En Afrique de l’Ouest, les incubateurs technologiques entrent dans la danse avec par exemple le lancement depuis le Ghana d’un nouveau fonds de capital-risque ambitieux. Un fonds piloté depuis Accra par la Meltwater Entrepreneurial School of Technology (ou MEST), l’incubateur technologique fondé en 2008 par Jorn Lyseggen. Avec cette initiative, MEST veut ouvrir le robinet du financement de l’innovation en Afrique en injectant, par le biais de ce nouveau véhicule d’investissement, les précieuses liquidités qui manquent cruellement dans le capital des start-up africaines.
« Nous lancerons le fonds dans les six premiers mois de 2016, explique Neal Hansch, le directeur exécutif de l’incubateur MEST, à Accra. Je ne peux pas encore vous dévoiler la taille cible pour le moment car les négociations sont toujours en cours. Mais il s’agira de l’un des plus gros fonds d’investissement pour les start-up technologiques africaines, qui investiront majoritairement dans les rounds, ou tour de table, de série A et B. »
Si le fonds est toujours en pleine phase de « closing », une chose est sûre : son « scope » géographique sera résolument panafricain. « Nous voulonsinvestir dans les meilleures équipes, peu importe leur emplacement géographique même si j’imagine que notre deal flow sera principalement alimenté par le Kenya, le Ghana, l’Afrique du Sud et le Nigeria. Et si des start-up de Zambie ou du Botswana viennent nous voir avec d’excellents produits, cela nous intéresse aussi… Pourquoi pas aussi des start-up d’Afrique francophone ? », concède Neal Hansch, en rappelant toutefois que la barrière de la langue constitue un obstacle de poids.
Autre exemple, celui du Sénégal, où c’est un professionnel de l’accompagnement qui a créé le premier fonds d’amorçage pour les start-up sénégalaises, Teranga Capital, afin d’apporter une réponse à l’absence de mécanisme de financement en amorçage. Ancien directeur du CTIC Dakar, l’incubateur technologique de la capitale sénégalaise, Omar Cissé est parvenu avec son associé à lever l’équivalent de 3 milliards de francs CFA pour financer localement les jeunes pousses innovantes à partir de 2015.
Autre levier de financement qui prend son essor en Afrique, les réseaux de business angels. Réunis le 23 septembre à Lagos, au Nigeria, pour « brainstormer » durant plusieurs heures avant l’ouverture officielle de la compétition DEMO Africa, les membres du réseau African Business Angel Network (ABAN) soufflent leur première bougie. « L’Afrique de demain est déjà en train de se bâtir, mais l’ingrédient manquant, et bien ce sont les investisseurs, assure le président charismatique nigérian d’ABAN, Tomi Davies. Le rôle d’ABAN n’est pas d’investir directement dans les start-up africaines mais de structurer, de conseiller et de professionnaliser les réseaux de business angels partout en Afrique. » Et notamment d’apprendre aux apprentis business angels le maniement du « langage » des start-up technologiques.
Pour atteindre son objectif, ABAN doit « éduquer » chaque jour les potentiels investisseurs africains, plus habitués à placer leur épargne dans le foncier que dans le capital de sociétés technologiques. Chaque membre d’ABAN doit investir annuellement un minimum de 5 000 dollars dans des start-up africaines, les tickets étant souvent mutualisés avec d’autres co-investisseurs afin de diluer les prises de risques. Et enfin chaque business angel doit dédier 20 jours par an à l’accompagnement d’entrepreneurs. « C’est le strict minimum », rappelle le président d’ABAN, qui compte déjà parmi ses membres d’autres clubs d’investisseurs comme Cairo Angels, Ghana Angel Netwok, Lagos Angel Network, VC4Africa ou encore le Cameroon Angel Network.
Petit frère du réseau ABAN, le Ivorian Business Angel Network, ou IBAN, a fait le voyage de Lagos depuis Abidjan. A la tête de la délégation, l’Ivoirienne Suzanne Abrogoua : « Nous sommes venus représenter la Côte d’Ivoire. » Et un peu aussi les pays d’Afrique francophone, grands absents de la grand-messe de Lagos : « Une seule start-up francophone était présente à DEMO Africa… Heureusement que la directrice du CTIC Dakar est venue du Sénégal ! » Chef d’entreprise avant d’être business angel, Suzanne Abrogoua dirige depuis juillet 2015 le réseau IBAN, qui compte déjà « 50 investisseurs ivoiriens à jour de cotisation ».
Le ticket d’entrée s’élève à 500 000 francs CFA par an et par membre. « Si l’on additionne 100 nouveaux membres en cours de pré-adhésion, notre réseau comprend environ 150 investisseurs ivoiriens. Nous espérons bienrécolter 25 à 30 millions de francs CFA la première année et réaliser très rapidement nos premiers investissements dans cinq premières start-up, dans tous les secteurs. » Pour IBAN, l’aventure a pris forme en 2014, à la suite d’une formation sur le financement des entreprises organisées par EIC Corporation, un cabinet ivoirien de conseil en investissement.
Suzanne se souvient : « Durant l’atelier, nous partagions tous le même constat : il n’y pas de capitaux-risqueurs en Côte d’Ivoire alors que nos PME ont constamment besoin de fonds de roulement. Notre formateur et coach en investissement, Julien Achille Agbe, nous a recontacté dans la foulée pour nous proposer de monter avec lui des clubs d’investissements, en commençant par Abidjan. » Avant de mailler l’ensemble du territoire d’ici 2015 : « IBAN a vocation à être présent sur toute la Côte d’Ivoire d’ici 2020, en passant de 150 à 1000 membres. »
Les cotisations annuelles des membres sont le nerf de la guerre : en cinq ans, IBAN veut investir 5 milliards de francs CFA dans le capital des start-up ivoiriennes. Des projections un peu trop optimistes au vue des réalités du terrain ? Et surtout comment convaincre 1 000 investisseurs individuels ivoiriens de franchir le pas en si peu de temps ? Assis aux côtés de Suzanne Abrogoua, Serge Touré, son conseiller financier, entre dans les explications techniques : « Nous savons que nous allons faire face à certaines réticences. C’est la raison pour laquelle nous nous inspirons du crowdfunding, en prélevant de petits montants sur un nombre important de cotisants, dans le but d’anesthésier cette peur du risque. Par ailleurs, 80% des fonds levés chaque année après de nos membres seront investis, à part, dans la bourse régionale des valeurs mobilières de l’UEMOA, les 20% restants seront entièrement consacrés à nos activités de capital-risque. »
Un portefeuille diversifié dont le mérite est de rassurer ses détenteurs, les cotisants d’IBAN : « si une start-up meurt et que nos investisseurs perdent leur mise, ils pourront récupérer 80% de leur placement sur la bourse régionale UEMOA. » Un modèle innovant et inédit en Afrique, qui suscite déjà l’intérêt d’autres pays de la région, comme le Burkina Faso et le Sénégal.
avec lentrepreneuriat