La révision de la politique agricole de l’Afrique de l’Ouest (ECOWAP/PDDAA) en cours est un exercice fascinant avec des enjeux majeurs. J’ai fait partie des plus de 60 personnes qui se sont rendues à Lomé le mois dernier pour participer à l’atelier préparatoire de la conférence « ECOWAP+10 » qui aura lieu en novembre (17-19) à Dakar et dont l’objectif est de réviser et éventuellement ajuster l’ECOWAP, 10 ans après son adoption en janvier 2005 à Accra. L’ECOWAP vise à assurer la transformation en profondeur de l’agriculture de la région et consolider le processus d’intégration régionale, afin de garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle des pays de la région.
Bien que les impacts de l’ECOWAP soient difficiles à appréhender, notamment en raison de la faiblesse des dispositifs de suivi et d’évaluation, les différents groupes d’acteurs ont signalé que, même si la région a montré une croissance de la production agricole, celle-ci ne s’est pas encore traduite en une réduction significative et soutenue de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle.
L’ECOWAP a défini des filières prioritaires dans le but d’atteindre la « souveraineté alimentaire » ou, plus concrètement, l’autosuffisance alimentaire régionale. Ainsi, l’ECOWAP s’est rapidement positionnée comme une politique de substitution des importations agricoles. Dans un contexte d’amélioration des revenus des ménages, de croissance démographique rapide et d’urbanisation de la population, la dépendance alimentaire de l’Afrique de l’Ouest s’accroît de plus en plus. En particulier, le riz a dépassé le maïs, le sorgho et le mil (cultures traditionnelles de subsistance dans la région), et est devenue la céréale préférée des ménages ouest-africains. En conséquence, les importations de riz n’ont pas cessé de croître, et aujourd’hui plus de 40% de la consommation de la région provient d’outre-mer, en particulier du continent asiatique.
De ce fait, la filière riz bénéficie d’un traitement privilégié dans les politiques régionales et nationales. C’est la seule filière pour laquelle une offensive régionale spécifique a été lancée en 2008 dans le but d’atteindre l’autosuffisance de la région à l’horizon 2025. La plupart des pays de la région possèdent aussi des stratégies nationales spécifiques pour le secteur.
Vouloir atteindre l’autosuffisance en riz a des implications qui vont bien au-delà de l’augmentation de la production. Le riz importé qui alimente les marchés urbains et péri-urbains bénéficie de circuits d’approvisionnement bien établis et connectés aux routes d’importation le long des couloirs, de groupes importateurs puissants et bien organisés, et de consommateurs habitués à sa qualité et aux différentes variétés. De ce fait, le développement de la filière nécessite une approche intégrée et intégrale, avec des initiatives qui prennent en compte et relient tous les maillons de la chaîne de valeur, en prenant les marchés de consommation (la demande) comme point de départ, comme l’explique clairement une publication conjointe d’AfricaRice et de la FAO.
Cependant, les efforts des politiques régionales et nationales concernant le riz se sont jusqu’à présent concentrés sur les premiers stades de la chaîne de valeur, sur les questions liées à la production et, en particulier, à l’augmentation durable de la productivité. Grâce à cela, les rendements moyens de riz ont quasiment quadruplé dans la région entre 1961 et 2009, passant de 0,4 tonnes à 1,8 tonnes par hectare. Bien que la croissance de la production soit une condition sine qua non pour le développement de la filière, il est largement reconnu que les aspects liés à la qualité tout au long de la chaîne de valeur et à l’accès aux marchés sont des goulots d’étranglement majeurs pour l’essor du secteur dans la région, comme le montre ce reportage dans la vallée du fleuve Sénégal.
Le « forum sectoriel pour le financement de l’offensive riz » se tiendra dans le cadre de la conférence « ECOWAP+10 ». Lors de ce forum seront présentées les expériences de développement de la filière riz, afin de partager les acquis et les défis à surmonter, dans le but d’engager le secteur privé, stimuler l’investissement, et assurer ainsi un financement durable de la filière dans la région. Il semble donc extrêmement important que ce partage d’expériences prenne en compte les défis identifiés pour la filière, et montre d’une façon concrète comment certaines initiatives ont réussi à les surmonter. C’est-à-dire qu’il est essentiel d’aller au delà de la promotion de la production/productivité et de présenter, par exemple, des initiatives existantes de collaboration entre les secteurs public et privé pour promouvoir la commercialisation du riz local, des projets de recherche appliquée orientée vers le consommateur final, et des technologies innovantes pour atteindre les standards de qualité exigés par les consommateurs. Il est aussi essentiel de promouvoir, entre autres, des initiatives pour l’investissement des importateurs de riz dans la production de riz local, des mécanismes innovateurs de contractualisation/coordination entre les producteurs/transformateurs/distributeurs. Par exemple, nous pouvons citer le cas du riz « Rival » (« Riz de la Vallée »), developpé dans le cadre du programme PINORD au Sénégal, ou encore le cas du groupe Olam, puissant importateur de riz au Nigeria qui investit à présent dans la production et commercialisation du riz local au Ghana et au Nigeria.
Les attentes sont immenses. Les défis sont énormes. Le potentiel est colossal. Mais toutes les cartes sont en main pour assurer la réussite d’une initiative régionale porteuse d’espoir.
avec ecdpm