Au cours des 25 dernières années, la guerre a provoqué la perte de trop nombreuses vies. Pourtant, alors même que des conflits civils et religieux ont fait rage en Syrie, en Afrique centrale, en Afghanistan et en Irak, un affrontement dévastateur entre les grandes puissances mondiales est resté quasi inimaginable.
Ce n’est plus le cas. La semaine dernière, le Pentagone a publié une nouvelle stratégie de défense nationale qui place la Chine et la Russie au-dessus du djihadisme comme principales menaces pour l’Amérique. Cette semaine, le chef d’état-major britannique a évoqué la possibilité d’une attaque russe. Et actuellement, l’Amérique et la Corée du Nord sont dangereusement proches d’un conflit dans lequel la Chine pourrait être entraînée, avec le risque qu’il dégénère en catastrophe nucléaire.
“La semaine dernière, le Pentagone a publié une nouvelle stratégie de défense nationale qui place la Chine et la Russie au-dessus du djihadisme comme principales menaces pour l’Amérique”
Les importants changements à long terme en matière de géopolitique et de prolifération des nouvelles technologies remettent en cause l’extraordinaire domination militaire dont ont joui l’Amérique et ses alliés. Un conflit d’une ampleur et d’une intensité sans précédent, comme on n’en a pas vu depuis la Seconde guerre mondiale devient plausible. Mais, le monde n’est pas prêt.
Le drame de la guerre
Le danger le plus pressant, c’est une guerre dans la péninsule coréenne, peut-être même cette année. Donald Trump a promis d’empêcher Kim Jong-un, le dirigeant de la Corée du Nord, d’avoir les moyens de frapper l’Amérique avec des missiles balistiques dotés d’une ogive nucléaire. Parmi de nombreuses hypothèses, le Pentagone envisage une frappe préventive contre les sites nucléaires du Nord. Malgré les doutes sur le succès d’une telle frappe, il doit être prêt à exécuter l’ordre du président.
Même une attaque limitée pourrait déclencher une guerre totale. Les analystes estimant que l’artillerie nord-coréenne peut bombarder Séoul, la capitale sud-coréenne, avec 10 000 obus par minute. Les drones, les sous-marins miniatures et des commandos via des tunnels pourraient déployer des armes biologiques, chimiques et même nucléaires. Des dizaines de milliers de personnes trouveraient la mort, et beaucoup plus si des armes nucléaires étaient utilisées.
La perspective d’une telle horreur signifie que si la diplomatie échoue, la Corée du Nord devrait être contenue et dissuadée. La guerre est réellement possible. M. Trump et ses conseillers pourraient conclure qu’un Nord atomique serait susceptible de faciliter la prolifération nucléaire et qu’il vaut mieux risquer la guerre dans la péninsule coréenne, aujourd’hui, qu’une attaque nucléaire sur une ville américaine demain.
Même si la Chine reste à l’écart d’une deuxième guerre de Corée, la Russie et la Chine se sont lancées dans une compétition entre grandes puissances avec l’Occident. Leurs ambitions seront encore plus difficiles à contenir que celles de la Corée du Nord. Trois décennies de croissance économique sans précédent ont apporté à la Chine une prospérité qui lui a permis de transformer ses forces armées et donné à ses dirigeants le sentiment que leur moment est venu. La Russie, paradoxalement, doit s’affirmer maintenant, parce qu’elle est menacée par un déclin à long terme. Ses dirigeants ont dépensé beaucoup d’argent pour rétablir la puissance de la Russie, et ils sont prêts à prendre des risques pour prouver qu’ils méritent le respect et qu’il faut leur laisser un siège autour de la table.
Les deux pays ont bénéficié de l’ordre international mis en place, et garanti principalement par l’Amérique. Mais ils voient ses piliers – les droits de l’homme universels, la démocratie et la primauté du droit – comme une contrainte qui excuse l’ingérence étrangère et sape leur légitimité. Ce sont maintenant des États révisionnistes qui veulent remettre en question le statu quo et considérer les régions qui les entourent comme des sphères d’influence qu’ils doivent dominer. Pour la Chine, cela concerne l’Asie de l’Est ; pour la Russie, c’est l’Europe de l’Est et l’Asie centrale.
“La Russie et la Chine voient les droits de l’homme universels, la démocratie et la primauté du droit comme une contrainte qui excuse l’ingérence étrangère et sape leur légitimité”
Ni la Chine ni la Russie ne veulent une confrontation militaire directe avec l’Amérique, qu’elles perdraient sûrement. Mais elles utilisent leur pouvoir de plus en plus fort par d’autres moyens, en particulier en exploitant une “zone grise” où l’agression et la coercition se situent juste en dessous du niveau qui risquerait de provoquer un affrontement militaire direct avec l’Occident. En Ukraine, la Russie a mélangé la force, la désinformation, l’infiltration, la cyberguerre et le chantage économique d’une manière que les sociétés démocratiques ne peuvent ni copier ni combattre aisément. La Chine est plus prudente, mais a revendiqué, occupé et militarisé des récifs et des hauts-fonds dans des eaux dont le contrôle est contesté.
