Le sénateur LREM André Gattolin a déposé une proposition de loi pour remercier avant terme les patrons de l’audiovisuel public, et retirer au CSA le pouvoir de les nommer.
Jusqu’à présent, la question de la nomination des patrons de l’audiovisuel public n’était pas une question brûlante. La prochaine échéance était la fin du mandat de Mathieu Gallet à la tête de Radio France en mai 2019, ce qui laissait tout le temps de se préparer. Mais c’est devenu un problème urgent à la suite de sa condamnation pour “favoritisme” lundi 15 janvier. Cette condamnation pourrait entraîner un départ avant terme de Mathieu Gallet -c’est en tout cas ce que réclame la ministre de la Culture Françoise Nyssen.
Dès lors se pose la question de la procédure à suivre pour nommer son successeur. Va-t-on appliquer la procédure en vigueur, c’est-à-dire un choix par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel)? Ou appliquera-t-on la nouvelle procédure voulue par Emmanuel Macron, c’est-à-dire une nomination par le conseil d’administration des chaînes?
Une première
Ce débat met soudain en lumière une proposition de loi discrètement déposée le 10 décembre par un sénateur de la République en marche, André Gattolin, qui a été reçu ce mercredi 17 janvier par Françoise Nyssen pour en discuter. Ce texte propose, conformément au programme présidentiel d’Emmanuel Macron (cf. encadré), de retirer le choix au CSA pour le confier aux conseils d’administration des chaînes. Mais surtout, il contient une disposition explosive: il propose d’interrompre avant terme tous les mandats des dirigeants de l’audiovisuel public. Précisément, il stipule: “Dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, le conseil d’administration peut mettre fin au mandat en cours de son président”.
Ce serait une première. En effet, jusqu’à présent, lorsqu’un nouveau président est arrivé au pouvoir, il n’a jamais osé démettre les dirigeants de chaînes publiques nommés avant son arrivée, et parfois d’un bord politique différent. Certes, il y a eu souvent des désaccords, voire des échanges de noms d’oiseaux… Mais les dirigeants en place sont toujours allés au bout de leur mandat -à l’exception de Philippe Guilhaume, qui a démissionné de la présidence de France Télévisions en 1990 suite une intense pression politique. Même Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a repris au CSA ce pouvoir de nomination, a laissé les dirigeants en place aller au bout de leur mandat, alors que ses rapports avec eux étaient exécrables.
Dix sièges sur douze nommés par le gouvernement
Mais ce n’est pas tout. La proposition de loi vise à redonner un rôle plus important à l’État dans le processus de nomination. Précisément, elle suggère que les présidents de chaînes soient choisis par le conseil d’administration à la majorité simple (sept voix sur douze). Ce choix devra être approuvé par les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat, à la majorité simple.
Surtout, la composition de ces conseils d’administration sera modifiée. Dix sièges sur douze seront nommés par le gouvernement: deux représentants de l’État, plus huit personnalités qualifiées. Toutefois, la nomination des huit personnalités qualifiées devra être approuvée par les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat à la majorité des trois cinquièmes, afin de “garantir leur indépendance”. Deux administrateurs resteront des représentants des salariés, comme aujourd’hui. Le CSA, qui jusqu’à présent nommait à ces conseils d’administration quatre ou cinq personnalités qualifiées, ne nommera plus personne.
Pour justifier ce chamboule tout, André Gattolin critique vertement la nomination par le CSA, qui “a montré ses limites”: “Les précédentes nominations ont été marquées par une procédure complexe et opaque, un manque évident de transparence et de multiples critiques émanant de divers acteurs impliqués dans ce processus, parfois même exprimées publiquement. Non seulement les soupçons d’insincérité qui pèsent ces nominations sont de nature à nuire à leur pleine légitimité, mais de surcroît ils ne permettent pas aux présidents ainsi nommés d’échapper à toute connivence supposée ou avérée”.
Un gros problème de calendrier
Un autre moyen de faire partir avant terme les patrons en place serait de fusionner les différentes sociétés de l’audiovisuel public, ce qui implique le choix d’un dirigeant unique. Cette piste était aussi évoquée dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron, qui promettait de “rapprocher les sociétés audiovisuelles publiques”. Toutefois, cette piste semble en perte de vitesse depuis que son plus ardent partisan, Marc Schwartz, a été écarté de son poste de directeur de cabinet de Françoise Nyssen.
Au final, rien ne dit que ces projets de départs anticipés iront à leur terme. “Les propositions d’André Gattolin, aussi bien sur le départ anticipé des dirigeants, que sur la nomination des administrateurs, n’engagent que lui et ne sont pas le résultat d’arbitrages qui n’ont pas encore été rendus”, assure un parlementaire de la République en Marche, qui assure que “l’objectif est un processus de nomination des dirigeants plus indépendant du politique”. Mais, en attendant, nul doute qu’une telle épée de Damoclès doit inciter à la docilité les dirigeants actuellement en place…
Quoiqu’il en soit, la mise en place d’une nouvelle procédure de nomination pose un gros problème de calendrier. En effet, le CSA va décider de démettre ou de maintenir Mathieu Gallet d’ici quelques semaines. En face, il faudra plusieurs mois pour faire voter par le parlement une nouvelle procédure, celle d’André Gattolin ou une autre. Autrement dit, si Mathieu Gallet est démis dans les semaines à venir, c’est la procédure actuelle (choix par le CSA) qui devrait paradoxalement s’appliquer. À moins de trouver un artifice, en prolongeant le mandat de Mathieu Gallet jusqu’au vote de la loi, ou en nommant un patron par intérim…
Pour mémoire, la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public a été retirée en 1982 au gouvernement pour être confiée à un gendarme de l’audiovisuel indépendant: la Haute autorité, puis la CNCL (Commission nationale de la communication et des libertés), et enfin le CSA. Ce pouvoir est brièvement revenu dans les mains du gouvernement sous Nicolas Sarkozy. Quant au CSA, il compte actuellement sept membres: le président est nommé par le gouvernement, trois membres par le président de l’Assemblée nationale, et trois membres par le président du Sénat. La nomination des membres désignés par le parlement doit être approuvée par les commissions des affaires culturelles à la majorité des trois cinquièmes.
Les promesses d’Emmanuel Macron
“Les conseils d’administration seront plus indépendants et plus ouverts dans sa composition. Ils seront chargés de désigner les dirigeants, après appel public à candidatures” (programme présidentiel d’Emmanuel Macron)
“La gouvernance actuelle du service public est dysfonctionnelle: aux conseils d’administration, plusieurs ministères (le Budget, les Finances, la Culture) font en permanence du micro-management sans procéder aux grands arbitrages. Je souhaite un modèle inspiré de celui de la BBC: un conseil d’administration de personnalités irréprochables -désignation qui peut passer par un débat à l’Assemblée nationale- aura en charge la nomination de dirigeants qualifiés et une évaluation annuelle du respect de leurs objectifs” (interview d’Emmanuel Macron à Télérama en avril 2017)
“La réflexion en cours sur la transformation de l’audiovisuel public prévoit l’évolution des modes de nomination, avec pour objectif de garantir l’indépendance des médias, tout en renforçant la responsabilité des dirigeants devant leur conseil d’administration” (communiqué de Françoise Nyssen du 15 janvier 2018).
Avec bfm