnementales (le réchauffement climatique pourrait jouer sur l’exploitation). Car leur angoisse, c’est de manquer des précieuses fèves du «tehobroma cacao» (nourriture des dieux), nom latin donné au cacaoyer venu d’Amérique.