La Chine et la Russie ont exploité des technologies militaires inventées par l’Amérique, telles que la frappe de précision à longue portée et la guerre électromagnétique, pour augmenter considérablement le coût d’une éventuelle intervention contre elles. Toutes deux ont utilisé des stratégies de guerre asymétrique pour créer des zones interdites. La Chine veut repousser les forces navales américaines loin dans l’océan Pacifique, loin de la mer de Chine. La Russie veut que le monde sache que de l’Arctique à la Mer Noire, elle peut disposer d’une plus grande puissance de feu que ses ennemis, et qu’elle n’hésitera pas à l’utiliser.
Si l’Amérique permet à la Chine et à la Russie d’établir des hégémonies régionales, que ce soit consciemment ou parce que sa politique est trop dysfonctionnelle pour répondre, cela leur donnera le feu vert pour continuer à défendre leurs intérêts par la force brute. La dernière fois que cette méthode a été employée, cela a conduit à la Première guerre mondiale.
“Si l’Amérique permet à la Chine et à la Russie d’établir des hégémonies régionales, cela leur donnera le feu vert pour continuer à défendre leurs intérêts par la force brute”
Les armes nucléaires, source majeure de stabilité depuis 1945, aggravent désormais le danger. Leurs systèmes de commandement et de contrôle deviennent vulnérables au piratage par de nouvelles cyber-armes ou à “l’aveuglement” des satellites dont ils dépendent. Face à une telle attaque, un pays pourrait se trouver contraint de choisir entre perdre le contrôle de ses armes nucléaires ou les utiliser.
Citadelles inutiles
Que devrait faire l’Amérique ? Près de 20 ans de dérive stratégique ont joué en faveur de la Russie et de la Chine. Les guerres infructueuses de George W. Bush étaient une distraction et sapaient le soutien de l’opinion américaine au rôle de l’Amérique gendarme du monde. Barack Obama a poursuivi une politique étrangère de retrait, et était ouvertement sceptique quant à la valeur de la force brute. Aujourd’hui, M. Trump dit qu’il veut rendre sa grandeur à l’Amérique, mais il fait le contraire. Il fuit les organisations multilatérales, traite les alliances comme un bagage inutile et admire ouvertement les pouvoirs autoritaires qui dirigent les pays adversaires de l’Amérique. C’est comme si M. Trump voulait que l’Amérique abandonne le système qu’elle a créé pour devenir une puissance révisionniste comme la Russie et la Chine.
L’Amérique doit accepter le fait qu’elle est le premier bénéficiaire de l’équilibre international actuel, et qu’elle est la seule puissance qui a le pouvoir et les ressources pour le protéger des attaques répétées qu’il subit. La poigne de velours d’une diplomatie patiente et cohérente est vitale, mais elle doit être soutenue par une fermeté que la Chine et la Russie respectent. L’Amérique conserve une grande partie de cette puissance, mais elle perd rapidement la maîtrise de la technologie militaire qui donne confiance à ses alliés et fait peur à ses ennemis.
“Aujourd’hui, M. Trump dit qu’il veut rendre sa grandeur à l’Amérique, mais il fait le contraire. Il fuit les organisations multilatérales, traite les alliances comme un bagage inutile et admire ouvertement les pouvoirs autoritaires qui dirigent les pays adversaires de l’Amérique”
Pour appuyer sa diplomatie, l’Amérique doit investir dans de nouveaux systèmes basés sur la robotique, l’intelligence artificielle, le big data et les armes à énergie dirigée. M. Obama s’est tardivement rendu compte que l’Amérique avait besoin d’un effort concerté pour retrouver son avance technologique, mais rien ne garantit qu’elle restera leader en matière d’innovation. M. Trump et ses successeurs doivent redoubler d’efforts.
Le meilleur garant de la paix mondiale, c’est une Amérique forte. Heureusement, elle a encore des atouts. Elle a des alliés riches et compétents, elle possède de loin les forces armées les plus puissantes du monde, qui ont une expérience de combat sans égale, auxquelles s’ajoutent les meilleurs ingénieurs systèmes et les plus grandes entreprises technologiques du monde. Mais ces avantages pourraient être balayés. Sans l’engagement de l’Amérique pour défendre l’ordre international et la fermeté nécessaire à sa défense contre des rivaux déterminés et compétents, les dangers grandiront. Si c’est le cas, la prochaine guerre pourrait être plus proche que vous ne le pensez.
Avec lenouveleconomist