Sur le continent où le management hôtelier reste une affaire de spécialistes, les grandes chaînes préfèrent contrôler l’offre de services, laissant aux investisseurs locaux le soin de gérer l’immobilier. Explications.
Avec 365 projets de construction d’hôtels recensés par l’Hospitality Report Africa 2017, représentant 64 231 chambres (+ 29% sur un an), le secteur hôtelier a poursuivi son expansion en 2016.
Pour mener à bien ces programmes, répondre plus facilement à la demande et être plus souples dans leur développement, les grandes chaînes internationales comme AccorHôtels, Hilton, Louvre Hôtels, Carlson Rezidor, InterContinental ou Starwood, souvent présentes dans une centaine de pays, préfèrent s’allier à des investisseurs immobiliers. « Plus une chaîne est importante, moins elle possède d’hôtels », confirme Feras Hasbini, directeur Afrique du Nord d’Hilton.
Et comme il est très difficile sur le continent de trouver des partenaires locaux aptes à gérer des hôtels selon des critères internationaux, elles délaissent le principe de la franchise pour privilégier celui du contrat de gestion (ou de management), par lequel elles gèrent un établissement au profit d’un tiers.
Au Rwanda, ce sont les autorités publiques qui font la cour aux grandes chaînes internationales
Une solution qui constitue aussi un avantage pour des groupes industriels, des entrepreneurs indépendants, comme par exemple l’homme d’affaires béninois d’origine libanaise Ghaby Kodeih – qui construit actuellement à Cotonou un Best Western, un Marriott et un Ramada (groupe Wyndham) –, des fonds d’investissements comme Quantum Global Africa Hotels, basé à Maurice, ou pour des États, dont l’hôtellerie n’est pas le métier, mais qui veulent diversifier leurs investissements en profitant des rendements confortables qu’offre actuellement ce secteur.
« Dans certains pays comme le Rwanda, les autorités publiques font la cour aux grandes chaînes internationales pour se développer comme une destination d’affaires grâce à des centres de conférence », souligne depuis le Kenya Estelle Verdier, cofondatrice du site Jumia Travel.
Un « contrat-type » non négociable
Le contrat de management permet surtout aux groupes hôteliers de se concentrer sur les services et le remplissage des chambres, leur cœur de métier, plutôt que sur les questions immobilières. Pour assurer le meilleur taux d’occupation, l’investisseur sera de son côté attiré par l’expérience, la puissance à la fois de la marque et du canal de réservation et du système de fidélisation dont disposent ces grands groupes gérant jusqu’à 4 000 hôtels.
« C’est le nerf de la guerre », réagit Alain Sebah, président de Louvre Hotels (Golden Tulip, Kyriad, Campanile), qui revendique une trentaine d’établissements sur tout le continent et travaille actuellement à la mutualisation de sa plateforme de réservation avec celle de son nouvel actionnaire chinois, Jin Jiang, qui a succédé à Starwood en 2016.
Après la signature d’un « contrat-type » non négociable qui fixe le standard de prestations auquel s’astreint l’hôtelier et le niveau de construction et de rénovation auquel se soumet l’investisseur, les deux partenaires s’accordent sur un business-plan qui fixe le nombre de chambres, le positionnement de l’établissement ainsi qu’un budget annuel.
Un investissement portant sur au moins quinze ans
« Notre métier, c’est aussi de maximiser les revenus et de valoriser les actifs du propriétaire, de veiller à la bonne gestion des coûts », décrypte Olivier Granet, directeur depuis février des opérations pour l’Afrique et le Moyen-Orient d’AccorHôtels.
Il s’agit avant tout de construire une relation à long terme, […] c’est comme un mariage
« Il s’agit avant tout de construire une relation à long terme, car un investissement dans un hôtel porte sur quinze ans au minimum, jusqu’à cinquante ans pour les adresses les plus haut de gamme, c’est comme un mariage », insiste Alain Sebah, dont le groupe possède le tiers de son propre réseau.
