Un juteux trafic de vrais-faux passeports profite de la situation sécuritaire chaotique à Bangui pour prospérer. Ce sésame permet d’échapper à l’impôt et aux poursuites.
François Hollande a reçu aujourd’hui en grande pompe Noursoultan Nazarbaïev, président de la République du Kazakhstan, au pouvoir depuis 1990. C’est l’occasion pour Libération de rappeler que l’un de ses opposants, Moukhtar Abliazov, emprisonné en France depuis le 1er août 2013, risque d’être prochainement extradé. Il est accusé par la Russie et par le Kazakhstan de multiples malversations, en particulier d’avoir soustrait 6 milliards de dollars de la banque BTA, lorsqu’il en présidait le conseil d’administration. Lorsqu’il a été arrêté sur la Côte d’Azur, Moukhtar Abliazov était en possession d’un passeport diplomatique centrafricain. Son épouse, arrêtée en Italie, possédait le même sésame, avec pour fonction : « conseillère diplomatique à la présidence. »
Promoteur immobilier et diplomate
Apparemment, cette famille kazakhe aime œuvrer pour ce pays déshérité d’Afrique. Leur fille Madina apparaissait encore récemment sur le Registre des missions permanentes auprès des Nations unies à Genève, comme membre de la Mission permanente de la République centrafricaine, aux côtés de son mari Iliyas Khrapunov, ce dernier bénéficiant du titre de « conseiller ». Iliyas Khrapunov, promoteur immobilier sur les bords du lac Léman, est le fils de Viktor Khrapunov, ancien maire d’Almaty. Exilé en Suisse depuis 2008, c’est un opposant au régime kazakh. Si Iliyas Khrapunov et son épouse ne figurent plus parmi les membres de la Mission centrafricaine, ils conservent néanmoins d’excellentes relations avec le Français Laurent Foucher, l’actuel ambassadeur de la Centrafrique dans la cité de Calvin.
Un homme d’affaires très occupé
Laurent Foucher est d’abord un homme d’affaires, actif de longue date dans les mines, le pétrole et les télécoms sur le continent africain. En Suisse, il dirige de nombreuses sociétés, comme Niel Finances et Services, Niel Petroleum, Niel Telecom, Niel Consulting, depuis ses bureaux de la rue du Mont-Blanc. Ses multiples activités (il est également conseiller économique de la présidence de la République centrafricaine) l’empêchent vraisemblablement de fréquenter assidûment l’ONU, et même le siège de la Mission permanente de la République centrafricaine, installée au Grand-Saconnex, une commune du canton de Genève. Laurent Foucher n’a jamais répondu aux appels téléphoniques lancés par Le Point Afrique.
À Bangui avec Claude Guéant
Cet homme d’affaires français a été dans le passé l’un des intimes de Jean-Christophe Mitterrand, le fils de l’ancien président socialiste. Il a également été conseiller Afrique de la société pétrolière française Maurel & Prom. En 2013, le site Mediapart, dans un article intitulé « Bal des prédateurs à Bangui », évoque son déplacement à Bangui, en compagnie de l’ancien ministre Claude Guéant et du gendre de ce dernier, Jean-Charles Charki. Laurent Foucher est aujourd’hui très proche de la présidente de transition Catherine Samba-Panza.
8 000 passeports dans la nature
Toutefois, cette braderie de passeports, y compris de passeports diplomatiques, serait bien antérieure à l’actuel pouvoir intérimaire à Bangui. Elle remonterait à l’ancien président François Bozizé, au pouvoir de 2003 à 2013. Une plainte a été déposée à Paris en octobre 2014 par l’avocat William Bourdon au nom de l’État centrafricain, dans un dossier portant sur des biens mal acquis. Ces documents seraient vendus à des opposants kazakhs, mais aussi à des hommes d’affaires et à des proches de l’ancien guide libyen Muammar Kadhafi. Selon Jeune Afrique, cette fraude porterait sur 8 000 passeports ordinaires et 900 passeports diplomatiques ! Ils « se revendent encore 10 000 euros sur le marché informel à Paris », écrit la publication. En effet, il s’agit de vrais-faux, en d’autres termes de vrais passeports vierges, fabriqués à Bangui, distribués contre des sommes d’argent. Ils permettent ensuite aux heureux bénéficiaires de ne pas payer d’impôts et d’échapper éventuellement à des poursuites judiciaires.
Source : Le point