Dans un livre, un spécialiste d’intelligence artificielle fait le point sur les apports de la technologie pour prévenir et accompagner les troubles de la mémoire.
Problème majeur de santé publique (maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer…), les troubles de la mémoire sont devenus un véritable enjeux de société. Ils font l’objet de recherches scientifiques sans précédent, et cela dans de nombreuses disciplines allant de diverses branches des neurosciences (neuropsychologie, neuro-épidémiologie, neurobiologie, neurosciences intégratives…) aux sciences humaines et sociales (économie, sociologie, éthique…), dans des sociétés en pleine mutation, que ce soit dans leurs repères sociaux, culturels et historiques. Dans le livre Les troubles de la mémoire : prévenir, accompagner, coordonné par Francis Eustache (qui dirige, à l’université de Caen, une unité dédiée à l’étude de la mémoire humaine et de ses maladies), des scientifiques présentent les avancées scientifiques les plus pertinentes sur la prévention et l’accompagnement des troubles de la mémoire. Un chapitre, écrit par Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste d’intelligence artificielle, est dédié aux bénéfices thérapeutiques des robots de compagnie pour les patients. Extrait.
Des robots aux apparences diverses
“Les robots de compagnie assurent une présence, qui peut être distante, c’est-à-dire avec une personne qui est connectée à l’autre bout de la ligne et peut répondre, mais aussi virtuelle avec ce que l’on appelle les chatbots, mots-valises formés sur la contraction de “chatter” et de “bots”, littéralement les “robots bavards” qui dialoguent, échangent et répondent avec pertinence et patience à un certain nombre de questions.
Ces robots peuvent prendre différentes apparences : ils affichent l’image d’une personne de l’entourage sur un écran, ou une image d’êtres virtuels qui prennent éventuellement la forme d’un avatar affectif comme un petit animal. Un robot-peluche en forme de petit phoque, Paro, qui bouge la queue quand on le caresse a été développé il y a quelques années. Dans de nombreux pays, ce type de robot thérapeutique est utilisé pour assister les personnes âgées. Au Japon notamment, où il n’y a pas beaucoup de maisons de retraite, les personnes âgées se rendent en maison de journée, comme dans une maison de quartier pour pratiquer des activités et sont ramenées chez elles le soir. Dans le meilleur des cas, un proche ou un voisin dort chez elles ou elles restent avec un petit robot.
Ces petits robots ont été introduits dans des unités de soin, à Grenoble, au gérontopôle, à savoir au centre de gérontologie consacré, comme son nom l’indique, à l’étude des pathologies du vieillissement humain. Selon Catherine Thomas-Antérion, les faux animaux affectifs peuvent vraiment présenter un intérêt. Quelques travaux sur les animaux de compagnie ont montré que c’est quasiment la seule intervention non médicamenteuse qui donne des résultats tangibles dans la maladie d’Alzheimer. Dans une étude menée en Nouvelle-Zélande par l’équipe du professeur Haylay Robinson, la comparaison entre un vrai chien et le robot-phoque Paro a montré que les deux interventions étaient bénéfiques pour les quarante résidents. En outre, ceux-ci touchaient et parlaient plus au robot qu’au chien, et un plus grand nombre de patients engageaient des conversations à propos du robot qu’à propos du chien.
Comme le note le paléanthropologue Pascal Picq, spécialiste de l’évolution des hommes et des grands singes, en France, la diffusion des robots de compagnie se heurte à des barrières d’ordre culturel que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays, en particulier au Japon : le fait que l’animal soit virtuel et, surtout, le côté apparemment régressif de celui qui échange avec ce qui est considéré comme un “jouet” conduisent à déconsidérer ces utilisations thérapeutiques des robots de compagnie… Pourtant, cela n’a rien d’absurde. Ces dispositifs assurent une présence ; ils permettent de savoir où se trouve la personne dans l’appartement ; comme ils se déplacent, ils peuvent suivre la personne et répondre à ses questions, lorsqu’elles sont posées de vive voix. C’est en tout cas l’un des arguments utilisés par les développeurs de robotique d’accompagnement.
Zora, un petit robot de forme humanoïde (modèle Nao) haut de 58 centimètres a été introduit dans une maison de retraite d’Issy-les-Moulineaux. Ce petit robot peut assister le personnel lors des animations et ateliers thérapeutiques : exercices de kiné, et taï-chi, lecture du journal, jeu du “Qui suis-je ?”… Selon la directrice de ce centre, il s’agit d’une façon supplémentaire de stimuler les résidents, “au même titre que l’art-thérapie ou la zoothérapie”. Cependant il est bien évident que le robot ne remplacera jamais le personnel soignant et les animateurs. Notons qu’il ne s’agit pas nécessairement de robotique androïde. Ainsi, pour Véronique Aubergé, et son équipe du living lab de Grenoble, il faudrait même éviter de lancer des robots qui adoptent des rôles humains, mais dont l’effet sur les personnes fragilisées qu’ils doivent aider n’est pas connu. Ajoutons à cela que le coût de mise en œuvre de robots androïdes est très élevé tandis que le gain en termes thérapeutiques apparaît faible, voir négatif. Partir des besoins des usagers est une des clés dans les domaine des gérontechnologies, afin de garantir qu’elles soient utilisées de manière éthique et dans un cadre sécurisé. Avec un autre scientifique grenoblois, Vincent Rialle, président de la SFTAG (Société française des technologies pour l’autonomie et de gérontechnologie), Véronique Aubergé a mis en place un comité pour promouvoir une éthique de la robotique d’assistance aux personnes âgées, en évaluer les intérêts thérapeutiques tout en précisant leur cadre d’utilisation.”
avec scienceetavenir