Accoudé à la balustrade du lodge de la Pendjari, le grand parc national à l’extrême nord du Bénin, le Belge Jean-Marc Froment, responsable de la conservation au sein de l’ONG African Parks, observe une quarantaine d’éléphants qui s’abreuvent dans un immense point d’eau.
Presque au ralenti, un groupe d’adultes, la trompe et les oreilles en avant, chassent deux lionnes qui surveillent les lieux. Ils font barrage aux prédateurs pour que leurs petits puissent se désaltérer en sécurité. « Vous voyez comme ils arrivent tranquillement? C’était encore inimaginable il y a quelques mois, ils étaient très agités », raconte M. Froment, vêtu d’une chemise à l’effigie de sa dernière mission au Tchad.
Belge d’origine, cet expert s’est installé au Bénin il y a quatre mois, après avoir passé sa vie en Afrique à aider les États dans la préservation de leurs parcs nationaux, souvent détruits par des décennies de conflits.
Le Bénin n’est pas en guerre. Mais la biosphère de la Pendjari, située à plus de douze heures de route de la capitale économique Cotonou, a souffert de décennies de négligence politique et économique.
Ce parc de 4.700 km2 est l’un des trois parcs de l’ensemble WAP (W, Arly et Pendjari) qui s’étend sur le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, et l’un des derniers sanctuaires de la vie sauvage en Afrique de l’Ouest, où la faune et la flore ont été négligées depuis les temps de la colonisation française.
Victime du braconnage des éléphants pour l’ivoire, de la chasse illégale, de l’abattage du bois, la Pendjari « mourait à petit feu », explique José Pliya, directeur de l’Agence Nationale de promotion des Patrimoines et de développement du Tourisme (ANPT), mise sur pied par le chef de l’Etat béninois pour « accélérer » la mise en place des projets.
Objectifs ambitieux
Arrivé au pouvoir en 2016, Patrice Talon a fait du tourisme la priorité de son quinquennat. « Le chef de l’Etat compare souvent les richesses patrimoniales et culturelles du Bénin à des gisements de pétrole non-exploités », raconte son acolyte M. Pliya. Il souhaite créer 100.000 emplois en dix ans et attirer un million de visiteurs d’ici 2021, un objectif très ambitieux à l’aune des 200.000 touristes enregistrés sur la saison 2014-2015. « Nous travaillons sur six projets à travers le pays, et pour l’instant la Pendjari est le plus avancé », poursuit le directeur, qui s’y rend régulièrement.
Pour faire revivre un parc de cette taille, il fallait trouver des investisseurs prêts à engager 26 millions de dollars en dix ans.
Le gouvernement béninois a pris sa part, en allouant environ 6 millions de dollars.
Il a délégué la gestion du parc à l’ONG African Parks, prenant exemple sur le succès de la préservation des gorilles au Rwanda où le tourisme représente déjà la plus importante rentrée de devises (400 millions de dollars en 2016). « La croissance de la vie sauvage sera notre indice de réussite », insiste Jean-Marc Froment.
Tout reste à faire
Combien y a-t-il de lions? De buffles? D’hippopotames? « Pour l’instant, nous n’avons que des estimations. » Un ULM doit survoler le parc pendant huit jours à basse altitude pour les recenser.
« Avant, il n’y avait aucun moyen aérien dans le parc. Mais c’est essentiel: du ciel, on peut voir les carcasses, les feux de forêts, les braconniers… », explique le pilote Stéphane Carre.
Il faut ensuite comprendre les habitudes, les déplacements des bêtes sauvages. Des colliers GPS ont été posés sur plusieurs éléphants et lions pour savoir où déployer la soixantaine de nouveaux rangers formés pour les protéger, mais aussi où construire les futurs lodges ou les nouvelles pistes qui accueilleront les touristes.
Quant à la clientèle ciblée, faut-il développer un tourisme de luxe ou garder une clientèle plus jeune et ‘routarde’? Comment vendre le ‘produit safari’? « Tout est à faire », résume James Terjanian, le nouveau directeur du parc. « C’est ce qui est passionnant ».
Mais le plus grand défi, dans cette région pauvre et à forte densité de population, reste de se faire accepter par les villages alentour. « Les riverains subissent les effets du parc car ils ne peuvent pas aller cultiver ou pêcher », explique Djaléni Djatto, secrétaire exécutif de l’Avigref, l’association qui gère les relations entre le parc et les communautés depuis 2000.
‘Ministre de la Pendjari’
Sans retombées économiques directes, la bataille est perdue d’avance. Outre les emplois directs du tourisme, African Parks réfléchit à développer l’apiculture pour exporter le miel, ou encore transformer le karité pour en faire des produits cosmétiques.
Mille enfants des villages avoisinants sont également venus visiter le parc depuis le mois de mai.
Ce matin, une trentaine d’élèves de primaire arrivent en minibus, le regard perdu vers la brousse. Le soleil n’est pas sorti depuis plus de deux heures que l’air chaud et sec s’abat déjà sur une immense mare où un héron, posé sur le dos d’un hippopotame, guette les poissons.
Les gamins, vêtements usés et sandales dépareillées, grimpent sur une estrade en bois, et se passent les jumelles pour admirer la scène. Ils habitent à quelques kilomètres de là mais n’ont jamais vu pareilles créatures.
Abel, 13 ans, a déjà choisi sa voie: quand il sera grand, il deviendra « Ministre de la Pendjari ». « C’est ça qui va avoir un impact », explique M. Djatto: « Les enfants grandissent désormais avec l’idée qu’ils pourront trouver d’autres emplois que de travailler dans les champs. »