En marge de la présentation du rapport sur les perspectives économiques de l’Afrique pour l’exercice 2018, le Président de la Banque Africaine de Développement (BAD) a annoncé que la Banque organiserait le Forum de l’investissement en Afrique les 7 et 8 novembre 2018 à Johannesburg, en Afrique du Sud, afin de mobiliser des fonds destinés au développement des infrastructures.
Un organisme comme la CNUCED estime certes que l’Afrique perd 1 % par an de croissance économique par habitant en raison de son déficit d’infrastructures mais la question est de savoir si ces politiques de financement du quasi tout infrastructure mises en œuvre par la BAD depuis des années peuvent économiquement être considérées comme la panacée pour l’Afrique?
Le propre des projets d’infrastructures est qu’ils sont très capitalistiques, en général peu rentables sur le court terme et parfois exigeants en ressources concessionnelles lesquelles deviennent rares dans les pays prêteurs en crise. D’où la nécessite de conduire des études sérieuses en termes d’opportunités mais aussi d’alternatives moins coûteuses en matière d’investissement dans les infrastructures.
Leurs spécificités résident aussi dans le fait qu’ils peuvent générer d’importants recrutements de main d’œuvre à court terme mais constituent souvent des problématiques en phase d’exploitation : frais d’entretien élevés souvent peu supportables pour les budgets nationaux, contrats de BOT mal négociés, faible utilisation par les usagers, faible employabilité etc…. De ce point de vue, ce type de projets pourrait ne pas être une solution viable à l’emploi des jeunes dans un contexte où plus de 10 millions de personnes grossissent chaque année la population active en Afrique.
Depuis longtemps, cette tendance voire cet effet de mode infrastructurel a mobilisé de nombreux décideurs sur le continent et englouti des centaines de millions de dollars sans pour autant permettre de booster par exemple, pour l’écrasante majorité des pays du Continent, les Investissements Directs Etrangers (IDE) encore moins développer le secteur privé et réduire de manière drastique la pauvreté. Les besoins en infrastructures du continent sont estimés à 130–170 milliards de dollars EU par an, avec un déficit de financement de l’ordre de 68 à 108 milliards de dollars EU. Le moment n’est-il pas venu de changer d’option économique ?
Les politiques infrastructurelles peuvent constituer des orientations importantes si elles s’inscrivent dans de véritables stratégies de relance de la production nationale, de politiques de désenclavement et de promotion de la mobilité urbaine. Par exemple les projets d’infrastructures développés dans l’érection d’autoroutes urbaines, d’unités de production de mix énergie peuvent constituer de solides supports pour des stratégies économiques de substitution aux importations, de transformation de matières premières locales et d’exportation ; il est temps de réfléchir à des politiques d’infrastructures ciblées, calibrées en fonction des vrais besoins de l’économie ; à titre d’exemple, des infrastructures financières de soutien aux PME, chainon faible des économies africaines sont à promouvoir pour lutter contre le taux de financement faible de l’économie.
Il urge aussi de se départir de ces tentations de mimétisme qui amènent à réaliser des projets grandioses soit disant modernes mais qui s’avèrent en fin de compte de véritables « éléphants blancs ».
A côté d’une politique d’infrastructure ciblée, la BAD devrait aussi investir dans la recherche développement, dans le renforcement des capacités entrepreneuriales, le recensement, la protection et la mise en application des nombreuses découvertes scientifiques et techniques rangées dans les tiroirs par les Africains et trouver des stratégies efficaces d’appui à un secteur informel dynamique et innovant. Elle devrait aussi être plus regardant dans l’efficience des couts de réalisation des infrastructures en étant plus exigeante dans les stratégies de lutte contre la corruption qui font perdre 50 milliards de dollars par an à l’Afrique et dans l’appréciation de la pertinence des projets soumis par les Etats, véritables gâchis qui obéissent souvent à des impératifs politiques.
En conclusion, le moment est venu de se poser la question de savoir à quoi servent des politiques d’infrastructure qui n’arrivent pas à stimuler la production et à faire reculer la pauvreté ? N’est-ce pas quelque part mettre la charrue avant les bœufs ? Ne faudrait-il pas tester un autre modèle économique consistant à développer la production locale, créer de la valeur, donner plus de moyens fiscaux à l’Etat et autofinancer plus facilement les infrastructures ?
CONSULTANT ECONOMISTE
ANCIEN DE LA BOAD ET DU FAGACE
PRESIDENT DU PARTI POLITIQUE SENEGALAIS LA TROISIEME VOIE