Dans le pire des cas, un contrat peut évidemment être dénoncé si les performances ne répondent pas aux objectifs. Si l’hôtelier n’investit pas directement dans la construction, dont le coût peut s’élever de 30 à 50 millions d’euros, c’est en revanche lui qui nomme, un an avant l’ouverture, un directeur d’établissement « qui connaisse les standards de la marque », précise Olivier Granet. C’est ce dernier qui va superviser le recrutement et la formation du personnel et futurs salariés du propriétaire.
Chez Accor, un tiers des équipes vient du réseau, un tiers de la concurrence et un tiers est nouvellement formé. « L’hôtelier communique tous les mois sur l’activité, les recettes et le taux d’occupation, et peut réviser le budget tous les trimestres », explique Alain Sebah. L’opérateur pourra, suivant les résultats, revoir les prix des chambres.
Établissement « rebrandé » ou nouvelle construction
Le propriétaire s’acquitte de son côté d’une première redevance portant sur le droit d’usage de la marque et d’une seconde proportionnelle à la performance réalisée par l’hôtel. Un opérateur touchera entre 8 et 15 % du chiffre d’affaires. « Un montant sera mis en réserve par le propriétaire pour l’entretien courant et le programme de rénovation de l’hôtel », détaille Olivier Granet.
L’hôtelier peut reprendre la gestion d’un établissement existant qu’il « rebrandera » à ses couleurs, à l’instar de l’Hôtel du 2 février de Lomé devenu en 2016 un Radisson Blu (et dont le contrat de management a été rompu en septembre dernier) ou du Méridien de Douala, propriété du groupe Fadil, devenu un Pullmann en 2015, Starwood ayant passé la main à Accor, après trente ans de gestion par l’enseigne Le Méridien.
Mais le cas idéal, pour lui, est celui dans lequel un investisseur vient le consulter avant même que ne soit posée la première pierre du bâtiment. Car le propriétaire mandatera des architectes avec un cahier des charges et un apport technique de la chaîne pendant toute la phase de construction. « Un avantage pour le propriétaire qui bénéficiera pour son bien de normes de construction internationales et d’un certain standing », estime Feras Hasbini.
Le cachet d’Hyatt ou de Sheraton, un gage de crédibilité pour les banques
Surtout, l’association entre un investisseur et une marque de renom permettra au propriétaire d’obtenir des financements auprès des institutions bancaires, principale pierre d’achoppement des projets. Une démarche plus compliquée en Afrique et plus longue qu’ailleurs, six mois dans le meilleur des cas, parfois jusqu’à deux ans.
Il faut veiller à ne pas « donner » une enseigne au prétexte que cela sert à lever des fonds. Dans les cas où il y a seulement un terrain, on ne suivra pas
« Quand de riches familles viennent avec le cachet d’Hyatt ou de Sheraton, cela donne un gage de crédibilité », témoigne Estelle Verdier. L’expérience des grands chantiers non aboutis ou mal exécutés ayant toutefois fait école, les banques réclament désormais un apport personnel à hauteur de 40 % de l’investissement.
Comme Olivier Granet et Feras Hasbini, Alain Sebah se refuse à se lancer dans des projets dont le financement n’est pas bouclé. « Il faut veiller à ne pas « donner » une enseigne au prétexte que cela sert à lever des fonds. Dans les cas où il y a seulement un terrain, on ne suivra pas, car le projet aura quinze fois plus de valeur que le terrain », confie le dirigeant qui a ouvert en mai un Golden Tulip à Cotonou et en août un autre à Kampala, et qui inaugurera des établissements au Sénégal, en Éthiopie et en Côte d’Ivoire en 2018.
« On peut cependant aider à trouver des partenaires », poursuit-il. Pour Alain Sebah, les montages financiers sont souvent difficiles à nouer avec les investisseurs locaux. Raison pour laquelle il se réjouit de l’arrivée de gros fonds d’investissements étrangers dans la construction hôtelière. Mais sur cela, il n’en dit pas plus, secret des affaires oblige.
Avec jeuneafrique